• 1 déc 2025
  • Liban
  • Communiqué de presse

La secrétaire générale d’Amnistie internationale appelle à l’établissement des responsabilités et au respect de la liberté d’expression lors d’une visite au Liban

Lors d’une mission de haut niveau au Liban du 23 au 25 novembre, Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnistie internationale, a demandé aux autorités libanaises de prendre des mesures concrètes en faveur : de l’obligation de rendre des comptes pour des atteintes au droit international humanitaire commises durant le conflit armé avec Israël ; de la justice pour les victimes de l’explosion au port de Beyrouth ; et du soutien aux initiatives visant à renforcer la protection de la liberté d’expression et de l’espace civique. 

 Durant sa visite, Agnès Callamard a rencontré le Premier ministre, Nawaf Salam, et le ministre de la Justice, Adel Nassar, ainsi que des défenseur·e·s locaux des droits humains, et des victimes et familles de victimes de violations de ces droits. 

 « En quelques années à peine, les Libanais·e·s ont été confrontés à une guerre dévastatrice avec Israël, à une des plus vastes explosions non nucléaires de l’histoire, et à un effondrement brutal de l’économie. Les préjudices persistent et les victimes continuent à attendre que les responsables présumés soient amenés à rendre des comptes », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnistie internationale. 

 « Le gouvernement libanais a l’opportunité rare et urgente de rompre de manière décisive avec des années d’impunité, de mauvaise gestion et d’abus - et de placer les droits humains au cœur de ses priorités. Lors de mes discussions avec des responsables libanais, ils ont exprimé une volonté de dialogue sur des questions cruciales en matière de droits humains. Maintenant, le véritable test consistera à traduire ces paroles en actes. Le gouvernement doit tenir ses promesses - en garantissant que l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth puisse être menée à bien sans ingérence politique, en prenant des mesures pour que les autorités israéliennes soient amenées à rendre des comptes pour les crimes de guerre commis au Liban depuis octobre 2023, en dépénalisant la diffamation, en rendant justice aux victimes d’assassinats politiques, notamment Lokman Slim, et en faisant progresser les réformes institutionnelles. » 

 Cette mission s’est déroulée à un moment critique, presque exactement un an après le cessez-le-feu conclu le 27 novembre 2024, censé mettre fin aux hostilités de grande ampleur entre Israël et le Hezbollah. Malgré ce cessez-le-feu, Israël a continué à causer des destructions très étendues le long des frontières libanaises, à mener des attaques à l’intérieur du Liban, et a refusé de se retirer de zones du territoire libanais, tandis que des populations du sud du pays restent déplacées, vivant dans l’insécurité, sans qu’aucun plan de reconstruction respectueux des droits humains ne soit en vue. 

Justice et obligation de rendre des comptes pour les violations du droit international humanitaire 

Depuis octobre 2023, Amnistie internationale a dénoncé des violations graves perpétrées par les forces israéliennes durant la guerre contre le Liban, notamment des frappes aériennes illégales contre des civil·e·s ou des biens de caractère civil, devant donner lieu à des enquêtes pour crimes de guerre, l’utilisation par l’armée israélienne de phosphore blanc, des explosions de masse simultanées et aveugles au moyen d’appareils électroniques, et des attaques contre des journalistes, des établissements de santé, des ambulances et des secouristes. Amnistie internationale a également fait état de salves de roquettes non guidées tirées par le Hezbollah sur des zones civiles densément peuplées en Israël. 

 Après le cessez-le-feu de novembre 2024, l'organisation a également constaté que l’armée israélienne a détruit et fortement endommagé des structures civiles et des terres agricoles du sud du Liban entre le 1er octobre 2024 et le 26 janvier 2025. 

 À ce jour, le gouvernement libanais n’a pas pris de mesures significatives afin de garantir l’établissement des responsabilités, des voies de recours ou l’octroi de réparations pour des violations du droit international humanitaire et de crimes au regard du droit international commis durant le conflit. 

