Égypte. Il faut annuler les contrôles de grande ampleur visant les organisations indépendantes de la société civile
Les autorités égyptiennes doivent modifier la Loi relative aux associations afin de lever les restrictions strictes imposées aux organisations indépendantes de la société civile, qui entravent le droit à la liberté d'association et d'autres droits et mettent en péril l'avenir de l'espace civique dans le pays, écrit Amnistie internationale dans un nouveau rapport publié le 25 novembre 2025.
Ce rapport intitulé ‘Whatever security says must be done’: Independent NGOs’ freedom of association restricted in Egypt rend compte des restrictions injustifiées imposées au travail des ONG indépendantes par le biais de la loi n° 149 de 2019 (Loi relative aux associations) et d’autres méthodes afin de les soumettre à un contrôle de l’État quasi total.
Si la clôture de l'affaire n° 173 l'an dernier, à l’issue de 13 années d'enquêtes pénales infondées sur le financement et les activités des ONG, a semblé constituer un tournant, la Loi relative aux associations confère aux autorités un contrôle étouffant sur les ONG indépendantes, portant atteinte au droit à la liberté d'association.
« Bien que la levée des interdictions de voyager et du gel des avoirs imposés depuis 10 ans à des employé·e·s d’ONG constitue une mesure positive, les autorités ne prêtent pas attention aux appels plaidant en faveur de la modification de la loi restrictive de 2019 sur les associations, dont elles se servent pour imposer des exigences réglementaires contraignantes aux ONG, tout en laissant les agences de sécurité les soumettre à des ingérences intrusives et à une surveillance constante. Ces pratiques d'intimidation étouffent le travail essentiel des ONG et favorisent un climat de peur qui sape la capacité des citoyen·ne·s à s'organiser et à exercer leurs droits humains, a déclaré Sara Hashash, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnistie internationale.
« En vertu du droit international relatif aux droits humains, toute restriction imposée aux ONG doit être définie de manière précise, proportionnée, strictement nécessaire en vue d’atteindre un but légitime et ne jamais constituer un moyen de réduire les détracteurs au silence. Les autorités égyptiennes doivent modifier la loi relative aux associations afin de permettre aux ONG de s'enregistrer par simple notification et non par autorisation préalable, de les protéger contre toute ingérence, intimidation et pratique coercitive de l'Agence de sécurité nationale à leur égard, et de lever toutes les restrictions injustifiées qui pèsent sur leur accès aux financements et à leur utilisation. »
L'Unité des associations et du travail civil (ACWU) dépendant du ministère de la Solidarité sociale, chargée d'enregistrer et de superviser les ONG, impose une procédure d'autorisation préalable pour les enregistrer, en violation des normes internationales et de la Constitution égyptienne, qui dispose que les ONG peuvent obtenir une personnalité juridique sur simple notification. Par l'intermédiaire de l'ACWU, l'État peut refuser ou retarder l'enregistrement des ONG, imposer des restrictions à leur travail, bloquer leur financement, s'ingérer dans la composition de leur conseil d'administration et même ordonner le licenciement de leurs membres. L'ingérence illégale de l'Agence de sécurité nationale (NSA) renforce enccore cette emprise : elle harcèle et intimide les membres des ONG par le biais d’appels téléphoniques, de convocations illégales et d’interrogatoires coercitifs.
Ce rapport s'appuie sur des entretiens menés auprès de 19 personnes représentant 12 ONG égyptiennes indépendantes actives dans les domaines du développement social, des médias et des droits humains dans le Grand Caire, au cours des cinq dernières années. Amnistie internationale a mené ces entretiens entre mars et juillet 2025 et analysé les documents officiels publiés par les instances administratives chargées de superviser les ONG.
La loi relative aux associations musèle la société civile
La loi égyptienne de 2019 sur les associations est incompatible avec le droit international relatif aux droits humains et les normes connexes. Elle confère aux autorités des pouvoirs étendus s’agissant de contrôler et de sanctionner les ONG. Le gouvernement peut ainsi refuser l'enregistrement d'une ONG dans un délai de 60 jours si l'un de ses objectifs enfreint les lois égyptiennes, dont beaucoup sont incompatibles avec le droit international, dissoudre des ONG et poursuivre en justice leur personnel sur la base d'accusations vagues, et limiter l’action des ONG au « développement sociétal », interdisant de fait les activités liées aux droits humains et « politiques » au nom de concepts très généraux, comme « l'unité nationale ». En outre, la loi permet aux représentants de l’État d'interférer dans la composition du conseil d'administration des ONG, de pénétrer dans leurs locaux sans préavis et d'inspecter leurs documents, tout en prévoyant des sanctions en cas d’infraction à ces règles trop générales. Bon nombre de ces restrictions sont appliquées par l'Unité des associations et du travail civil (ACWU), ce qui donne à l'État un contrôle très centralisé sur qui peut agir et dans quel domaine.
Une modification du Code pénal adoptée en 2014 permet de poursuivre les personnes qui reçoivent des fonds étrangers sur la base de dispositions définies en termes vagues, telles que la commission d’« actes hostiles à l’égard de l'Égypte », une infraction passible de peines pouvant aller jusqu'à la réclusion à perpétuité, voire la peine de mort.
