• 23 fév 2018
  • International
  • Communiqué de presse

Les états doivent fonder leurs stratégies de logement sur les droits humains

COMMUNICATION ÉCRITE

POINT 3 : DIALOGUE INTERACTIF AVEC LA RAPPORTEUSE SPÉCIALE SUR LE LOGEMENT CONVENABLE

Conseil des droits de l’homme des Nations unies

Trente-septième session

26 février - 23 mars 2018

Amnistie internationale salue le rapport sur les stratégies de logement fondées sur les droits humains présenté par la rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu'élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard (ci-après la rapporteuse spéciale). Ce rapport fournit aux États et à d'autres acteurs des orientations concrètes pour la mise en place de stratégies de logement efficaces et conformes à leurs obligations en matière de droits humains.

Parmi les principes clefs d’une stratégie de logement fondée sur les droits humains cités par la rapporteuse spéciale figure le fait que le droit au logement devrait être reconnu dans les stratégies de logement comme un droit prévu par la loi et faire l’objet de recours utiles.

Sécurité légale de l'occupation

Amnistie internationale demande que les stratégies de logement fondées sur les droits humains prévoient un cadre juridique garantissant, au moins, un niveau minimum de sécurité d'occupation, afin de protéger les habitants contre les expulsions forcées, le harcèlement et les menaces. Comme le note la rapporteuse spéciale, pour garantir la sécurité légale de l'occupation, il est nécessaire de renforcer les diverses formes d'occupation, comme l’occupation informelle, individuelle, collective ou encore l’occupation en tant que locataire. Récemment, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a confirmé l'obligation positive de l'État espagnol de protéger le droit au logement, y compris dans le cas de baux conclus entre particuliers ou lorsqu'une expulsion est justifiée.

Amnistie internationale a demandé sans relâche que la sécurité d'occupation soit assurée sur place. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles et après une véritable consultation avec les personnes affectées et la mise en place d’autres mesures de protection qu'une expulsion et une réinstallation peuvent être envisagées comme des solutions permettant de leur apporter une certaine sécurité d'occupation.

Cependant, Amnistie internationale a constaté que les États n'ont guère pris de mesures pour respecter leur obligation immédiate de garantir la sécurité d'occupation et ont, dans certains cas, rendu très difficile l'accès à cette sécurité. Ainsi, à Lagos, au Nigeria, 70 % de la population vit dans des bidonvilles ou des quartiers informels, selon les estimations, et la sécurité d'occupation reste hors de portée de la grande majorité de ces personnes. Des experts en droit foncier de l'État de Lagos ont indiqué à Amnistie internationale que la procédure pour bénéficier d’un niveau minimum de sécurité d'occupation est laborieuse, longue, minée par la corruption et trop coûteuse pour les personnes pauvres vivant en zone urbaine.

Expulsions forcées

Dans les orientations qu'elle propose pour les stratégies de logement fondées sur les droits humains, la rapporteuse spéciale précise également que la prévention et l’interruption des expulsions forcées doivent être considérées comme des obligations immédiates et prioritaires. Amnistie internationale salue cette déclaration. L'organisation a recensé des expulsions forcées tant dans des pays en développement que dans des pays développés. Quelle que soit la région, les personnes et les groupes touchés par ces expulsions sont parmi les plus défavorisés.

Amnistie internationale a recueilli des informations sur des expulsions forcées de membres du peuple autochtone sengwer dans la forêt d'Embobut, au Kenya, menées par le Service des forêts du Kenya. La vague la plus récente d'expulsions forcées a débuté le 29 décembre 2017 et, selon les informations disponibles, se poursuit à l’heure actuelle. Le Service des forêts du Kenya a procédé à ces expulsions en dépit d'une injonction émise en 2013 (et renouvelée plusieurs fois par la suite) interdisant l'expulsion ou l'arrestation de Sengwers vivant dans la forêt, dans l'attente de l'audience consacrée à la reconnaissance du droit constitutionnel de la communauté sengwer à la terre et à l'arrêt des expulsions.

Ne laisser personne de côté

Dans son rapport, la rapporteuse spéciale demande aux États de veiller à ce que les stratégies de logement identifient les groupes défavorisés en matière de logement et remédient aux difficultés particulières auxquelles ils se heurtent. À cette fin, conformément au principe consistant à « ne laisser personne de côté », qui figure parmi les Objectifs de développement durable, Amnistie internationale enjoint aux gouvernements nationaux et locaux de veiller à ce que les stratégies, les projets et les politiques en matière de logement garantissent une participation véritable des personnes concernées, ainsi que l'égalité et la non-discrimination dans toutes les étapes de planification et de mise en œuvre. Dès lors, les stratégies de logement doivent être conçues pour bénéficier en priorité aux personnes les plus défavorisées, notamment les personnes vivant dans la pauvreté, les minorités sociales, religieuses, ethniques ou sexuelles, les personnes handicapées, les personnes vivant avec le VIH/sida, les personnes âgées, les peuples autochtones, et les personnes réfugiées, déplacées ou migrantes. Généralement, les femmes, les jeunes et les enfants figurent également parmi les personnes les plus défavorisées. Les stratégies de logement doivent également prévoir une collecte de données ventilées, ainsi que la mise en place d'indicateurs et de critères de référence et leur suivi.