« La politique ne doit jamais faire obstacle à la justice, à la vérité et aux réparations. Les autorités libanaises doivent explorer toutes les solutions possibles afin d’obtenir des comptes - en diligentant des enquêtes crédibles sur des crimes de guerre présumés, en établissant un registre de l’ensemble des homicides, des blessures et destructions, en habilitant la Cour pénale internationale à agir, et en prenant des mesures concrètes que les personnes et communautés touchées reçoivent des réparations. Amnistie internationale exhorte aussi le gouvernement libanais à user de sa voix sur la scène internationale pour condamner avec force le meurtre de journalistes dans les conflits armés, et plus largement défendre la protection de l’ordre mondial fondé sur le droit », a déclaré Agnès Callamard. 

Justice pour les victimes de l’explosion au port de Beyrouth 

Plus de cinq ans après l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth - l’une des plus violentes déflagrations non nucléaires de l’histoire, qui a tué au moins 236 personnes, en a blessé plus de 7 000 et a dévasté une grande partie de Beyrouth -, les victimes et leurs familles attendent toujours d’obtenir vérité et justice. Les autorités avaient à plusieurs reprises bloqué les enquêtes nationales en soustrayant des figures politiques et des représentants de l’État à l’obligation de rendre des comptes. En janvier 2025, le juge Tarek Bitar a officiellement repris le travail après une longue suspension, envoyant de nouvelles convocations et reprenant les interrogatoires de hauts fonctionnaires des services de sécurité. Le progrès de cette enquête reste cependant incertain. L’organisation a demandé aux autorités de protéger la voie vers la justice pour les victimes de l’explosion du port de Beyrouth, en garantissant que l’enquête soit approfondie et indépendante, sans ingérence politique.  

 « Ceci est un test pour le Liban et un moment critique pour le rétablissement de la confiance du public dans le système judiciaire. Les familles de victimes se sont montrées extraordinairement persistantes dans leur quête de vérité. Les autorités libanaises ne doivent plus attendre pour faire preuve d’une véritable volonté politique, qui soit à la hauteur de ce courage », a déclaré Agnès Callamard. 

Enquêtes sur les homicides à caractère politique 

Le Liban est de longue date le théâtre d’assassinats politiques n’ayant pas donné lieu à des enquêtes efficaces permettant d’identifier tous les responsables et de les amener à répondre de leurs actes. Lokman Slim, intellectuel, éditeur et défenseur des droits humains, a été tué dans le sud du Liban le 3 février 2021. L’enquête sur son homicide est restée au point mort pendant trois ans, avant d’être classée en décembre 2024. Une nouvelle juge a été nommée en mai 2025, et a présidé une audience en juin. 

« Nous nous félicitons qu’après des années de tergiversations, il semble que l’enquête sur le meurtre de Lokman Slim suscite un intérêt renouvelé. Nous demandons aux autorités judiciaires de veiller à ce qu’il ne s’agisse pas d’un autre faux départ et à ce que l’enquête permette que les responsables de cet homicide, notamment les commanditaires, soient inculpés et amenés à rendre des comptes », a déclaré Agnès Callamard. 

Législation relative aux médias et protection de la liberté d’expression 

Amnistie internationale continue à déplorer vivement que des dispositions pénales relatives à la diffamation et à l’outrage soient utilisées à mauvais escient afin d’intimider journalistes, militant·e·s et citoyen·ne·s qui critiquent les personnes au pouvoir. Alors que le Parlement examine la révision d’une proposition de loi relative aux médias, la délégation a encouragé les autorités à soutenir des réformes abolissant les peines de prison et la détention provisoire pour des infractions liées à l’expression, et à remplacer les lois pénales sur la diffamation par de nouvelles dispositions civiles. 

Complément d’information  

Agnès Callamard est une experte internationale des droits humains. Fervente défenseure de la liberté d’expression, militante féministe et anti-raciste, elle a été au premier plan d’initiatives internationales visant à faire face à certains des plus grands défis de notre temps en matière de droits humains. En 2021, elle a été nommée secrétaire générale d’Amnistie internationale, après avoir occupé la fonction de rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.