Les corps différents ne sont pas des erreurs à corriger
Les personnes nées avec des caractéristiques sexuelles qui diffèrent des « normes » féminine et masculine se heurtent à des obstacles les empêchant d’avoir accès à des soins de santé appropriés, ce qui les expose au risque de subir à vie des préjudices physiques et psychologiques, a déclaré Amnistie internationale le 19 février 2019. Dans son nouveau rapport intitulé No Shame in Diversity, l’organisation se fonde sur des études de cas de personnes en Islande pour montrer qu’en raison de l’absence de protocoles de soins de santé fondés sur les droits, des personnes nées avec des variations des caractéristiques sexuelles – et qui se qualifient parfois de personnes « intersexes » – doivent affronter la stigmatisation et la discrimination, et sont souvent soumises à des actes chirurgicaux préjudiciables.
Un projet de loi pourrait permettre de mettre fin à ces abus : le projet de loi sur l’autonomie en matière de sexualité et de genre, qui doit être soumis au Parlement islandais à la fin du mois de février, mais ce texte ne comprend pas de mesures de protection essentielles pour les enfants. Il n’inclut en particulier aucune disposition visant à mettre fin, en l’absence de toute urgence médicale, aux actes chirurgicaux de « normalisation » invasifs et irréversibles pratiqués sur les enfants nés avec des variations des caractéristiques sexuelles.
Amnistie internationale souligne qu’en dépit du fait que l’Islande figure en tête de classement du Rapport mondial sur la parité entre hommes et femmes du Forum économique mondial, les autorités islandaises n’ont toujours pas mis en place des protocoles de soins fondés sur les droits ni fait le nécessaire pour que les personnes présentant des variations des caractéristiques sexuelles puissent recevoir les soins de santé adaptés à leurs besoins.
« L’Islande a la réputation de respecter l’égalité des genres, mais son système de santé traite les personnes intersexes d’une manière très préoccupante. Les enfants et les adultes intersexes sont considérés comme des erreurs qui doivent être corrigées, et le fait qu’ils ne puissent pas bénéficier de soins de santé axés sur leurs droits humains peut leur causer pour leur vie entière des souffrances physiques et psychologiques, a déclaré Laura Carter, chercheuse sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre à Amnistie internationale.
« Les personnes avec qui nous avons parlé ont déclaré avoir l’impression que les médecins n’écoutaient pas ce qu’elles disaient vouloir pour elles-mêmes ou leurs enfants, et préféraient « normaliser » le corps des personnes intersexes au moyen d’actes chirurgicaux invasifs ou de traitements hormonaux. Certains changements d’attitude ont été observés récemment, en grande partie grâce au travail inlassable de militants intersexes, mais en raison d’un climat marqué par des informations erronées et la stigmatisation, les personnes intersexes continuent de subir des préjudices. »
Amnistie internationale demande au gouvernement islandais de mettre en place des lignes directrices claires en matière de droits humains et une aide sociale efficace pour que les personnes présentant des variations des caractéristiques sexuelles aient accès au meilleur état de santé susceptible d’être atteint.
On estime qu’il y a, en Islande, près de 6 000 personnes dont les caractéristiques sexuelles (appareil génital, gonades, hormones, chromosomes ou organes de reproduction) ne correspondent pas aux normes admises permettant d’établir si l’individu est de sexe « masculin » ou « féminin ». Amnistie internationale a réuni des éléments prouvant qu’en Islande, les personnes nées avec des variations des caractéristiques sexuelles ont beaucoup de mal à obtenir des soins de santé appropriés et fondés sur leurs droits humains, ce qui dans certains cas occasionne pour elles des préjudices durables.
Des personnes ont indiqué à Amnistie internationale que le manque de soins appropriés avait des effets préjudiciables sur leur qualité de vie pendant de nombreuses années. Dans certains cas, cette situation a encore été aggravée par l’impossibilité d’avoir accès à leur dossier médical, les personnes concernées ne pouvant pas obtenir l’ensemble des informations sur les actes pratiqués sur leur corps.
Kitty, une militante intersexe qui a fondé l’organisation Intersex Iceland, a déclaré :
« Il est très difficile d’obtenir de bons soins de santé, car nous sommes considérés comme des « problèmes » qu’il faut régler […] Un grand nombre des problèmes de santé qui surgissent sont dus aux traitements qu’on nous a donnés quand nous étions enfants. Nous n’aurions pas tous ces problèmes d’ostéopénie et d’ostéoporose si nous n’avions pas subi, enfants, des gonadectomies, et pendant notre adolescence, des traitements hormonaux inadaptés. »
Elle a ajouté :
« Je voudrais que ces variations soient considérées comme quelque chose de normal. Je ne veux pas que des personnes soient obligées de se cacher, d’avoir honte. Je voudrais que les gens comprennent et acceptent qu’il existe une diversité, et que c’est bien comme cela. »
Amnistie internationale demande au gouvernement islandais de prendre des mesures concrètes afin de protéger et promouvoir l’égalité, dans la loi et la pratique, pour les personnes présentant des variations des caractéristiques sexuelles. Le projet de loi sur l’autonomie en matière de sexualité et de genre représente une solution. Cependant, tel qu’il se présente actuellement, ce texte ne met pas fin aux actes médicaux inutiles de « normalisation » sexuelle et de stérilisation ni aux autres traitements pratiqués sur les enfants intersexes sans leur consentement éclairé.
Amnistie internationale demande également au gouvernement islandais de créer une équipe spécialisée et multidisciplinaire pour les soins médicaux destinés aux enfants et aux adultes présentant des variations des caractéristiques sexuelles. L’organisation demande en outre au gouvernement islandais d’élaborer et de mettre en place un protocole de soins fondé sur les droits pour les personnes présentant des variations des caractéristiques sexuelles afin de garantir leur intégrité physique, leur autonomie et leur droit à l’autodétermination. Le gouvernement devrait veiller à ce qu’aucun enfant ne soit soumis à un traitement ou à des actes chirurgicaux invasifs et irréversibles non urgents ayant des effets préjudiciables.
Complément d’information
Les termes utilisés pour parler des variations des caractéristiques sexuelles sont très divers et ils prêtent parfois à controverse. Dans son rapport, l’organisation utilise le terme « intersexe », qui est largement employé et qui correspond au ressenti de nombreuses personnes présentant des variations des caractéristiques sexuelles de par le monde. Il est toutefois important de préciser que le terme « intersexe » n’a pas la préférence de toutes les personnes présentant des variations des caractéristiques sexuelles.