Lors de leur rencontre, Joe Biden et Narendra Modi doivent aborder les graves préoccupations relatives aux droits humains
Les gouvernements des États-Unis et de l’Inde doivent aborder les graves problèmes relatifs aux droits humains que connaissent les deux pays lors de la rencontre entre le Premier ministre Narendra Modi et le président Joe Biden à Washington D.C., a déclaré Amnistie internationale à la veille de cette visite d’État prévue cette semaine.
« Le Premier ministre Narendra Modi est aux manettes alors que les protections des droits humains connaissent une dégradation rapide en Inde – hausse des violences à l’égard des minorités religieuses, rétrécissement de l’espace de la société civile et criminalisation de la dissidence notamment. Parallèlement, le mandat du président Joe Biden est marqué par une période néfaste de recul des droits en matière de procréation et d’augmentation des attaques virulentes contre les LGBTQI+ au niveau des États, dans un climat politique émaillé de racisme structurel et d’injustice socio-économique, a déclaré Amanda Klasing, directrice nationale des relations avec le gouvernement et du plaidoyer à Amnistie internationale États-Unis.
« Ces préoccupations en matière de droits humains sont loin d’être des questions marginales. Elles sont fondamentales pour déterminer comment fonctionne un gouvernement, les personnes qu’il sert, et celles qu’il laisse de côté. Ce sera un test crucial pour l’alliance entre l’Inde et les États-Unis de savoir si ces deux leaders sont capables d’engager de véritables discussions sur ces manquements inquiétants de leurs gouvernements en matière de droits humains. »
Au cours de sa première visite officielle aux États-Unis, le Premier ministre indien est convié à un dîner d’État ainsi qu’à un discours devant une session conjointe du Congrès américain, la semaine du 22 juin.
« Tandis que les États-Unis déroulent le tapis rouge pour le Premier ministre indien, ses compatriotes continuent de subir de graves violations des droits humains. L’Inde et les États-Unis sont des partenaires et des alliés importants dans divers forums mondiaux, notamment le G20 et le Dialogue de sécurité quadrilatéral (Quad). En tant que dirigeants de nations qui cherchent à accroître ou à conserver leur leadership mondial, Joe Biden et Narendra Modi doivent se demander mutuellement de rendre compte de leurs engagements en matière de droits humains, plutôt que de balayer sous le tapis les problèmes dans leurs pays respectifs », a déclaré Aakar Patel, président du conseil exécutif d’Amnistie internationale Inde.
Amnistie internationale a constaté que la criminalisation par le gouvernement indien de la liberté d’expression et de réunion pacifique impose de dangereuses restrictions à la société civile. Défenseur·e·s des droits humains, journalistes, avocat·e·s, opposant·e·s politiques, manifestant·e·s pacifiques, universitaires et étudiant·e·s, tous sont en butte à des arrestations et détentions arbitraires, à des poursuites iniques et à d’autres formes de harcèlement et d’intimidation.
Les agences du gouvernement chargées des finances et des enquêtes sont instrumentalisées dans le but de harceler, réduire au silence et réprimer pénalement les voix critiques indépendantes, y compris des organisations médiatiques telles que la BBC et des organisations non gouvernementales de premier plan telles que Greenpeace Inde, Oxfam Inde, Independent and Public-Spirited Media Foundation (IPSMF), Centre for Policy Research, Amnistie internationale Inde et d’autres encore.
« Le gouvernement indien s’appuie sur un éventail grandissant de méthodes pour réprimer la dissidence, ciblant désormais les détracteurs en ligne, censurant militant·e·s et journalistes, et les plaçant sous surveillance. Le président Joe Biden doit inviter le Premier ministre Narendra Modi à mettre fin à l’utilisation abusive des lois par son gouvernement pour s’en prendre à la société civile et à la liberté d’expression, a déclaré Aakar Patel. Il doit également faire part de son inquiétude quant au recours abusif par le Parti du peuple indien Bharatiya Janata (BJP) à des lois et politiques visant à favoriser une discrimination systématique à l’encontre des minorités religieuses. »
Poussés par l’idéologie nationaliste discriminatoire de l’Hindutva (hindouité), de nombreux gouvernements d’État en Inde ont adopté des lois érigeant en infraction les mariages interconfessionnels consentis et ont entrepris des démolitions à titre punitif ciblant les propriétés appartenant à des musulmans. Les victimes de ces démolitions continuent de lutter pour obtenir des indemnisations et d’autres recours.
