Les arrestations et poursuites judiciaires visant des membres de l’opposition doivent cesser
Les autorités cambodgiennes doivent mettre fin à leur campagne d’arrestations et de poursuites judiciaires visant d’anciens membres du parti interdit Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC) et libérer toutes les personnes qui ont été incarcérées alors qu’elles n’ont fait qu’exercer pacifiquement leurs droits, a déclaré Amnistie internationale le 5 novembre.
Depuis le mois d’août, au moins 41 anciens membres du PSNC ont été incarcérés et 88 ont été accusés d’infractions à caractère politique, notamment de « complot contre l’État » et d’« attaque » pour avoir prétendument soutenu le retour au Cambodge de dirigeants du PSNC installés à l’étranger. Les arrestations sont généralement menées sans respecter la procédure légale et sans mandat.
Le dirigeant par intérim du PSNC, Sam Rainsy, s’est engagé en août à retourner au Cambodge le 9 novembre, et le PSNC a lancé un appel pour des manifestations massives ce jour-là. En réaction, les autorités cambodgiennes ont qualifié son retour planifié de tentative de coup d’État et lancé une répression sévère contre les personnes affiliées au PSNC.
De hauts représentants du gouvernement et de la police ont également publiquement annoncé que toute expression en ligne de soutien au retour de dirigeants du PSNC entraînerait une action judiciaire.
Amnistie internationale demande aux autorités cambodgiennes de libérer immédiatement toutes les personnes qui ont été incarcérées alors qu’elles n’ont fait qu’exercer pacifiquement leurs droits fondamentaux, et que toutes les accusations motivées par des considérations politiques qui ont été retenues contre elles soient abandonnées. Les autorités doivent en outre veiller à ce que toutes les personnes soient autorisées à exercer librement leurs droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique, conformément aux dispositions de la Constitution cambodgienne et du droit international relatif aux droits humains.
La répression a déjà eu des conséquences meurtrières. Le 30 octobre, Sam Bopha, militante du PSNC, a été tuée alors qu’elle se trouvait aux mains de la police, après avoir été arrêtée chez elle, dans la province de Svay Rieng. Selon les informations reçues par Amnistie internationale, elle est tombée d’une moto de la police alors qu’elle était emmenée au poste de police local. Elle a été arrêtée à la suite d’une plainte que son beau-père, Hun Yap – un ancien conseiller communal du PSNC – a déposée contre elle pour violence domestique. Hun Yap s’était rallié au parti au pouvoir, le Parti du peuple cambodgien (CPP), une semaine avant cette arrestation, dans le contexte d’une campagne nationale de défections et d’« aveux » forcés visant d’anciens militants du PSNC. Une cinquantaine d’anciens membres du PSNC ont « avoué » avoir comploté contre l’État au cours des deux derniers mois.
Un autre militant du PSNC, Tith Rorn, est mort en détention peu après son arrestation arbitraire, en avril. Aucune enquête indépendante n’a été menée sur les circonstances de sa mort, malgré la présence de blessures sur son corps correspondant à des coups.
Les autorités cambodgiennes ont aussi pris d’autres mesures afin de contrecarrer le retour des dirigeants du PSNC. Le 1er novembre, l’Autorité cambodgienne de l’aviation civile a menacé les compagnies aériennes de poursuites pour soutien à un « coup d’État » si elles autorisaient Sam Rainsy à monter à bord d’un vol pour le Cambodge. Le 20 octobre, la dirigeante adjointe du PSNC, Mu Sochua, s’est vu refuser l’entrée en Thaïlande par les services de l’immigration, les autorités cambodgiennes ayant envoyé des mandats d’arrêt contre des dirigeants du PSNC à d’autres États membres de l’ANASE.
Ces récents événements s’accompagnent d’une militarisation des provinces frontalières au Cambodge, et le Premier ministre cambodgien Hun Sen a ordonné publiquement à l’armée d’attaquer tous les rassemblements de l’opposition qui se tiendront le 9 novembre. Les exercices militaires avec des tirs à balles réelles et le déploiement de soldats dans les villes et localités proches de la frontière thaïlandaise avivent encore les craintes quant à de possibles violences le 9 novembre.
Le président du PSNC, Kem Sokha, est maintenu en détention pour « conspiration avec une puissance étrangère » depuis son arrestation, en 2017. Après une année passée dans une prison de haute sécurité, il a été transféré et assigné à résidence sous des conditions très restrictives en septembre 2018.
Amnistie internationale demande à la communauté internationale de surveiller de près la situation des droits humains au Cambodge, qui se dégrade rapidement. Les États doivent promouvoir le respect des droits humains de tous les Cambodgiens conformément aux obligations qui leur incombent au titre des Accords de Paris de 1991, qui soumettent les Nations unies et la communauté internationale à l’obligation de soutenir la réalisation de la paix et des droits humains au Cambodge.
Complément d’information
Le PSNC a été fondé en 2012, et il résulte de la fusion entre le Parti Sam Rainsy et le Parti des droits humains. Peu de temps après, le PSNC a obtenu un résultat historique aux élections législatives de 2013, suivant de très près le PPC, au pouvoir.
Le PSNC a été dissout par la Cour suprême en novembre 2017 en raison d’une plainte déposée par le ministre de l’Intérieur, qui a accusé ce parti de chercher à organiser un « coup d’État ». Il a fini par être dissout alors que de l’avis général, cette accusation n’était pas fondée.
La Cour suprême a dans son arrêt également interdit pour une durée de cinq ans à 118 des plus éminents membres du PSNC toute participation à des activités politique. À la suite de la dissolution du PSNC, tous les sièges du parti aux niveaux des communes, des districts et national ont été distribués au PPC et à de petits partis mineurs sans représentants élus.
Le président de la Cour suprême, Dith Munty, a présidé l’audience lors de laquelle a été prononcée la dissolution du PSNC, alors qu’il est membre du comité permanent du PPC et un proche allié du Premier ministre Hun Sen.
La dissolution du PSNC a eu lieu peu après les élections municipales de 2017, lors desquelles le PSNC a remporté près de la moitié des suffrages. Il est largement admis que c’est la perspective d’élections législatives très serrées qui a motivé la dissolution de ce parti.
Sam Rainsy a quitté le Cambodge en 2015 afin d’éviter d’être arrêté en raison de poursuites pour diffamation engagées contre lui. Il a par la suite quitté ses fonctions de président du PSNC en 2017 après l’adoption de modifications de la Loi relative aux partis politiques qui ont interdit aux personnes condamnées par la justice de diriger un parti politique. D’autres dirigeants du PSNC ont fui le Cambodge dans le contexte de la procédure de dissolution de ce parti en 2017 et à la suite de l’arrestation de Kem Sokha.