Amnistie internationale a constaté que souvent, par action ou par omission, certains gouvernements ne prenaient pas les mesures nécessaires pour que leurs politiques en matière de logement protègent les personnes les plus exposées à des atteintes aux droits humains.

Ainsi, à Rome, en Italie, Amnistie internationale s'est aperçue que des Roms vivant dans des camps étaient de fait exclus des programmes de logements sociaux. Malgré les demandes nombreuses et répétées, très peu de familles roms vivaient dans les quelque 50 000 logements sociaux en 2013. Jusqu'alors, en raison du caractère prioritaire de certains critères au sein du système d'allocation des logements sociaux, les Roms étaient touchés par des inégalités en matière d’accès aux logements sociaux. Bien que les critères discriminatoires aient depuis lors été supprimés à Rome, ailleurs, les autorités italiennes continuent de proposer aux Roms des logements inadéquats dans des camps isolés du reste de la population. Amnistie internationale a notamment recommandé aux autorités italiennes de veiller à ce que chacun bénéficie d’un accès effectif aux logements sociaux, y compris les Roms, et à ce que l'attribution d'un logement social repose sur les besoins et respecte des principes de non-discrimination, d'équité, de transparence, d'obligation de rendre des comptes et de participation.

Accès aux services de base

Amnistie internationale soutient la déclaration de la rapporteuse spéciale selon laquelle les stratégies de logement fondées sur les droits humains doivent garantir la prise en compte de toutes les dimensions du droit à un logement convenable dans différents contextes, et selon laquelle chacun des éléments caractéristiques d’un logement convenable énoncés dans l'observation générale n° 4 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels est associé à des obligations particulières.

Amnistie internationale a néanmoins recueilli des informations concernant différents pays, partout dans le monde, dont les gouvernements ont failli à leurs obligations en la matière. En Slovénie, la discrimination permanente à l'encontre des Roms a condamné nombre d'entre eux à vivre dans des logements sans services essentiels. Certaines municipalités avaient refusé de fournir des services publics aux Roms au motif que leurs quartiers étaient « illégaux », alors que ces familles y vivaient depuis des décennies. Certains Roms devaient par conséquent parcourir de longues distances avec des bidons, qu'ils remplissaient d'eau dans des stations essence, des cimetières ou des ruisseaux pollués. Amnistie internationale a demandé au gouvernement slovène d'allouer davantage de ressources appropriées aux municipalités, afin de les aider à régulariser les quartiers informels et y permettre un accès aux services et aux infrastructures. En novembre 2016, la Slovénie a modifié sa Constitution pour que le droit à l'eau pour tous soit garanti. Bien qu’il s’agisse d’une évolution positive, il reste à voir dans quelle mesure elle sera appliquée aux communautés roms.

Lutte contre la privation de logement

La rapporteuse spéciale souligne également que les stratégies de logement doivent mettre un terme à la privation de logement. On considère qu’un État bafoue ses obligations aux termes du droit international relatif aux droits humains si une partie importante de sa population est privée d’abri décent ou de logement. Remédier à la privation de logement est par conséquent une obligation immédiate. Amnistie internationale a néanmoins constaté que, partout dans le monde, au lieu de s'attaquer aux causes profondes du problème de la privation de logement, des gouvernements ciblent de plus en plus les personnes sans domicile au moyen de lois et de réglementations pénales. Ainsi, au Brésil, les enfants et les adolescents qui vivent dans les rues sont souvent arrêtés et placés de force dans divers établissements. Le démantèlement des programmes sociaux, la faible disponibilité des services et infrastructures pour ce groupe d'âge et le non-respect des garanties d’une procédure régulière par les représentants de l'État ont engendré de nouvelles atteintes aux droits des enfants vivant dans les rues.

RECOMMANDATIONS

Amnistie internationale demande au Conseil des droits de l'homme d’engager les États à veiller à ce que leurs stratégies de logement soient fondées sur les droits humains et à utiliser les principes et la liste de points à vérifier fournis par la rapporteuse spéciale, afin de respecter leurs engagements pris dans le cadre des Objectifs de développement durable et du Nouveau programme pour les villes.