• 30 avr 2020
  • International
  • Communiqué de presse

Les cartes postales de la pandémie

La pandémie de COVID-19 concerne chacun et chacune d’entre nous. Mais le virus, comme les mesures mises en place pour limiter sa propagation, a des conséquences différentes pour tout le monde, et il n’existe pas de solution unique. Par exemple, sans accès à l’eau courante, impossible de suivre les gestes barrières et de se laver les mains. Pour les personnes qui vivent dans un camp de réfugiés ou dans un quartier informel, la distanciation sociale est irréaliste.

Des personnes de l’ensemble du mouvement d’Amnistie internationale ont partagé leur vécu en cette période de pandémie. Ci-dessous, vous pourrez lire des témoignages en provenance du Canada, du Brésil, du Togo et des Philippines, qui vous aideront à mieux comprendre les répercussions de la pandémie à travers le monde. 

Ils soulignent l’exacerbation des inégalités entraînée par la pandémie, ainsi que les raisons pour lesquelles les gouvernements doivent adapter leurs réponses à certaines situations.

Mais ils montrent également notre multitude de points communs. Chacun et chacune d’entre nous veut vivre en sécurité, être en bonne santé et savoir que sa famille se porte bien. Chacun et chacune d’entre nous veut être traité·e avec dignité et respect. Et chacun et chacune d’entre nous a des stratégies différentes pour survivre en cette période étrange et effrayante, sans perdre espoir.

Ana, Canada

Je m’appelle Ana, et je suis conseillère en droits des populations autochtones à Amnistie internationale Canada. Mon nom traditionnel est Noodinkwe.

Mes défenses immunitaires sont faibles, donc ma famille et moi-même appliquons un confinement strict depuis trois semaines et nous resterons ici pendant encore très longtemps. Nous avons la chance de pouvoir recevoir des livraisons et de pouvoir nous promener sur les bords du fleuve deux fois par jour.

Je m’en sortirai, mais je suis inquiète pour ma famille et mes amis des communautés autochtones de ce pays. Des siècles de négligences gouvernementales ont entraîné pour les populations autochtones un manque d’infrastructures et de services que la plupart des personnes tiennent pour acquis dans un pays riche comme le Canada.

Il est presque impossible d’appliquer le confinement pour les communautés qui vivent souvent à trois générations et 12 personnes dans une maison de deux chambres. Ces maisons ont été construites au rabais par le gouvernement, et bien souvent elles ne sont pas adaptées au climat nordique ou aux lieux reculés : la moisissure, les dégâts des eaux et les effondrements sont des phénomènes récurrents, et ils peuvent aggraver des problèmes de santé préexistants.  

Le Canada est un grand pays, avec une abondance d’eau douce ; c’est un pays où les gens peuvent avoir de l’eau potable directement au robinet, et où des réglementations strictes sont appliquées en matière de traitement de l’eau. Sauf pour de nombreuses communautés autochtones. Aujourd’hui, environ 100 communautés ne peuvent pas boire l’eau de leur robinet, et elles sont encore plus nombreuses à être contraintes d’acheter des litres et des litres d’eau pour les acheminer jusqu’aux communautés reculées. Dans de nombreuses régions, l’eau courante ne serait pas sûre pour laver la vaisselle ou le linge. 

Les populations autochtones sont rattachées à un régime de sécurité sociale complexe et très bureaucratique. Son budget est si insuffisant que le Tribunal canadien des droits de la personne a déclaré que ce système était source de discrimination à l’encontre des personnes autochtones, et qu’il a ordonné au gouvernement canadien de résoudre ce problème. La plupart des communautés n’ont ni médecins, ni personnel paramédical, ni hôpitaux, ni même équipement médical d’urgence ; il faut prendre l’avion pour recevoir un traitement dans un centre médical.  

Le printemps arrive dans le nord du Canada, et pour les communautés qui ont été intentionnellement placées par les gouvernements successifs dans des zones désertiques, c’est aussi l’arrivée de la saison des inondations. À l’heure actuelle, je suis terrifiée pour les personnes qui doivent surmonter cette crise tous les ans, avec des aides gouvernementales d’urgence insignifiantes. Que se passera-t-il cette année, alors que le coronavirus s’introduit dans ces communautés reculées, abandonnées et précaires ?

Raul, Brésil

Je m’appelle Raul Santiago, je suis défenseur des droits humains et journaliste. J’ai 31 ans et j’habite dans la favela de Complexo do Alemão, dans le nord de Rio de Janeiro.