Enregistrement obligatoire ou dissolution
En Égypte, la loi de 2019 relative aux associations oblige toutes les ONG à s'enregistrer conformément à ses dispositions, y compris celles qui l’étaient déjà, sous peine d'être dissoutes. Certaines ont déclaré qu'elles s'étaient enregistrées afin de bénéficier d'une certaine protection contre le harcèlement des forces de sécurité ou de rester éligibles à des financements, tandis que d'autres ont estimé n'avoir pas d'autre choix en raison des sanctions prévues en cas de non-respect de la loi.
Selon les informations dont dispose Amnistie internationale, les autorités n'ont encore dissous aucune association pour défaut d'enregistrement.
Quelques ONG répertoriées en tant que cabinets juridiques ou sociétés à but non lucratif ont choisi de ne pas s'enregistrer, craignant que les restrictions imposées par la loi n’entravent leur travail.
Toutefois, en vertu du droit international relatif aux droits humains, les associations ne devraient jamais être contraintes de s'enregistrer dans un cadre juridique spécifique ni être criminalisées du fait de l’absence de statut officiel. Les États doivent garantir le droit à la liberté d'association aux organisations enregistrées, quel que soit le cadre légal qu'elles choisissent, et aux associations non enregistrées.
Intimidations et interventions de l'Agence de sécurité nationale
Les ONG enregistrées sont placées sous le contrôle quasi total de l'Unité des associations et du travail civil (ACWU), ce qui facilite parfois l'ingérence illégale de l’Agence de sécurité nationale (NSA) : ses agents harcèlent et intimident régulièrement le personnel et les membres du conseil d'administration des ONG indépendantes par le biais d’appels téléphoniques menaçants, de convocations illégales et de retards dans les enregistrements.
En outre, les agents de la NSA font pression sur les responsables ou les employé·e·s des ONG, leur ordonnant de rendre compte des activités réalisées et les interrogeant sur les demandes de financement étranger soumises à l'ACWU, ce qui a un effet dissuasif, la NSA étant bien connue pour ses arrestations arbitraires, disparitions forcées et actes de torture ou mauvais traitements.
Plusieurs ONG ont déclaré que les hôtels refusent systématiquement d'accueillir leurs événements sans l'autorisation de la NSA ; des donateurs ont indiqué que même les événements validés sont parfois surveillés par des agents infiltrés ou qu'ils doivent soumettre au préalable leurs supports audiovisuels à une autorisation de sécurité. De telles pratiques violent les normes internationales relatives aux droits humains, qui exigent que les États permettent aux ONG d’agir librement, les protègent contre toute intimidation et tout acte de représailles, et facilitent, au lieu d’entraver, leurs activités légitimes.
Les obstacles aux ressources financières
En Égypte, les ONG indépendantes se heurtent à des obstacles imposés par l'État qui entravent leur droit de rechercher, de recevoir et d'utiliser des ressources, y compris financières, provenant de sources nationales, étrangères ou internationales. Une fois enregistrées, elles ne peuvent pas ouvrir ni activer de comptes bancaires sans une lettre de l'ACWU et, dans certains cas, les banques refusent ou retardent l'ouverture de comptes tant qu’elles n’ont pas reçu des autorisations de « sécurité » spécifiques ; dans plusieurs cas examinés, cela a occasionné des retards de trois à 15 mois qui paralysent les organisations, incapables de payer leur personnel, leur loyer ou de mettre en œuvre leurs activités.
En vertu de la loi de 2019 relative aux associations, les ONG doivent obtenir une autorisation préalable avant de recevoir des fonds étrangers et l'ACWU peut s'y opposer dans un délai de 60 jours sans motif clair et légal, ce qui donne dans les fait à l'État un droit de veto sur les ressources externes. Les ONG qui reçoivent des fonds sans autorisation risquent la suspension ou la dissolution, tandis que leurs employé·e·s ou leurs dirigeant·e·s risquent des sanctions financières.
Complément d’information
Entre 2011 et 2021, les autorités égyptiennes ont progressivement durci leur répression contre la société civile indépendante, soumettant la plupart des ONG indépendantes à des enquêtes pénales, au gel de leurs avoirs, à des interdictions de voyager à titre de représailles et à des poursuites judiciaires, uniquement en raison de leur travail légitime en faveur des droits humains. De nombreux employé·e·s ont été victimes de détentions arbitraires, de disparitions forcées, d’actes de torture et de procès iniques, contraignant un certain nombre d'organisations et de militant·e·s à l'exil et rétrécissant encore l'espace civique en Égypte.
Entre 2021 et 2024, certains aspects de la répression contre les ONG ont été assouplis. En mars 2024, après 13 ans d'enquêtes pénales infondées sur le financement et les activités des ONG, les autorités ont annoncé qu'il n'y avait pas lieu d'engager des poursuites pénales dans l'affaire n° 173/2011, dite « affaire des financements étrangers », invoquant un manque de preuves. En conséquence, elles ont levé le gel des avoirs imposé depuis 10 ans à pas moins de sept associations égyptiennes et 11 de leurs employé·e·s, ainsi que les interdictions de voyager visant au moins 31 défenseur·e·s des droits humains. L'annonce de cette décision est à souligner, tant il est rare que les autorités judiciaires égyptiennes annoncent la clôture d'une enquête dans les affaires politiques.