• 6 Juil 2023
  • Soudan
  • Communiqué de presse

Les pays voisins doivent assurer le passage en toute sécurité des personnes fuyant le conflit

Les pays limitrophes du Soudan doivent immédiatement lever les restrictions d’entrée pour ceux qui fuient le conflit dans le pays et garantir l’accès à la protection et à la sécurité aux plus de 500 000 personnes qui ont déjà fui les combats, a déclaré Amnistie internationale le 6 juillet 2023.

Entre le 9 mai et le 16 juin, Amnistie internationale a interrogé 29 civil·e·s confrontés au choix difficile de retourner vers le conflit qu’ils ont fui ou de rester bloqués à la frontière, où ils risquent d’attendre pendant une période indéterminée sans disposer des produits essentiels pour préserver leur santé, leur intimité et leur dignité.

Parmi les personnes interrogées, certaines se trouvaient à Wadi Halfa, près de la frontière avec l’Égypte, et à Port-Soudan, un port situé sur la mer Rouge, tandis que d’autres avaient franchi les postes-frontières soudanais à différents endroits et se trouvaient ou prévoyaient de se rendre dans des lieux comme Addis-Abeba en Éthiopie, Djouba et Renk au Soudan du Sud, le Caire en Égypte, Doubaï aux Émirats arabes unis et N’Djamena au Tchad.

« Autoriser toutes les personnes fuyant le conflit à franchir rapidement les frontières et leur permettre sans délai de faire enregistrer leur demande d’asile contribuerait à soulager la situation humanitaire désastreuse le long des frontières », a déclaré Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnistie internationale.

Omar*, un homme de 35 ans qui se trouve à Port-Soudan depuis fin avril, n’a pas été autorisé à partir faute de passeport. Il a expliqué à Amnistie internationale qu’il avait fait une demande pour un visa Schengen et que son passeport se trouvait à l’ambassade de Khartoum lorsque la guerre a éclaté.

« Les États ne doivent pas refuser l’accès aux personnes qui fuient un conflit au motif qu’elles n’ont pas de documents d’identité ou de visas. Pourtant, les règles d’entrée strictes imposées à celles qui n’ont pas de documents de voyage ou de visas valides créent des obstacles insurmontables, alors qu’elles ont un besoin urgent de se mettre en sécurité, ce qui les expose à de graves risques.

« D’innombrables personnes qui ont réussi à franchir les frontières restent plongées dans l’incertitude et demeurent très fragiles. Elles rencontrent des difficultés pour accéder à l’asile ou maintenir leur statut parce qu’elles ne sont pas en mesure de renouveler des documents d’identité en cours d’expiration ou ayant expiré. »

La situation des personnes fuyant le Soudan est encore aggravée par le refus d’entrée opposé à certains demandeurs·euses d’asile, ce qui les expose au risque d’être renvoyés vers les dangers qu’ils tentaient de fuir.

Lors de l’évacuation de Port-Soudan en avril 2023, les pays qui ont réagi en évacuant leurs ressortissants ont refusé d’évacuer les Soudanais qui n’avaient pas de visa.

Amnistie internationale a également interrogé des témoins et des travailleurs humanitaires, et a analysé des documents, des vidéos, des photos et des rapports émanant de médias et d’ONG de la région afin de vérifier les informations.

 

Les autorités soudanaises procèdent à des « enquêtes de sécurité »

Les personnes fuyant le conflit à Khartoum et dans l’ensemble du pays ont dû franchir plusieurs barrages routiers et points de contrôle où elles ont été harcelées et menacées par les autorités, entravant ainsi leur capacité à sortir facilement du pays.

Amnistie internationale a reçu des informations faisant état d’une nette augmentation du coût des trajets entre Khartoum et la frontière, ce qui restreint les possibilités pour ceux qui tentent de fuir les violences.

Trois personnes interviewées ont déclaré avoir été interrogées par l’armée soudanaise alors qu’elles tentaient de partir, ce qui a compliqué leur départ et a entraîné des retards à la frontière. L’une d’entre elles a déclaré : « Des agents de l’immigration à Qadarif [près de la frontière avec l’Éthiopie] m’ont dit que je devais être interrogé par un agent du renseignement militaire. Il m’a interrogé pendant deux heures en me demandant pourquoi je partais, ce que je faisais à Khartoum et si j’étais prêt à rejoindre l’armée. J’ai répondu que je voulais me rendre en Éthiopie pour me mettre à l’abri. Il m’a autorisé à passer. »

Ali*, 26 ans, a dû appeler un témoin pour confirmer son identité lorsqu’il a été contrôlé par un membre des forces de sécurité soudanaises et a dû payer pour obtenir une habilitation de sécurité afin de passer en Éthiopie, par le poste-frontière de Gallabat. Il a payé environ 2 000 livres soudanaises (un peu plus de 3 euros) pour un service auparavant gratuit.

 

La situation humanitaire

Selon les informations recueillies, les installations situées à la frontière et dans les villes alentour n’ont pas une capacité suffisante pour accueillir les centaines de personnes qui attendent aux points de passage de Qustul et d’Argeen, près de Wadi Halfa.

Osman*, un homme de 30 ans, a déclaré que les personnes bloquées à la frontière à Wadi Halfa étaient obligées de passer la nuit dehors, sans abri, sans eau ni nourriture. L’absence d’installations de base, telles que des toilettes et de l’eau potable, donne lieu à un environnement insalubre présentant de nombreux risques, en particulier pour les personnes âgées et les enfants. Si Osman a reconnu la présence de la Croix-Rouge du côté égyptien de la frontière, il a noté l’absence d’assistance médicale côté soudanais.

