• 8 nov 2018
  • Russie
  • Communiqué de presse

POURSUITES PENALES INFONDEES CONTRE DES MANIFESTANTS PACIFIQUES A ROSTOV-SUR-LE-DON

Amnistie internationale est vivement préoccupée par les poursuites pénales actuellement menées à Rostov-sur-le-Don (sud-ouest de la Russie) contre Ian Sidorov et Vladislav Mordassov, inculpés de tentative d’organisation de troubles civils et de participation à de tels troubles, et contre Viatcheslav Chachmine, inculpé de tentative de participation à des troubles civils. S'ils sont déclarés coupables, Ian Sidorov et Vladislav Mordassov encourent une peine de 15 ans de réclusion, et Viatcheslav Chachmine risque huit ans d'emprisonnement.

Après examen des informations disponibles sur cette affaire, Amnistie internationale estime que les poursuites pénales sont infondées et que les charges sont forgées de toutes pièces. Ian Sidorov et Vladislav Mordassov sont poursuivis alors qu’ils n’ont fait qu’exercer leur droit à la liberté d'expression et de réunion pacifique. Toutes les charges qui pèsent sur eux et sur Viatcheslav Chachmine, qui affirme n'avoir aucun lien avec la manifestation de Ian Sidorov et de Vladislav Mordassov, doivent être immédiatement abandonnées. Ce sont des prisonniers d’opinion ; ils doivent, à ce titre, être libérés immédiatement et sans condition.

Amnistie internationale est vivement préoccupée par la détention arbitraire de Ian Sidorov, Vladislav Mordassov et Viatcheslav Chachmine, ainsi que par la violation de leur droit à la liberté individuelle et à un procès équitable. L’organisation s’inquiète également des allégations selon lesquelles la torture et d'autres mauvais traitements ont été utilisés pour extorquer des « aveux » à Ian Sidorov et à Vladislav Mordassov. Amnistie internationale appelle les autorités russes à mener sans délai une enquête impartiale et efficace sur ces allégations, et à traduire en justice les responsables présumés de ces agissements.

Arrestations arbitraires et violation des droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique

Le 5 novembre 2017 aux environs de midi, Ian Sidorov, étudiant, 18 ans, et Vladislav Mordassov, ouvrier, 21 ans, se sont rendus sur la place située devant le siège administratif de la région de Rostov pour y tenir un « piquet » [manifestation d’un petit groupe de personnes] pacifique. Ils avaient plusieurs tracts imprimés, un mégaphone et deux affiches rédigées à la main, roulées, qu'ils avaient réalisées la veille. Il était écrit sur les affiches : « Rendez leurs terres aux victimes des incendies de Rostov » et « Le gouvernement doit démissionner ».

Selon un témoignage fait par Vladislav Mordassov le 6 août 2018, avant même que les deux jeunes hommes aient pu dérouler leurs affiches et commencer à manifester, un groupe de huit policiers du Centre de lutte contre l'extrémisme (ou Centre « E ») s'est approché et leur a ordonné de leur montrer les affiches. Certains des policiers les filmaient sur leur téléphone mobile. Les deux jeunes hommes ont montré leurs affiches sans protester. Les policiers ont ensuite ordonné à Ian Sidorov et à Vladislav Mordassov de leur présenter leurs passeports, et ont voulu les arrêter pour tenue d’un « piquet illégal ». Les deux hommes se sont défendus en disant qu'ils n’avaient même pas commencé à manifester, et ont insisté pour que leur droit de réunion pacifique, inscrit à l'article 31 de la Constitution russe, soit respecté. Un colonel de police s'est alors approché et a exigé de voir leurs passeports. Après les avoir examinés, il a affirmé qu’ils portaient de « fausses signatures » et n'étaient par conséquent pas valides. Il a arrêté les deux hommes pour ce motif.

Le même jour, la police a arrêté Viatcheslav Chachmine, 18 ans, devant un immeuble situé à proximité de la place où Ian Sidorov et Vladislav Mordassov avaient été appréhendés. Viatcheslav Chachmine soutient qu'il ne connaissait ni Ian Sidorov, ni Vladislav Mordassov à l'époque (affirmation qu’ils ont eux-mêmes confirmée), et qu'il n'a pas participé à leur piquet.