De nombreux éléments ont été recueillis sur le ciblage des minorités religieuses en Inde, y compris par le Département d’État américain. Au début de l’année, la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale (USCIRF) a recommandé, pour la quatrième année consécutive, que l’Inde soit ajoutée à la liste des pays qui perpétuent des violations systémiques et flagrantes du droit à la liberté de religion, déclarant que les conditions pour les minorités religieuses « ont continué de s’aggraver » tout au long de l’année 2022. Le rapport 2022 du Département d’État américain sur la liberté religieuse internationale pointe des « violences commises par les autorités gouvernementales à l’encontre de membres de minorités religieuses ».
« Le président Joe Biden ne saurait ignorer les preuves fournies par son propre Département d’État, a déclaré Amanda Klasing. Il doit affirmer clairement que la montée de l’intolérance et de la violence est une préoccupation majeure de son gouvernement et inciter le Premier ministre Narendra Modi à faire comprendre aux dirigeants du BJP qu’il est urgent de cesser d’employer un langage au vitriol et de veiller à ce que les crimes commis contre des groupes religieux fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites. »
Notons que la visite du Premier ministre Narendra Modi intervient dans un climat épineux pour les droits humains aux États-Unis également. Sous la présidence de Joe Biden, les États-Unis ont connu un net recul en matière d’accès à l’avortement. À la suite de la décision de la Cour suprême des États-Unis de juin 2022 annulant la garantie constitutionnelle d’accès à l’avortement, au moins 14 États ont mis en place des interdictions totales ou quasi-totales, et de nombreux autres proposent des lois restrictives. Le pouvoir de légaliser pleinement l’avortement dans tout le pays appartient au Congrès américain, mais le président dispose d’une forte autorité pour soutenir l’accès à l’avortement dans l’intervalle. Il a certes signé un décret, mais il peut faire davantage, notamment en décrétant une urgence sanitaire nationale afin de protéger l’accès à l’avortement aux États-Unis.
Compte tenu de l’arrêt de la Cour suprême indienne en 2022, qui étend le droit à l’avortement à toutes les femmes indépendamment de leur situation matrimoniale, et de l’impact délétère que l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis a sur l’accès à la santé non seulement aux États-Unis mais aussi dans le monde entier, Amnistie internationale demande au Premier ministre Narendra Modi de faire pression sur le président Joe Biden pour qu’il use de toute son autorité afin de garantir l’accès à l’avortement et d’encourager les membres du Congrès, lorsqu’il les rencontrera, à adopter une législation fédérale en ce sens.
Les États-Unis n’ont pas ratifié certains traités majeurs relatifs aux droits humains qui protègent les droits des enfants, font progresser l’égalité hommes-femmes, et garantissent l’accès aux soins de santé. Lorsque le Premier ministre indien rencontrera les bureaux du Congrès américain, il doit insister auprès des dirigeants du Sénat pour qu’ils ratifient les conventions déjà signées, telles que la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et la Convention relative aux droits de l'enfant.
« La santé et les droits en matière de sexualité et de procréation sont de plus en plus menacés et les attaques virulentes contre les personnes ayant besoin d’accéder à un éventail de soins aux États-Unis se multiplient, a déclaré Amanda Klasing. Alors que le président Joe Biden évoque les menaces qui pèsent sur les droits humains en Inde, il doit être prêt à répondre à celles qui pèsent sur ces mêmes droits aux États-Unis et à s’inspirer des exemples d’autres pays, dont l’Inde, où les Cours constitutionnelles ont étendu les protections des droits humains et où les assemblées législatives ont ratifié des traités clés en la matière.
« Il incombe à Narendra Modi et Joe Biden d’adopter une approche de principe afin de se soutenir mutuellement dans la mise en œuvre de politiques plus respectueuses des droits dans leurs pays respectifs, a déclaré Aakar Patel. Alors que le monde les regarde, leur silence aura un impact sur les citoyennes et citoyens les plus exposés à des violations, en Inde comme aux États-Unis. »