Les mesures de protection accordées par l’État n’ont pas suffi pour empêcher l’assassinat du défenseur de l’environnement Julián Carrillo
L’État mexicain n’a pas respecté son obligation de garantir une protection efficace pour le défenseur des droits humains et de l’environnement Julián Carrillo, a déclaré Amnistie internationale dans le rapport intitulé Caught between bullets and neglect: Lack of protection for defenders of the territory in the Sierra Tarahumara, rendu public le 24 janvier, trois mois après sa mort.
« Le peuple indigène rarámuri de la communauté de Coloradas de la Virgen fait depuis des années l’objet d’attaques et de menaces en raison de ses activités de défense des droits humains et de ses terres ancestrales, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnistie internationale.
« L’assassinat de Julián Carrillo témoigne de la façon la plus évidente et scandaleuse du non-respect de la part des autorités mexicaines de leur obligation de garantir une protection efficace contre toutes les formes de violence, de menaces et de représailles dues à son travail de défense des droits humains. »
Le 24 octobre 2018, des hommes armés sont arrivés dans la communauté de Coloradas de la Virgen, dans l’État Chihuahua (dans le nord du Mexique), et ont tué Julián Carrillo, dirigeant de la communauté indigène rarámuri. Cet homme avait déjà été victime de menaces et d’actes de harcèlement liés à ses activités de défense de terres ancestrales dans la Sierra Tarahumara. Cinq membres de sa famille au moins ont aussi été tués ces dernières années.
Trois mois se sont écoulés depuis son assassinat, et les autorités mexicaines n’ont toujours pas identifié et déféré à la justice les responsables. Amnistie internationale appelle les autorités mexicaines à prendre d’urgence les mesures nécessaires pour mettre fin à l’impunité des responsables des attaques subies par les habitants de Coloradas de la Virgen, et à mener des enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales sur l’assassinat de Julián Carrillo et d’autres membres de sa famille.
En 2014, après avoir examiné les graves menaces auxquelles il était confronté, le Mécanisme de protection des défenseurs des droits humains et des journalistes du ministère de l’Intérieur a accordé à Julián Carrillodes des mesures de protection. Cependant, ces mesures – qui comprenaient l’octroi de téléphones satellitaires, de « boutons d’urgence » et d’une escorte policière en cas de déplacements – n’ont pas été suffisantes pour empêcher son assassinat.
Amnistie internationale a découvert que l’examen réalisé par les autorités n’a pas tenu compte du climat de pauvreté, de marginalisation et de discrimination et de l’absence d’accès aux services de base, ni de la présence du crime organisé et des difficultés d’accès à la Sierra. En conséquence, ces mesures n’ont été ni adaptées ni suffisantes pour faire face aux causes structurelles de la violence à Coloradas de la Virgen et pour garantir la sécurité de ceux qui défendent les droits humains et le territoire des Rarámuris.
Amnistie internationale demande aux nouvelles autorités fédérales du Mexique de mettre en place, de toute urgence et en consultation avec la société civile et les défenseurs des droits humains, un politique publique exhaustive permettant aux défenseurs d’accomplir leur travail en toute sécurité dans le pays.
« Les autorités mexicaines ne peuvent pas continuer de se borner, pour la protection des défenseurs des droits humains, à un mécanisme qui ne fonctionne pas, a déclaré Tania Reneaum, directrice d’Amnistie internationale Mexique.
« Le gouvernement doit adopter sans plus attendre une politique publique exhaustive apportant une solution aux causes structurelles à l’origine des dangers auxquels sont confrontés les défenseurs des droits humains. La défense du territoire et de l’environnement ne devrait pas conduire à un arrêt de mort. »
Complément d'information
Plusieurs semaines avant son assassinat, Julián Carrillo avait déclaré lors d’un entretien avec Amnistie internationale que ce qui le préoccupait le plus, c’était le niveau élevé de la violence à Coloradas dû à la présence du crime organisé et aux dissensions au sein de la communauté causées par l’octroi de droits d’ejido (possession de terres communales) à des personnes n’appartenant pas à la communauté.
Selon Julián Carrillo et d’autres membres de la communauté, des réseaux du crime organisé se sont emparés de territoires indigènes pour cultiver des plantes illicites, en particulier du cannabis et des pavots à opium. De nombreux membres de la communauté ont été déplacés et se sont réinstallés dans des villes des alentours, et des dirigeants indigènes et leurs familles ont reçu de nombreuses menaces, notamment des menaces de mort.
En septembre 2018, Julián Carrillo a dit à Amnistie internationale qu’il pensait que ses proches étaient menacés et tués en raison de leur travail de défense des droits humains et de leur territoire. Il a également révélé avoir reçu des menaces pour avoir dénoncé les effets du crime organisé sur le territoire de Coloradas.
Deux semaines environ avant l’assassinat de Julián Carrillo, des membres de la communauté avaient signalé à plusieurs autorités fédérales et de l’État qu’une concession minière située sur leur territoire avait été accordée à trois individus, et ils ont demandé que des mesures soient prises d’urgence pour garantir la sécurité des membres de la communauté à Coloradas en raison de la situation de violence extrême générée par le crime organisé.
Plusieurs jours après, Amnistie internationale a assisté à une réunion de la communauté au cours de laquelle Julián Carrillo a exprimé son opposition à cette concession minière à cause de ses effets négatifs sur l’environnement et au niveau social, et parce qu’elle pouvait conduire à une aggravation de la violence dans la région.