Pourquoi les progrès de la Gambie doivent inciter à abolir la peine de mort dans toute l’Afrique
Sabrina Mahtani, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest à Amnistie internationale. Suivez-la sur Twitter : @sabrina_mahtani
Il n’y a pas si longtemps, l’abolition de la peine de mort en Gambie semblait utopique.
En août 2012, sous le régime de l’ancien président Yahya Jammeh, neuf prisonniers ont été exécutés en une nuit. Ni leur famille ni leur avocat n’avaient été prévenus et l’Organisation des Nations unies (ONU) a qualifié ces homicides d’« arbitraires ».
Contre toute attente, le 18 février dernier, à l’occasion du 53e anniversaire de l’indépendance du pays, le président Adama Barrow a annoncé un moratoire officiel sur les exécutions en vue de l’abolition de la peine de mort.
Tardivement mais résolument, la Gambie s’apprête à abandonner ce châtiment cruel, inhumain et dégradant. Près de la moitié des 18 pays d’Afrique de l’Ouest ont désormais aboli la peine capitale.
Toutefois, tous les pays ne progressent pas sur ce point et, malheureusement, certains opèrent même un retour en arrière.
En 2016, le ministre sierra-léonais de l’Intérieur a ordonné publiquement de nettoyer la potence et a affirmé son soutien à la peine de mort, bien que l’ancien procureur général ait promis à l’ONU en 2014 que son pays abolirait ce châtiment. En 2017, le gouvernement a rédigé un livre blanc dans lequel il rejetait la recommandation de la Commission de révision de la Constitution en faveur de l’abolition.
Ces exemples montrent qu’il est nécessaire de redoubler d’efforts sur la question de l’abolition de la peine capitale en Afrique.
Les arguments qui plaident pour l’abolition sont nombreux. Tout d’abord, il n’existe aucune preuve crédible que la peine de mort soit dissuasive. Dans une publication de l’ONU datant de 2015, Jeffrey Fagan a indiqué : « Que l’infraction soit un meurtre, un crime lié aux stupéfiants ou un acte terroriste, les éléments scientifiques selon lesquels il existerait un effet dissuasif ne sont ni fiables, ni concluants et, dans bien des cas, ils sont tout simplement erronés »
Or, la peine de mort est souvent discriminatoire et frappe de manière disproportionnée les pauvres et les minorités. Les personnes exécutées ne sont pas uniquement celles qui ont commis les pires crimes, mais également celles qui sont trop pauvres pour engager des avocats qualifiés et celles qui sont confrontées à des procureurs ou à des juges particulièrement sévères.
Entre 2016 et 2017, des délégués d’Amnistie internationale se sont entretenus avec 107 des 148 prisonniers sous le coup d’une condamnation à mort au Ghana. Bien que les trois quarts des détenus aient été assistés, à leur procès, d’un avocat commis par le Programme d’aide juridictionnelle, sous-financé dans ce pays, plusieurs ont déclaré que leur avocat n’avait pas été présent à toutes les audiences et qu’ils n’avaient pas eu suffisamment de temps pour s’entretenir avec lui. Un certain nombre d’entre eux ont ajouté que leur avocat leur avait demandé de le rémunérer.
« Mon avocat dit qu’il ne peut pas travailler sans argent », m’a expliqué un homme.
Selon l’administration pénitentiaire ghanéenne, seuls 12 condamnés à mort ont interjeté appel depuis 2006. La moitié de ces recours ont abouti. Cependant, la plupart des prisonniers sous le coup d’une condamnation à mort ignoraient qu’ils avaient le droit d’interjeter appel ou comment obtenir une aide juridictionnelle ; moins d’un quart des intéressés avaient pu former un recours.
Une femme m’a signalé qu’un avocat privé avait réclamé 60 millions de cédis (soit plus de 12 000 dollars des États-Unis) pour interjeter appel. Un homme a indiqué que son appel s’était trouvé bloqué lorsque son avocat avait exigé davantage d’argent.
La peine de mort est irréversible et exclut toute possibilité de réinsertion de la personne ayant commis le crime. Aucun système judiciaire n’est en mesure de décider de façon équitable, constante et infaillible qui doit vivre ou mourir. Le risque d’exécuter un innocent existera toujours.
J’ai travaillé sur un appel concernant la femme qui a passé le plus de temps dans le quartier des condamnés à mort en Sierra Leone. M. K. a été arrêtée en 2003 et condamnée à mort en 2005 pour avoir tué sa belle-fille. Elle n’a bénéficié ni des conseils d’un avocat ni d’une aide juridictionnelle entre son arrestation et son procès.
M. K., qui est analphabète, a apposé l’empreinte de son pouce au bas d’aveux, lesquels ont été utilisés lors du procès. Assistée d’un avocat qui a été commis d’office au début du procès, elle n’a pu exposer ses arguments qu’à trois reprises, pendant 15 minutes au maximum à chaque fois.
Au moment de sa condamnation, elle n’a pas été informée qu’elle n’avait que 21 jours pour faire appel. De surcroît, son dossier n’a pas été envoyé au cabinet présidentiel pour être réexaminé, conformément à la législation en vigueur.
M. K. était enceinte et a fait une fausse couche pendant qu’elle était en prison. Un nouvel avocat engagé par AdvocAid, une organisation non gouvernementale locale, a interjeté appel en 2008, mais ce recours a été rejeté en raison du dépassement du délai.
Toutefois, en novembre 2010, la cour d’appel a accepté d’examiner de nouveau l’affaire. En mars 2011, elle a donné raison aux avocats d’AdvocAid qui défendaient M. K., considérant que les diverses irrégularités de procédure constatées lors du procès invalidaient celui-ci. La déclaration de culpabilité a été annulée et M. K. a été libérée après six années passées dans le quartier des condamnés à mort.
Le 22 mai 2017, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a adopté une résolution sur le droit à la vie en Afrique. Dans ce texte, elle exhortait les pays ayant établi un moratoire sur les exécutions à prendre des mesures en vue de l’abolition et les autres à instaurer immédiatement un moratoire de ce type.
En Afrique de l’Ouest, aucun pays anglophone n’a aboli la peine de mort, ce sont les pays francophones et lusophones qui ont pris la tête du mouvement. L’annonce faite par le président Barrow donne l’espoir que la Gambie soit le premier.