• 12 déc 2025
  • Tunisie
  • Communiqué de presse

Tunisie. Les autorités doivent immédiatement abandonner les poursuites visant des travailleurs humanitaires qui font l’objet d’un procès fallacieux

Les autorités tunisiennes doivent abandonner les poursuites visant six membres du personnel de Terre d’asile Tunisie, la branche tunisienne de l’organisation non gouvernementale (ONG) française France terre d’asile, qui font l’objet d’un procès fallacieux pour leur travail humanitaire en soutien à des réfugié·e·s et des migrant·e·s, et elles doivent cesser la criminalisation implacable de l’action de la société civile, a déclaré Amnistie internationale avant l’ouverture de leur procès, le 15 décembre.  

Trois employé·e·s de Terre d’asile Tunisie – dont Sherifa Riahi et Mohamed Joo – sont maintenus en détention provisoire arbitraire depuis plus de 19 mois, de même que des employé·e·s municipaux locaux avec lesquels ils ont travaillé en partenariat.    

« Nous demandons aux autorités tunisiennes de respecter leurs obligations en vertu du droit international relatif aux droits humains, de mettre un terme à cette injustice et de garantir la libération des membres du personnel de cette ONG, ainsi que des représentant·e·s de la municipalité placés en détention arbitraire avec eux. Ils sont uniquement poursuivis pour leur travail légitime consistant à fournir une aide et une protection vitales à des réfugié·e·s, personnes en quête d’asile et migrant·e·s se trouvant dans des situations précaires », a déclaré Sara Hashash, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnistie internationale.  

« La récente décision de justice rendue contre des membres du personnel du Conseil tunisien pour les réfugiés confirme la criminalisation du soutien aux réfugié·e·s et demandeurs et demandeuses d’asile, après que les autorités tunisiennes ont mis fin à l’accès à l’asile dans le pays. Cela envoie un message dissuasif aux travailleurs humanitaires et organisations de la société civile, qui aident souvent à remplir les obligations des États au regard du droit international, en ce qui concerne les droits des personnes réfugiées et en quête d’asile, mais aussi, plus largement, les droits sociaux et économiques de la population générale. » 

Les membres de l’ONG doivent comparaître aux côtés de 17 anciens responsables et employés municipaux accusés d’avoir collaboré avec l’organisation. Cela fait suite à la condamnation à deux ans de prison, le 24 novembre, de deux membres du personnel du Conseil tunisien pour les réfugiés (CTR), une ONG humanitaire, sur fond de durcissement de la répression contre les organisations de la société civile, qui a contribué au démantèlement total des protections pour les personnes réfugiées, demandant l’asile ou migrantes dans le pays. 

Des accusations sans fondement contre des travailleuses et travailleurs humanitaires 

Le 15 décembre, 23 personnes – des membres d’ONG et des responsables municipaux ayant travaillé de concert avec eux – comparaîtront devant le tribunal de première instance de Tunis. Trois des membres du personnel de Terre d’asile Tunisie, les défenseur·e·s des droits humains et employé·e·s d’ONG Sherifa Riahi, ancienne directrice de l’association, Mohamed Joo, directeur financier et administratif, ainsi que le directeur actuel de l’association, se trouvent en détention provisoire arbitraire depuis leur arrestation en mai 2024. Imen Ouardani, ancienne adjointe au maire de la ville de Sousse, dans l’est du pays, et un autre ancien responsable local sont soumis au même traitement pour avoir seulement autorisé l’ONG à utiliser un bâtiment municipal pour leurs activités.  

En raison de son travail humanitaire de soutien aux réfugié·e·s, aux personnes demandeuses d’asile et aux migrant·e·s, ce groupe est accusé d’infractions formulées de façon trop larges, telles que le fait d’« héberger des personnes entrant sur le territoire tunisien ou le quittant clandestinement » et de « faciliter l’entrée, la sortie, la circulation ou le séjour illégal d’un étranger en Tunisie ». 