Détention illégale, torture et autres mauvais traitements

Selon le témoignage de Vladislav Mordassov, à leur arrivée au poste de police, ils ont été conduits dans des bureaux différents et interrogés sur le piquet qu’ils avaient l’intention de tenir. D’après Ian Sidorov et Vladislav Mordassov, les policiers les ont contraints à « avouer » qu’ils avaient l’intention d'organiser une manifestation violente. Vladislav Mordassov a dit que les policiers les avaient insultés, menacés de violences physiques, y compris de viol, et roués de coups.

Vladislav Mordassov a reçu un coup de poing dans le plexus solaire et dans le ventre, a été frappé au visage et à la tête et a été étranglé. Ian Sidorov a également été frappé au visage, a reçu des coups répétés à la tête, assénés au moyen d’une bouteille en plastique[1], et a été menacé de viol.

Vladislav Mordassov a dit que les injures, les menaces et les coups s’étaient poursuivis pendant son interrogatoire. Puis, à nouveau soumis à des menaces et à des pressions, il a a signé sous la contrainte des « aveux » forgés de toutes pièces - une déclaration qui disait qu’il avait l’intention de renverser le gouvernement. Ian Sidorov a également été contraint à signer des « aveux ». L'interrogatoire a continué jusqu'aux environs de 22 heures. Les policiers leur ont présenté d'autres documents, ont forcé Vladislav Mordassov et Ian Sidorov à les signer, puis ont placé les deux hommes dans une cellule du poste de police. Ces événements se sont déroulés sans que les deux hommes bénéficient des services d’un avocat.

Selon un témoin qui dit avoir partagé la cellule de Vladislav Mordassov et de Ian Sidorov, lorsque ce dernier a été conduit dans la cellule, il était très pâle et a dit à tout le monde qu'il avait dû « tout signer » à cause des menaces de viol. Ce témoignage a été confirmé par deux hommes avec qui Amnistie internationale s’est entretenue en dehors du territoire russe, et qui ont également évoqué les épreuves qu’il avaient personnellement subies aux mains de policiers du Centre de lutte contre l'extrémisme de Rostov-sur-le-Don. Selon leur témoignage, des coups leur ont été assénés sur la tête au moyen d'une bouteille en plastique remplie d’eau, d’une contenance de cinq litres, puis ils ont dû signer des documents sans pouvoir les lire. Ils auraient ensuite été conduits dans les locaux du Comité d'enquête, où ils ont une nouvelle fois signé des documents sans connaître leur contenu. Au cours de ces deux interrogatoires, ils n'ont pas bénéficié des services d’un avocat commis d’office, ce qui constitue une violation du droit russe.

Détention administrative et autres actes de torture et mauvais traitements

Le lendemain matin, c'est-à-dire le 6 novembre, la police a conduit Ian Sidorov, Vladislav Mordassov et Viatcheslav Chachmine au tribunal du district de Kirov, à Rostov-sur-le-Don. Ian Sidorov et Vladislav Mordassov y ont été condamnés, dans le cadre de procédures séparées, à sept jours de « détention administrative » chacun, en vertu de l'article 20.2.2 du Code des infractions administratives (« Organisation ou tenue d'un événement public sans notification en bonne et due forme des autorités »).  Cette période de détention a été calculée à partir du 5 novembre, 13 heures, et aurait dû arriver à son terme le 12 novembre à 13 heures.

À l’issue d'une procédure distincte, Viatcheslav Chachmine a été condamné à cinq jours de « détention administrative » sur la base de charges fallacieuses de « houliganisme simple », en vertu de l'article 20.1 du Code des infractions administratives.  