Aamira*, une femme de 30 ans, a expliqué que sa famille avait dormi à l’extérieur du bus pendant huit heures en attendant d’être autorisée à passer les contrôles frontaliers : « Nous sommes arrivés de nuit, et la frontière égyptienne était fermée. Nous avons dû dormir dehors. Les membres de ma famille sont restés bloqués au poste d’Argeen pendant plus de trois jours sans être pris en charge. Il n’y avait ni assistance médicale, ni eau pour les toilettes. »

 

Les autorités égyptiennes imposent des restrictions supplémentaires

L’Égypte a reçu le nombre le plus élevé de personnes fuyant le conflit au Soudan : en effet, plus de 250 000 ressortissants soudanais étaient entrés en Égypte au 26 juin, selon le ministère égyptien des Affaires étrangères.

D’après les informations recueillies par Amnistie internationale, au 10 juin 2023, les autorités égyptiennes ont exigé de tous les ressortissants soudanais qu’ils obtiennent un visa d’entrée délivré par le bureau consulaire égyptien de Wadi Halfa ou de Port-Soudan, invoquant la nécessité de lutter contre les faux visas et de mieux gérer l’afflux en Égypte.

Jusqu’à cette date, et conformément à la règlementation antérieure au conflit, des visas d’entrée étaient requis pour les adolescents soudanais de plus de 16 ans et les hommes de moins de 50 ans. Au début de la crise, les services égyptiens de l’immigration acceptaient les documents de voyage temporaires aux points de passage terrestres du Soudan vers l’Égypte pour les femmes, les filles, les garçons de moins de 16 ans et les hommes de plus de 50 ans.

Cependant, cette pratique a été abandonnée sans avertissement le 25 mai dernier, générant chaos, retards importants et surpopulation aux postes-frontières. Les autorités égyptiennes sont également revenues sur des pratiques antérieures consistant à autoriser l’entrée aux Soudanais·es munis de passeports périmés, dont la validité avait été prolongée de six mois, et à permettre d’ajouter des enfants sur les passeports de leurs parents.

En vertu d’une autre décision qu’a examinée Amnistie internationale, en date du 29 mai 2023, elles ont introduit une exigence supplémentaire d’habilitation de sécurité pour les garçons et les hommes âgés de 16 à 50 ans qui entrent en Égypte via l’aéroport international du Caire. Il est précisé que l’entrée en Égypte requiert que le numéro d’habilitation soit imprimé et daté sur le visa d’entrée.

Par ailleurs, Amnistie internationale a reçu des informations très inquiétantes selon lesquelles les autorités égyptiennes refusent l’entrée aux frontières terrestres à certains ressortissants syriens et érythréens fuyant le Soudan. D’après un témoin, fin avril, certains se sont vu refuser l’entrée à la frontière égyptienne d’Argeen parce que leurs documents étaient périmés, et la famille a alors été séparée.

Le 7 juin, les médias égyptiens ont évoqué la volonté des autorités d’accélérer l’adoption d’une nouvelle loi sur l’asile. Le projet de loi n’a pas encore été rendu public, mais des informations laissent à penser qu’en vertu du texte, toutes les personnes demandeuses d’asile et réfugiées dans le pays seront tenues de s’enregistrer auprès des autorités et de régulariser leur situation dans les six mois suivant l’entrée en vigueur des décrets d’application de la loi.

Sur les images satellite de la frontière d’Argeen entre le 6 et le 23 juin qu’a pu se procurer Amnistie internationale, on peut voir une nette augmentation du nombre de véhicules côté soudanais de la frontière.

 

Une réponse régionale à la question des réfugié·e·s

Des organisations locales et dirigées localement apportent leur soutien aux Soudanais·es qui fuient le conflit, en particulier le long de la frontière entre le Soudan et le Soudan du Sud, et dans les régions frontalières entre le Soudan et le Tchad. Le manque de soutien de la communauté internationale exacerbe la situation déjà fragile en tirant sur les ressources disponibles limitées dans les communautés locales de part et d’autre des frontières.

Au Tchad, les organisations humanitaires fournissent eau, nourriture, soins de santé et abris à plus de 120 000 Soudanais·es qui ont traversé la frontière depuis le début du conflit. Le Soudan du Sud a également accueilli récemment 129 000 personnes venues du Soudan.

Au 27 juin, 13 % seulement des 510,3 millions d’euros demandés par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) pour la réponse régionale aux réfugiés soudanais ont été financés.

« Amnistie internationale invite les pays voisins du Soudan à respecter les obligations qui leur incombent en vertu du droit international relatif aux droits humains et du droit des réfugiés et à ouvrir leurs frontières aux personnes fuyant ce conflit qui se durcit, a déclaré Tigere Chagutah.

« Tous les pays doivent lever les restrictions qui empêchent l’entrée rapide, sûre et digne de toutes les personnes fuyant le Soudan, sans discrimination, en veillant à permettre un accès sans entrave à des procédures d’asile équitables et efficaces et à l’aide humanitaire.

« Enfin, les autorités égyptiennes doivent veiller à ce que les propositions de loi et de règlementations visant à régir l’asile dans le pays soient pleinement conformes aux normes internationales relatives aux droits humains et au droit des réfugiés. »

 

Complément d’information

Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), plus de 563 000 personnes ont franchi les frontières en quête de sécurité et de protection depuis que la crise a éclaté au Soudan. Les organisations humanitaires qui s’occupent de la situation au Soudan à l’intérieur et à l’extérieur du pays font état d’une situation humanitaire désastreuse, et insistent sur la nécessité d’apporter une aide et un soutien immédiats.