La Tunisie impose un blocus médiatique sur les atteintes aux droits humains
Amnistie internationale condamne les autorités tunisiennes pour avoir fait en sorte d’interdire cette semaine à deux organisations de défense des droits humains de présenter aux médias leurs rapports sur le harcèlement dont sont victimes les anciens prisonniers politiques.
Selon Human Rights Watch, les journalistes n’ont pas été autorisés à assister à une conférence de presse organisée mercredi 24 mars 2010 à Tunis, la capitale du pays, en vue de lancer son rapport sur la répression qui cible les anciens détenus politiques en Tunisie.
Les forces de sécurité ont également empêché des journalistes et des défenseurs des droits humains d’assister à une conférence de presse donnée lundi 22 mars à Tunis pour le lancement d’un rapport de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP) portant sur le même sujet.
Ces événements coïncident avec la publication par Amnistie internationale d’un document de synthèse intitulé Freed but Not Free: Tunisia's Former Political Prisoners, qui met en lumière le harcèlement implacable dont font l’objet des centaines d’anciens prisonniers politiques libérés après avoir été jugés dans le cadre de procès iniques et incarcérés des années durant dans des conditions éprouvantes.
« Plutôt que de porter remède aux préoccupations pointées du doigt par les organisations non gouvernementales (ONG) tunisiennes et internationales, les autorités tunisiennes choisissent de les passer sous silence, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnistie internationale. Elles dévoilent à la face du monde une réalité que les Tunisiens ne connaissent que trop bien et font une nouvelle fois montre de leurs pratiques impitoyables.
« Elles privent les ONG de la possibilité d’utiliser certains lieux et empêchent les journalistes indépendants de rendre compte de deux publications et de la terrible situation des anciens prisonniers politiques, a ajouté Hassiba Hadj Sahraoui. Cela témoigne du manque de volonté du gouvernement de faire face à la réalité et d'en finir avec son refus d’admettre que les atteintes aux droits humains sont monnaie courante en Tunisie. »
Une fois sortis de prison, les anciens prisonniers politiques en Tunisie sont soumis à une surveillance policière oppressive, tenus de se présenter régulièrement à la police, convoqués de manière récurrente pour être interrogés par la police et soumis à de nouvelles arrestations. Certains se sont vus refuser l’accès à des soins médicaux.
Nombre d’entre eux se voient également interdire tout déplacement à l’étranger et ne sont pas autorisés à circuler librement sur le territoire tunisien.
Pas un seul journaliste n’a reçu l’autorisation d’assister à la conférence de presse organisée le 24 mars par Human Rights Watch pour le lancement de son rapport intitulé Une prison plus vaste. Répression des anciens prisonniers politiques en Tunisie.
Cette conférence devait se tenir dans un hôtel, mais tous les établissements où Human Rights Watch avait réservé une salle sont revenus sur leur offre, sous prétexte qu’aucune salle n’était disponible. Le salon réservé dans un hôtel par l’organisation a été mystérieusement inondé.
Les autorités tunisiennes avaient informé les responsables de Human Rights Watch que le gouvernement était hostile à la tenue de cette conférence de presse. La réunion s’est par conséquent déroulée dans les bureaux d'un cabinet juridique de Tunis, sous haute surveillance policière.
Les journalistes conviés ont téléphoné pour expliquer que des policiers les empêchaient de sortir de chez eux ou d’entrer dans Tunis.
Lundi 22 mars, de nombreux journalistes et militants, dont des membres de l’AISPP, conviés au lancement du rapport de l’organisation intitulé Citizens Under Siege: Administrative Control in Tunisia, ont été empêchés de s’y rendre.
Les journalistes et les militants Lotfi Hajji, Lotfi Hidouri, Ismail Debara et Faouzi Sadkaoui, ont été suivis alors qu’ils quittaient les bureaux de l’AISPP. Une dizaine de membres des services de sécurité en civil leur ont bloqué l'entrée des locaux de l’hebdomadaire al Mawkif, où se tenait la conférence. Lotfi Hidouri a été repoussé par un membre des forces de sécurité et aucun d’entre eux n’a pu pénétrer dans les locaux du journal.
« Les récents événements montrent que les autorités tunisiennes sont déterminées à réduire au silence absolu les voix qui critiquent leur politique ou dénoncent le bilan déplorable du pays en matière de respect des droits humains », a estimé Hassiba Hadj Sahraoui.
Des centaines de militants politiques ont été incarcérés en Tunisie depuis l’accession au pouvoir en 1987 du président Zine el Abidine Ben Ali. Il s’agit notamment de prisonniers d'opinion et d’accusés condamnés à l’issue de procès iniques. Cette situation reflète l’intolérance des autorités vis-à-vis de toute dissidence. Nombre de ces prisonniers ont été libérés à la faveur de grâces présidentielles accordées à l’occasion de fêtes nationales.
Bien souvent, ces libérations ne sont que conditionnelles, les anciens détenus étant soumis à des restrictions très sévères, notamment à une étroite surveillance et à des mesures de harcèlement de la part des forces de sécurité, ce qui ne leur permet pas d’obtenir un emploi rémunéré ni de mener une vie normale.
Amnistie internationale exhorte le gouvernement tunisien à mettre fin au harcèlement et à l'intimidation dont font l'objet les anciens prisonniers politiques et à leur permettre de reprendre leur vie en tant que personnes libres.
Enfin, l’organisation appelle de ses vœux la libération de tous les prisonniers d’opinion, détenus uniquement pour avoir exercé de manière pacifique leur droit à la liberté d’expression.