Après leur condamnation, Ian Sidorov, Vladislav Mordassov et Viatcheslav Chachmine ont été placés dans un centre de détention, Spetspriemnik n° 1, dans des cellules séparées. Selon le témoignage de Vladislav Mordassov, lors de sa détention administrative du 6 au 10 novembre, il a reçu à deux reprises la visite des deux policiers du Centre de lutte contre l'extrémisme, qui l'ont à nouveau interrogé et lui ont fait subir des actes de torture et d'autres mauvais traitements. Les policiers l'ont insulté et menacé, lui ont donné des coups de poing, notamment dans le ventre, le plexus solaire et la tête, lui ont porté des coups au visage et l’ont étranglé. Ils ont exigé qu’il leur donne des informations sur les membres du chat [conversation de messagerie instantanée] « Revolution 5/11/17 Rostov-na-Donu » qu’il avait créé sur l’application Telegram Messenger. Aucun avocat n'était présent lors de cet interrogatoire. Plus tard, Vladislav Mordassov a appris par Ian Sidorov que celui-ci avait lui aussi reçu la visite de policiers du Centre de lutte contre l'extrémisme et qu’il avait été contraint à signer des « aveux ».

Le mouvement Artpodgotovka et le chat « Revolution 5/11/17 Rostov-sur-le-Don » sur Telegram

Environ deux semaines avant son arrestation, Vladislav Mordassov avait créé un chat sur Telegram, intitulé « Revolution 5/11/17 Rostov-na-Donu ». À cette époque, des chats similaires étaient créés dans toute la Russie à la suite d'un appel lancé par Viatcheslav Maltsev, un ancien militant politique local et blogueur qui s’était exilé. Il encourageait ses partisans à « se préparer » pour des manifestations contre le gouvernement le 5 novembre 2017. Cet appel avait été lancé via son blog « Artpodgotovka », qui, selon certaines estimations, comptait des dizaines de milliers de sympathisants, connus sous le nom de « mouvement Artpodgotovka ». En février 2018, la Cour suprême de Russie a statué qu'Artpodgotovka était une organisation extrémiste. Artpodgotovka est interdite d’activité en Russie.

Ian Sidorov et Vladislav Mordassov sont entrés en contact pour la première fois sur le chat créé par ce dernier. Auparavant, ils ne se connaissaient pas personnellement. Ils disent s'être rencontrés physiquement pour la première fois environ deux jours avant le piquet.

Le chat rassemblait moins de 200 personnes, dont seulement une trentaine participait régulièrement aux échanges. Vladislav Mordassov aurait demandé à Ian Sidorov d'en devenir l'administrateur quelques jours après son arrivée sur le chat. Vladislav Mordassov y était enregistré sous son vrai nom, « Vlad Mordassov », tandis que Ian Sidorov utilisait le pseudonyme « Sarymyan Sarymyan ».

Selon l'avocat de Ian Sidorov, le chat a été supprimé après l'arrestation de Vladislav Mordassov et de Ian Sidorov, et la police n'a pu obtenir que des captures d'écran d'extraits de leur conversation.

Amnistie internationale a examiné les messages du chat « Revolution 5/11/17 Rostov-na-Donu » et, conformément à ce qu'ils affirment dans leur défense, ni Ian Sidorov, ni Vladislav Mordassov n'y appelait ou n'y incitait à la violence ou au « renversement du gouvernement ». Au contraire, Ian Sidorov y disait à plusieurs reprises que la manifestation prévue pour le 5 novembre devait rester pacifique. Il rappelait également aux participant.e.s du chat que la Constitution leur garantissait le droit de manifester pacifiquement. Au cours des interrogatoires qu’il a subis par la suite, Ian Sidorov a continué d'affirmer que ses actions étaient totalement pacifiques. 

