En expulsant des demandeurs d'asile africains, les autorités fuient leurs responsabilités
La politique d’Israël consistant à expulser des demandeurs d'asile africains vers deux États africains dont les noms n'ont pas été révélés est une abdication de sa responsabilité envers les réfugiés et illustre les mesures cruelles qui alimentent la « crise mondiale des réfugiés », a déclaré Amnistie internationale le 26 mars, alors que la Cour suprême israélienne examine de nouveaux éléments quant à la légalité de cette politique.
Israël aurait conclu des accords avec deux États – de l'avis général, l'Ouganda et le Rwanda. Les termes de ces accords sont classés secret d'État.
Aux termes de la nouvelle Procédure pour l'expulsion vers des pays tiers, mise en place par le gouvernement en janvier, ceux qui acceptent de partir se voient remettre environ 2 800 euros et un billet, pour rentrer dans leur pays d'origine ou se rendre dans un « pays tiers » non cité. Ceux qui refusent peuvent être détenus pour une durée indéterminée. Le gouvernement israélien affirme que ce programme favorise les « départs volontaires » des « infiltrés ».
« Comment le gouvernement israélien peut-il parler de moyen d'expulser des demandeurs d'asile " volontairement " lorsqu'il leur faut choisir entre retourner vers des persécutions ou être détenus indéfiniment ? C'est un choix que personne ne devrait avoir à faire, a déclaré Philip Luther, directeur des recherches et des actions de plaidoyer du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnistie internationale.
« Étant donné l'ampleur de la crise mondiale des réfugiés, l'expulsion forcée – et illégale – de demandeurs d'asile érythréens et soudanais est un manquement à ses responsabilités. Elle illustre les politiques mal conçues qui caractérisent désormais des procédures défaillantes en matière d'asile et d'immigration. »
En vertu de la politique de l'Autorité israélienne de la population, de l'immigration et des frontières, les « infiltrés » érythréens et soudanais doivent quitter Israël d'ici le 4 avril. La Procédure pour l'expulsion vers des pays tiers se fonde sur l'hypothèse que les personnes renvoyées n'ont jamais demandé l'asile et vivent clandestinement en Israël, ou ont demandé l'asile mais ne l'ont pas obtenu. Ceux qui ont déposé leur demande après le 1er janvier seront également expulsés.
Le gouvernement israélien n'a pas fourni de détails sur les accords, s’abstenant de nommer les « pays tiers ». Il considère que ces informations sont confidentielles et pourraient nuire à la réputation d'Israël sur la scène internationale. Quant au Rwanda et à l'Ouganda, ils nient l'existence de ces accords.
Israël se targue d'avoir l'un des PIB (produit intérieur brut) les plus élevés au monde, ce qui en fait l'une des nations les plus prospères et riches du Moyen-Orient.
« Il incombe au gouvernement israélien d’assumer sa part dans la crise mondiale des réfugiés, à l'instar d'autres pays riches, en accueillant des demandeurs d'asile qui ont désespérément besoin d'un foyer. Il est impensable qu’Israël délègue sa responsabilité à des pays qui n'ont qu'une petite partie de sa richesse et de ses ressources et accueillent déjà une population de réfugiés bien plus nombreuse », a déclaré Philip Luther.
Le PIB par habitant en Israël est plus de 50 fois supérieur à celui du Rwanda et plus de 55 fois supérieur à celui de l'Ouganda. Le Rwanda accueille au moins trois fois plus de réfugiés qu'Israël et l’Ouganda 20 fois plus.
Les expulsions d'Israël vers le Rwanda et l'Ouganda sont illégales
Les accords conclus entre Israël et les pays africains dont les noms n’ont pas été dévoilés, quels qu'ils soient, sont illégaux au titre du droit international, car ils bafouent le principe de non-refoulement. En effet, il est interdit de transférer une personne vers un endroit où elle risque d'être victime de persécutions et de graves violations des droits humains, et où elle ne sera pas protégée contre un transfert ultérieur.
La Cour suprême israélienne a souligné à juste titre que la nature secrète des accords prive les demandeurs d'asile d’une protection légale et de l'accès à des recours juridiques.
En outre, nombre des personnes expulsées dans ce cadre n'ont d'autre choix que de poursuivre leur voyage à travers la Libye et de tenter la dangereuse traversée de la Méditerranée pour gagner l'Europe.
« Cette politique met les demandeurs d'asile dans une position très vulnérable, car ils sont exposés au risque d'être renvoyés dans leur pays d'origine et ne sont pas en mesure de demander des comptes au gouvernement israélien, pas plus qu’à celui du pays tiers, a déclaré Philip Luther.
« Nous avons recensé plusieurs cas de demandeurs d'asile expulsés d'Israël, à qui on avait promis des permis de séjour et de travail en Ouganda et au Rwanda, mais qui n’ont rien obtenu de tout cela à leur arrivée dans le pays. »
En fait, aucun des demandeurs d'asile érythréens et soudanais expulsés vers le Rwanda et l'Ouganda – et plus tard interrogés par des ONG, des universitaires et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) – n'a été régularisé à son arrivée.
Le Rwanda et l'Ouganda nient la présence de demandeurs d'asile arrivant d'Israël sur leur territoire, et refusent de reconnaître une quelconque obligation à leur égard en réfutant l'existence d'un accord conclu avec Israël.
Israël tourne le dos aux demandeurs d'asile et aux réfugiés : des chiffres choquants
En Israël, le taux de réponses positives aux demandes d'asile des ressortissants érythréens et soudanais est extrêmement faible : moins de 0,5%. Sur 15 200 demandes soumises entre 2013 et 2017, seuls 12 Érythréens et Soudanais ont obtenu le statut de réfugiés.
Depuis 10 ans, 0,1 % des demandeurs d'asile érythréens ont été reconnus en tant que réfugiés en Israël. Par comparaison, 92,5 % des Érythréens qui ont demandé le statut de réfugiés dans l'Union européenne en 2016 l’ont obtenu.
Ce taux très faible de reconnaissance des demandeurs d'asile érythréens s'explique principalement parce qu'Israël ne considère pas les déserteurs ayant fui le service militaire en Érythrée comme pouvant prétendre au statut de réfugié. Or, cela va à l'encontre des lignes directrices relatives à l'éligibilité édictées par le HCR.
En janvier 2018, la Cour suprême israélienne a statué que l'interprétation du gouvernement israélien quant aux besoins de protection des déserteurs du service militaire érythréen était incompatible avec la Convention de 1951 sur les réfugiés. Le 22 mars, la procureure générale adjointe Dina Zilber a ordonné à l'Autorité de la population, de l'immigration et des frontières de réexaminer les cas d'Érythréens détenus à la prison de Saharonim dont les demandes d'asile avaient été rejetées.
« Le gouvernement israélien doit cesser d'expulser les demandeurs d'asile érythréens et soudanais vers le Rwanda et l'Ouganda et leur accorder l'accès à une procédure équitable et efficace de détermination du statut de réfugié. Parallèlement, les gouvernements du Rwanda et de l'Ouganda doivent mettre fin à toute coopération avec le gouvernement israélien sur cette question, a déclaré Philip Luther.
« Les autorités israéliennes doivent savoir que le monde regarde avec indignation le mépris dont elles font preuve pour la vie humaine, la dignité et la responsabilité envers la communauté mondiale. »