La pandémie de coronavirus est très difficile à gérer ici. Nombre de personnes vivent dans des conditions précaires, avec peu de chambres et beaucoup de gens. Les familles extrêmement pauvres n’ont rien à manger en période de distanciation sociale, et elles n’ont pas d’autre choix que de dépendre des dons de nourriture.

Les conseils les plus simples de l’Organisation mondiale de la santé, comme se laver les mains plusieurs fois par jour, sont tout simplement impossibles à suivre pour beaucoup d’entre nous. La solidarité est indispensable pour surmonter les inégalités et la pandémie. 

Cette dernière souligne les inégalités, dans mon pays comme dans d’autres. L’accès à l’eau est un droit humain fondamental, mais tout le monde n’en bénéficie pas ici. Des installations sanitaires de base sont le minimum requis pour vivre dans la dignité, mais dans les faits, les eaux usées sont toujours évacuées à ciel ouvert.

Si, aujourd’hui, nous devions respecter un confinement total, la plupart des personnes qui habitent dans mon quartier n’auraient ni eau potable, ni nourriture ; la famine s’installerait en moins d’une semaine.

Si nous ne disposons pas des ressources minimales pour être en mesure de limiter la propagation du virus, c’est parce que nos droits humains fondamentaux ne sont pas assurés. Nous aurons besoin de toute l’aide possible. 

Je fais partie d’un groupe militant qui a créé un bureau de crise, ici, à Complexo do Alemão. Nous essayons de faire du travail de sensibilisation et de prévention, et de demander des dons pour aider les personnes extrêmement pauvres qui vivent ici.

Nous recevons chaque jour des demandes d’aide pour de la nourriture, de l’eau et des produits ménagers basiques. La situation est désespérée. Nous faisons de notre mieux avec le peu que nous avons, et sans aide gouvernementale.  

Angèle, Togo

Je m’appelle Angèle. En temps normal, je vends de la nourriture et du matériel de papeterie dans une école, mais toutes les écoles ont été fermées à cause du COVID-19.

Le premier jour du confinement, j’ai ramené tout ce que j’avais cuisiné et prévu de vendre ce jour-là chez moi. Je n’ai rien pu vendre. 

C’est terrifiant de rester à la maison ; je suis veuve et j’ai quatre enfants, donc le confinement me promet des jours difficiles. En ce moment, nous survivons par la grâce de Dieu. 

Les nouvelles de la propagation du virus sont inquiétantes. On nous demande de nous laver régulièrement les mains à l’eau et au savon ou au gel hydroalcoolique, et nous nous débrouillons pour le faire car nous savons à quel point c’est important.

Mais nous avons besoin d’aide pour manger chaque jour, pour acheter de la nourriture et de l’eau potable.  

Les autorités doivent aider toutes les personnes pauvres et vulnérables en ces temps difficiles ; quant aux hôpitaux et aux centres de confinement, les infrastructures qui existent déjà sont insuffisantes. Nous avons besoin de nouveaux hôpitaux et de traitements adaptés.

J’implore également le gouvernement de nous fournir des équipements que nous pourrons utiliser pour prévenir de telles pandémies à l’avenir. 


Manu, Philippines

Manu Gaspar est le dirigeant du mouvement de jeunes d’Amnistie internationale Philippines.

Je m’appelle Manu et je viens de Valenzuela, une petite ville des Philippines. Nous en sommes à notre deuxième semaine de confinement.

Je me sens à la fois anxieux et résigné ; je m’occupe en parlant à mes amis et à ma moitié par messages ou par Zoom. En temps normal, des enfants joueraient au bas de nos fenêtres. Il n’y en a aucun. 

Je crains que le COVID-19 n’ait mis en lumière la faiblesse de notre système de santé philippin, et que les personnes les plus vulnérables n’en payent le prix. Des patients qui doivent se déplacer pour des dialyses ou des séances de chimiothérapie doivent rester chez eux.

Des personnes qui vivent avec le VIH ne peuvent pas se rendre dans les centres de santé pour avoir leur traitement. Les gens ont peur de manquer le travail, parce que cela coûterait plus cher qu’une consultation chez le docteur ou une hospitalisation. 

Je crois que le COVID-19 reflète les difficultés que nous rencontrons dans notre combat pour les droits humains : il y a beaucoup d’incertitudes. Il peut nous submerger. Il peut engendrer de l’inquiétude, un sentiment d’impuissance.

Pour rester calme, mon conseil est d’accepter tout cela comme une partie intégrante de notre expérience collective. Nous ramasserons les morceaux, nous recommencerons à nous organiser, à descendre dans la rue et à rappeler que les soins de santé primaires sont un droit humain universel.  

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