À la connaissance d'Amnistie internationale, les commentaires potentiellement provocateurs ou susceptibles d'exacerber les tensions ont été publiés, entre autres, par des utilisateurs utilisant les pseudonymes de « q.q. », « Joly Neko » et « Ivan Kolovrat ». Ces commentaires se distinguaient clairement du reste de la conversation du groupe, et ils étaient souvent ajoutés ça et là, sans réel lien avec les échanges en cours. En réponse à ces commentaires, Ian Sidorov mettait en garde les autres participant.e.s, leur disant qu'il ne fallait pas recourir à la violence car cela, pour reprendre ses termes, ferait d’eux des « voyous » et ils deviendraient alors une cible légitime pour la police, qui pourrait agir contre eux en toute légalité. Il soulignait que les personnes participant à la manifestation ne devaient pas amener d'armes ni d'objets pouvant servir d'armes, uniquement des articles tels que des genouillères, des casques et des lunettes pour se protéger de la police. Vladislav Mordassov indiquait également que les ceintures tactiques pouvaient servir d’équipement de protection. 

En outre, Ian Sidorov demandait expressément aux personnes qui souhaitaient participer à la manifestation de ne pas recourir à la violence en cas d'arrestation ou pour protéger d'autres manifestant.e.s.

La police affirme qu’elle n'a pas pu établir quels membres du chat avaient publié des commentaires provocateurs, alors qu'elle n'a eu aucune difficulté à identifier Vladislav Mordassov comme le créateur du chat sur Telegram. Amnistie internationale a de fortes raisons de penser que la police avait infiltré le chat pour surveiller la teneur des échanges. Peu après la première rencontre physique entre Vladislav Mordassov, Ian Sidorov et d’autres membres du chat, juste avant le 5 novembre, un policier a appelé Vladislav Mordassov et a demandé à le rencontrer. Cette rencontre n'a pas eu lieu, mais la police savait manifestement qui étaient Vladislav Mordassov et Ian Sidorov lorsqu'elle les a attendus pour les arrêter sur la place, le 5 novembre. Cela laisse à penser que le chat sur Telegram avait été étroitement surveillé par les services de police chargés de la lutte contre l’extrémisme, et permet de se demander pourquoi Vladislav Mordassov et Ian Sidorov ont été pris pour cible pour avoir voulu organiser une manifestation pacifique, alors que les personnes qui avaient apparemment appelé à la violence n’ont pas été inquiétées.

Des chefs d'inculpation forgés de toutes pièces

Parmi les documents figurant dans le dossier administratif de Ian Sidorov se trouve un mémo (dont Amnistie internationale a consulté une copie) signé par la direction exécutive du centre de détention et adressé au juge responsable de la détermination de la peine. Selon ce mémo, Ian Sidorov a été libéré le 12 novembre, après avoir purgé l'intégralité de sa peine administrative. Or, Ian Sidorov et Vladislav Mordassov affirment n'avoir pas été remis en liberté. Le 10 novembre, ils ont été transférés du centre de détention provisoire vers les locaux du Comité d'enquête de la région de Rostov, où ils ont été interrogés en tant que suspects dans une affaire pénale. Selon Vladislav Mordassov, les policiers du Centre de lutte contre l’extrémisme qui l'avaient torturé étaient présents lors de l'interrogatoire. L'enquêteur a téléphoné à une avocate afin qu'elle vienne assister Vladislav Mordassov. Selon celui-ci, l'enquêteur lui a ordonné d’« avouer » qu’il avait organisé des émeutes de grande ampleur à Rostov-sur-le-Don et l'a insulté et menacé à de nombreuses reprises, en présence de l'avocate. Vladislav Mordassov ayant continué à protester, l'enquêteur a demandé à l'avocate de sortir de la pièce et d'attendre dans le couloir, ce qu'elle a fait, d’après Vladislav Mordassov.

Deux témoins (dont l'identité est connue d'Amnistie internationale mais n’est pas divulguée pour des raisons de sécurité) qui se trouvaient au même moment dans le couloir affirment avoir vu l'avocate de Vladislav Mordassov (une femme âgée, selon eux) sortir d’un des bureaux en disant qu'elle se sentait mal. D’après les témoins, la femme a ajouté : « Je ne peux pas le supporter, ils le tabassent là-dedans », tandis qu'ils entendaient eux-mêmes des cris en provenance de la pièce où avait lieu l'interrogatoire de Vladislav Mordassov. Près de trois heures plus tard, l'avocate a été invitée à revenir dans la pièce. Les témoins disent également avoir vu des policiers en civil passer d'un bureau à l'autre en portant un objet qui ressemblait à une batte de baseball.