Terre d’Asile Tunisie était correctement enregistrée en vertu du droit tunisien et fonctionnait de manière transparente en coopération directe avec les autorités locales et nationales tunisiennes. Non seulement ces poursuites portent atteinte au droit de ces personnes à la liberté d’association, mais elles criminalisent en outre les partenariats entre la société civile et les autorités locales. Cela est clairement contraire aux obligations de la Tunisie au titre du droit international, en ce qui concerne les réfugié·e·s, les demandeurs et demandeuses d’asile et les migrant·e·s, mais aussi les défenseur·e·s des droits humains, car cela entrave activement un travail de protection et d’assistance.  

Le fait d’apporter un soutien sur le plan humanitaire et des droits humains aux migrant·e·s, quel que soit leur statut au regard du droit, est protégé par le droit à la liberté d’association, en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme, et ne doit pas être assimilé au trafic et à la traite des êtres humains, conformément à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, ratifiée par la Tunisie. Les États sont par ailleurs tenus de créer un environnement sûr et propice pour les défenseur·e·s des droits humains, dans lequel ils puissent œuvrer sans craindre de représailles. 

Durcissement de la répression contre la société civile 

Ce procès fait suite à la condamnation alarmante, le 24 novembre, de membres du personnel du Conseil tunisien pour les réfugiés (CTR), une ONG ayant travaillé avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) afin de fournir une aide cruciale. Le tribunal de première instance de Tunis a condamné Mustapha Djemali et Abderrazek Krimi, fondateur et chef de projet du CTR, à deux ans de prison, en suspendant le reliquat de leur peine après avoir pris en compte les 18 mois de détention provisoire déjà purgés. Ils ont donc été remis en liberté. 

Depuis mai 2024, les autorités tunisiennes ont intensifié leur répression contre les organisations de la société civile, en particulier celles qui travaillent sur la migration. Cette campagne a pris la forme d’arrestations arbitraires, de détentions, de gel d’avoirs, de restrictions bancaires et de suspensions ordonnées par la justice, mesures qui ont affecté plus de 15 organisations au cours des deux derniers mois.  

Par ailleurs, d’après un communiqué de la Ligue tunisienne pour la défense des droits humains (LTDH) daté du 8 décembre 2025, les autorités tunisiennes ont, à au moins quatre reprises sur le mois passé, refusé à l'organisation l'accès aux prisons pour rendre visite aux détenu·e·s, malgré une convention signée en 2015 entre la Ligue et le ministère de la Justice. Le ministère a réfuté vouloir mettre fin à cette convention. 

D’autres organisations visées par des enquêtes pénales et des arrestations arbitraires incluent Mnemty, une ONG de lutte contre le racisme, et Enfants de la lune, une ONG de défense des mineur·e·s à Médenine, dont les président·e·s sont en détention depuis mai et novembre 2024 respectivement. Les autorités maintiennent par ailleurs la directrice exécutive de l’Association pour la promotion du droit à la différence, Salwa Ghrissa, en détention provisoire arbitraire depuis le 12 décembre 2024. 

En juin 2024, les autorités tunisiennes ont ordonné la suspension des activités d’enregistrement et de détermination du statut de réfugié par le HCR, supprimant dans les faits la seule voie permettant de demander l’asile dans le pays.  

La répression contre les organisations de la société civile et la suspension des activités du HCR ont gravement affecté l’accès à la protection et à des services vitaux tels que les hébergements d’urgence, les soins de santé, la protection des mineur·e·s, l’assistance aux victimes de violences liées au genre, et l’aide juridique. Elle expose potentiellement des milliers de réfugié·e·s, de demandeurs et demandeuses d’asile, et de migrant·e·s, parmi lesquels des mineur·e·s non accompagnés, à un risque accru de violations des droits humains. 

« L’acharnement contre les ONG, en particulier celles qui protègent les réfugié·e·s et migrant·e·s vulnérables, révèle une stratégie alarmante de la part de l’État, qui a pour but de démanteler les fondements de l’espace civique en Tunisie », a déclaré  également Anne Savinel-Barras, présidente d’Amnistie internationale France.