Un an après, on ignore toujours où se trouvent Dong Samuel Luak et Aggrey Idri Révélez ce qu’il est advenu d’eux
Nairobi, 24 janvier 2018 – Le Soudan du Sud n’a pas enquêté sur la disparition forcée de deux de ses ressortissants, orchestrée il y a un an à Nairobi, ni amené les responsables présumés de ces agissements à rendre des comptes, ont déclaré Amnistie Internationale et Human Rights Watch mercredi 24 janvier 2018. Par ailleurs, il faut que les autorités kenyanes redoublent d’efforts pour faire progresser leur enquête en cours.
Dong Samuel Luak, un militant et avocat spécialiste des droits humains réputé, et Aggrey Idri, un ardent détracteur du régime et membre de l’opposition, ont disparu dans les rues de Nairobi le 23 et le 24 janvier 2017, respectivement. Ils auraient été enlevés par des représentants de l’État sud-soudanais ou à la demande de ces derniers.
« Il ne faut pas permettre que ces deux hommes de premier plan disparaissent purement et simplement sans laisser de trace, a déclaré Mausi Segun, directrice de la division Afrique de Human Rights Watch. Le Soudan du Sud et le Kenya sont responsables de leur sécurité au même titre. Cependant, aucun de ces pays ne déploie de réels efforts pour faire la lumière sur leur disparition. »
Les opposants réels ou supposés au régime sud-soudanais font l’objet de violences et de menaces imputables, semble-t-il, à des éléments gouvernementaux, même lorsqu’ils se trouvent à l’étranger. De nombreux militants et membres de l’opposition ayant fui le Soudan du Sud ont signalé des menaces et des manœuvres d’intimidation, dont les auteurs seraient des agents du gouvernement sud-soudanais dans la région. Dong Samuel Luak a quitté le Soudan du Sud en 2013 mais a continué à dénoncer les violations des droits humains et la corruption après s’être installé à Nairobi, en août 2013.
Le 27 janvier 2017, un tribunal kenyan a statué que Dong Samuel Luak et Aggrey Idri ne devaient pas être expulsés mais, à cette date, ils avaient déjà été victimes d’une disparition forcée et vraisemblablement transférés en toute illégalité à Djouba. En février 2017, des organisations non gouvernementales et des représentants des deux familles ont introduit une requête en habeas corpus auprès d’un tribunal kenyan afin d’obtenir la libération de Dong Samuel Luak et d’Aggrey Idri. Le 22 février, le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments prouvant que ceux-ci étaient détenus au Kenya. Le juge a ordonné à la police d’ouvrir une information judiciaire, toujours en cours.
Les autorités sud-soudanaises ont affirmé ne pas détenir Dong Samuel Luak et Aggrey Idri ni savoir où ils se trouvaient. Pourtant, Amnistie Internationale et Human Rights Watch ont reçu des informations crédibles selon lesquelles ces deux hommes avaient été vus en détention au siège du Service national de la sûreté (NSS), à Djouba, les 25 et 26 janvier 2017, avant d’être emmenés ailleurs le 27. Les deux organisations sont convaincues qu’ils ont été transférés dans un autre lieu tenu par les autorités sud-soudanaises.
La disparition et le renvoi forcés de ces hommes au Soudan du Sud, où ils risquent de subir des violations des droits humains, notamment des actes de torture et d’autres mauvais traitements, constituent une violation du droit international, du droit régional et du droit kenyan. La disparition forcée et la torture sont des crimes de droit international, quelles que soient les circonstances, et sont susceptibles de faire l’objet de poursuites en tant que crimes de guerre ou crimes contre l’humanité.
Les autorités kenyanes ont nié avoir pris une quelconque part à ces agissements illégaux ou en avoir eu connaissance. Néanmoins, elles ont permis le renvoi de plusieurs personnes disposant du statut de réfugié vers leur pays d’origine ces dernières années. En novembre 2016, elles ont expulsé illégalement James Gatdet Dak, un membre de l’opposition sud-soudanaise, également porte-parole du dirigeant de l’opposition Riek Machar, vers le Soudan du Sud, en dépit de son statut de réfugié. Cet homme a été détenu à l’isolement au siège du NSS, à Djouba, puis inculpé de trahison et d’autres infractions ayant porté atteinte à l’État en août 2017.
Le 29 décembre, un cadre de l’opposition, Marko Lokior Lochapo, a été enlevé au camp de réfugiés de Kakuma, au Kenya.
Depuis le début de la guerre civile au Soudan du Sud, en décembre 2013, le NSS a détenu arbitrairement, et souvent dans de rudes conditions, des dizaines d’opposants présumés, leur infligeant en général des actes de torture et d’autres mauvais traitements comme des décharges électriques et des coups. Les autorités ont aussi orchestré des disparitions forcées, niant avoir connaissance d’une détention ou d’un enlèvement, dans le cadre de leur campagne contre les opposants présumés au régime.
Le 21 décembre 2017, l’État sud-soudanais et des groupes d’opposition ont signé un accord de cessation des hostilités à Addis-Abeba (Éthiopie) en vue de revitaliser l’Accord sur le règlement du conflit au Soudan du Sud, conclu en 2015. Au titre du nouvel accord, le Soudan du Sud doit libérer tous les prisonniers politiques, les prisonniers de guerre et les autres personnes privées de liberté pour des raisons liées au conflit et les confier au Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
« Il faut que le Soudan du Sud montre qu’il a véritablement l’intention de libérer les prisonniers politiques détenus illégalement, a déclaré Sarah Jackson, directrice régionale adjointe du programme Afrique de l’Est, Corne de l’Afrique et Grands Lacs à Amnistie Internationale . Les autorités sud-soudanaises et kenyanes doivent, de toute urgence, enquêter, révéler où se trouvent les deux hommes concernés et ce qu’il est advenu d’eux et veiller à ce qu’ils obtiennent justice, vérité et réparation pour les infractions dont ils ont été victimes. »