Pendant ce temps, Vladislav Mordassov, selon son témoignage, a été menotté, frappé au visage et à la tête, poussé, cogné dans le ventre et dans les reins et étouffé au moyen d’un masque à gaz. À au moins deux reprises, le masque a été retiré alors que Vladislav Mordassov était sur le point de perdre connaissance, et on lui a demandé s'il était prêt à avouer. Il a ensuite été jeté au sol et quatre policiers lui ont donné de nombreux coups de pied, y compris dans l’aine. Vladislav Mordassov a fini par accepter d'« avouer », et l'enquêteur a alors invité l'avocate à revenir dans la pièce pour cosigner la déclaration écrite de son client.

Selon Vladislav Mordassov, l'enquêteur a ensuite rédigé une déclaration où le jeune homme s’accusait lui-même, puis l'a forcé à la signer et lui a ordonné de l'apprendre par cœur, car ils iraient « vérifier la déclaration sur le lieu de l'infraction » le lendemain. L'avocate a cosigné le document sans protester. L'enquêteur a fortement déconseillé à Vladislav Mordassov de revenir sur sa déclaration.

Selon la famille de Ian Sidorov, celui-ci a également subi des pressions destinées à lui faire signer une déclaration dans laquelle il s’accusait lui-même. L'enquêteur a refusé l'accès du bâtiment à l'avocat que sa famille avait engagé et Ian Sidorov a été assisté par un avocat commis d’office. Ian Sidorov a dit à sa famille que cet avocat avait également quitté la pièce pendant un certain temps au cours de son interrogatoire.  

Viatcheslav Chachmine a, lui aussi, été interrogé le 10 novembre. Selon sa famille, juste après avoir été libéré, vers midi, du centre où il avait purgé sa peine de détention administrative, il a été appréhendé par un policier en civil et conduit, à bord d’une voiture banalisée, jusqu’aux locaux du service d'enquête du district de Kirov. Il y a attendu cinq heures l'arrivée d'un enquêteur, puis a été emmené dans les bureaux du Comité d'enquête de la région de Rostov. Il a été interrogé dans ces bureaux jusqu'aux environs de 23 heures.

Dans la déclaration signée par Viatcheslav Chachmine (dont Amnistie internationale a consulté une copie), celui-ci « avouait » une « infraction » consistant à s’être intéressé, avec des « intentions » pacifiques, à la manifestation prévue. 

Plus tard dans la journée du 10 novembre, Vladislav Mordassov, Ian Sidorov et Viatcheslav Chachmine ont été arrêtés en qualité de suspects dans le cadre d'une affaire pénale ouverte le jour même. Vladislav Mordassov et Ian Sidorov purgeaient toujours leur peine de « détention administrative » pour des actes qui étaient à présent qualifiés d'infractions pénales. Selon l'avocat de Ian Sidorov, un tribunal a par la suite annulé leurs condamnations administratives pour éviter une situation de double incrimination, en violation du droit russe. À cette date, ils avaient purgé l'intégralité de leurs peines administratives.

Vladislav Mordassov et Ian Sidorov ont été reconduits au centre de détention après minuit, tandis que Viatcheslav Chachmine était maintenu en détention.

Le 11 novembre, Vladislav Mordassov et Ian Sidorov ont été amenés sur le lieu des faits qui leur étaient reprochés, aux fins de vérification des déclarations qu’ils avaient signées. Le 12 novembre, le tribunal du district Lénine (Rostov-sur-le-Don) a décidé, à l’issue d’audiences séparées, de placer Ian Sidorov et Vladislav Mordassov, en tant qu'auteurs présumés d'infractions pénales, en détention provisoire pour une période de deux mois. Leur détention a ensuite été prolongée à plusieurs reprises par les tribunaux, jusqu'au 9 février. L'avocat de Ian Sidorov a dit à Amnistie internationale que son client avait interjeté appel, sans succès, de chaque décision de prolongation et qu’après l'une de ces prolongations, il avait entamé une grève de la faim de plusieurs semaines en signe de protestation. Viatcheslav Chachmine est actuellement assigné à domicile. 

