• 27 Mar 2019
  • Bahreïn
  • Communiqué de presse

NOUVEAU PROCÈS COLLECTIF DE MANIFESTANTS

Le 27 février 2019, un tribunal de Bahreïn a rendu un jugement condamnant 167 personnes, dans le cadre d’une seule procédure, à des peines d’emprisonnement pour leur participation à un sit-in pacifique. Cette décision est un nouvel exemple de la répression du droit à la liberté de réunion pacifique qui dure depuis 2011 et de l’utilisation grandissante des procès collectifs à Bahreïn.

Sur les 171 personnes poursuivies en justice, 167 ont été déclarées coupables, ce qui représente un taux de condamnation de 97 %. Il est donc très probable que le tribunal n’ait pas correctement tenu compte des comportements individuels dans le cadre de cette affaire. Ces personnes ont été condamnées à des peines allant de six mois à 10 ans d’emprisonnement. La plupart des prévenus (96 personnes) ont été condamnés à un an d’emprisonnement et 56 ont été condamnés à 10 ans d’emprisonnement. Dix des personnes condamnées étaient mineures. Environ la moitié des personnes condamnées sont maintenant emprisonnées. Les autres, qui avaient été libérées sous caution après une période initiale de détention, sont recherchées depuis l’annonce du jugement, qui a été prononcé en leur absence.

Le procès portait sur des faits liés à un long sit-in qui s’est tenu dans la ville de Duraz de juin 2016 à mai 2017, lorsque les forces de sécurité bahreïnites l’ont dispersé par la force. Les manifestants étaient rassemblés en réponse à la décision de juin 2016 de déchoir de sa nationalité le guide spirituel chiite Sheikh Issa Qassem. N’ayant pas de seconde nationalité, Sheikh Issa Qassem s’est retrouvé apatride et risquait d’être expulsé du pays. Craignant que le gouvernement le place en détention et l’expulse, un grand nombre de ses sympathisants se sont rassemblés près de son domicile à Duraz pour empêcher les forces de sécurité de l’emmener, et y sont restés pendant une grande partie d’une année[1].

Le 23 mai 2017, les forces de sécurité sont arrivées et ont dispersé les manifestants en faisant un usage excessif de la force. Des photos envoyées de Duraz montrent des paramilitaires masqués armés de pistolets-mitrailleurs parmi les forces déployées pour disperser la manifestation[2]. Le ministère de l’Intérieur a reconnu le jour même que cinq manifestants[3] avaient été tués, et a également annoncé que 286 personnes avaient été arrêtées. Un autre homme avait été abattu par les forces de sécurité pendant le sit-in de Duraz le 26 janvier 2017[4]. Son crâne avait été fracturé par un tir d’arme légère, ce qui l’a plongé dans le coma. Il est mort le 24 mars 2017, après que les forces de sécurité avaient retardé son traitement au service des urgences.

Le parquet a inculpé collectivement les prévenus de l’affaire Duraz de recours à des actes de violence, sur la base des affirmations du ministère de l’Intérieur selon lesquelles nombre d’entre eux avaient résisté par la force aux arrestations, notamment en utilisant des armes. D’après les informations dont dispose Amnistie internationale, la situation à Duraz était pacifique avant l’arrivée des forces de sécurité lourdement armées tôt dans la matinée du 23 mai. Même dans le cas où certains manifestants auraient effectivement commis des actes de violence, leur culpabilité devrait être prouvée individuellement, conformément aux normes en matière d’équité des procès. À la suite de ce jugement, un porte-parole du gouvernement a dit à Reuters que les prévenus avaient été reconnus coupables d’enlèvement et d’actes de torture. Cependant, aucun de ces chefs d’inculpation n’apparait dans l’acte d’accusation ou dans le jugement. Aucune preuve de violence, quelle qu’elle soit, n’a été présentée dans la décision du tribunal.

Les procès collectifs sont inévitablement une violation du droit à un procès équitable (reconnu par l’article 14.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel Bahreïn est partie), car ils bafouent un principe de base du droit pénal, à savoir que la responsabilité est individuelle et liée à des actes spécifiques. Ce principe est également inscrit dans la Constitution bahreïnite : « Un châtiment [pénal] est individuel ». Le texte du jugement de l’affaire Duraz montre à quel point les audiences ont été contestables. Presque l’intégralité des 19 pages de texte consiste en une liste répétant les noms des 171 prévenus et leur nombre. La seule autre information présentée est le rapport indiquant la peine à laquelle chaque prévenu a été condamné. Le jugement ne présente aucune analyse des preuves, aucune prise en considération des arguments de la défense, et aucune analyse juridique. Aucun jugement argumenté n’a été présenté à ce jour.

La plupart des prévenus ont été inculpés de « rassemblement illégal », de « comportement séditieux », voire des deux. À Bahreïn, la définition de « comportement séditieux », l’accusation la plus grave portée contre les prévenus, est suffisamment vague pour pouvoir être appliquée à des participants pacifiques à une manifestation lors de laquelle des violences éclatent. Il s’agit d’une violation flagrante du droit à la liberté de réunion (reconnu au titre de l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques). L’article 179 du Code pénal bahreïnite dispose : « Si un ou plusieurs manifestants [illégaux] utilisent la violence afin d’atteindre l’objectif pour lequel ils se sont rassemblés, il s’agit d’un comportement séditieux, et toute personne participant délibérément à ces actes séditieux sera passible d’une peine d’emprisonnement ». Le « rassemblement illégal » est défini comme le rassemblement « dans un lieu public d’au moins cinq personnes, dans le but de commettre des infractions ou des actes préparant ou facilitant des infractions, ou de porter atteinte à la sécurité publique, même si ces actes visent à atteindre un objectif légitime » (article 178 du Code pénal).

Le juge qui a présidé le procès et a rendu le jugement est un membre de la famille royale al Khalifa. Au titre de l’article 33(h) de la Constitution de 2002 de Bahreïn, le Roi nomme tous les juges. Ce système entrave l’indépendance judiciaire et a entraîné une surreprésentation de la famille royale dans le système judiciaire.

Ces déclarations de culpabilité et peines sont un nouveau coup porté aux droits à la liberté de réunion et à un procès équitable à Bahreïn, et ont été prononcées la semaine même du début du mandat de Bahreïn en tant que membre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Amnistie internationale appelle le gouvernement bahreïnite à respecter ses engagements au titre du droit international et à libérer les prévenus ou les juger dans le cadre de procès individuels conformes aux normes d’équité des procès. L’issue du procès est un témoignage concret et décourageant du fait que Bahreïn n’a pris aucune mesure en vue de freiner sa répression des droits civils et politiques, et Amnistie internationale demande donc également au Conseil des droits de l’homme de donner la priorité à un examen critique du bilan de Bahreïn, et aux membres du Conseil de condamner la répression qui a lieu dans le pays.