Le 17 novembre 2017, Ian Sidorov et Vladislav Mordassov ont été inculpés des infractions pénales suivantes : « tentative d'organisation de troubles civils » (article 30.3 et article 212.1 du Code pénal) et « tentative de participation à des troubles civils » (article 30.3 et article 212.2 du Code pénal).

L'enquêteur a demandé une expertise des messages échangés sur le chat Telegram auquel ils avaient participé. Un examen linguistique (dont Amnistie internationale a consulté une copie), réalisé par un expert officiel du ministère de l'Intérieur, a conclu que certains messages du chat pouvaient être perçus comme des appels à renverser le gouvernement ou comme des incitations à l'hostilité envers les policiers. Cependant, ces messages avaient été rédigés par d'autres utilisateurs, et non par Ian Sidorov ou Vladislav Mordassov. Par conséquent, cet examen s'est révélé insuffisant pour poursuivre Ian Sidorov et Vladislav Mordassov en justice, et l'enquêteur a demandé deux autres examens psychologiques et linguistiques de ces mêmes messages par le Centre privé d'expertise judiciaire de Rostov. Les experts avaient pour mission d'établir la « catégorie » du « groupe » auquel les membres du chat appartenaient, de déterminer si ce groupe avait un meneur et d'indiquer si le chat comportait des déclarations appelant à la violence, y compris à l'encontre des autorités. Contrairement à la loi (articles 195 et 198 du Code de procédure pénale), l'enquêteur n'a pas respecté les délais pour informer les avocats de Ian Sidorov et de Vladislav Mordassov de la date de ces examens, et il a refusé d'y inclure leurs questions.

Le Centre d'expertise judiciaire de Rostov a conclu que les membres du chat formaient un « groupe ». En outre, les experts sont allés au-delà de la mission qui leur avait été confiée et ont affirmé que l'objectif à long terme de ce groupe était le renversement du gouvernement, et que ses objectifs à court terme étaient des émeutes de grande ampleur et des actes de violence à l'encontre des autorités. Les experts ont conclu que les membres du chat présentaient les traits caractéristiques d'un groupe criminel et que, malgré « l'absence de hiérarchie clairement établie entre les membres actifs du chat à ce stade », il existait déjà des meneurs : des membres dont les pseudonymes étaient « Vlad Mordassov » et « Sarymyan Sarymyan », c'est-à-dire Vladislav Mordassov et Ian Sidorov. À ce jour, les tentatives de la défense pour contester les conclusions de cette expertise restent infructueuses.

Victimes de nombreuses violations des droits humains

Les poursuites engagées contre Vladislav Mordassov, Ian Sidorov et Viatcheslav Chachmine constituent une violation des normes internationales en matière de droits humains et sont contraires à la Constitution russe, notamment en ce qui concerne les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'expression, mais aussi le droit de pas être soumis à la torture, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne et le droit à un procès équitable.

L'article 29 de la Constitution russe[2], notamment, garantit le droit à la liberté d'expression. C'est également le cas de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)[3] et de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)[4], deux instruments auxquels la Russie est partie. Toute restriction de ce droit doit être prévue par la loi et nécessaire et proportionnée à la réalisation d’un but légitime autorisé par le droit international. Les propos tenus par Ian Sidorov et Vladislav Mordassov dans le chat sur Telegram, ainsi que les affiches qu'ils ont apportées sur la place où ils avaient l'intention de tenir une manifestation, sont des formes d’exercice de leur droit à la liberté d'expression et de réunion pacifique. 

De même, l'article 31 de la Constitution russe dispose : « Les citoyens de la Fédération de Russie ont le droit de se rassembler pacifiquement, [...] de tenir des réunions, meetings et manifestations, des marches et piquets. » Le droit de réunion pacifique est garanti par l'article 21 du PIDCP, par l'article 11 de la CEDH et, comme d'autres droits humains, est détaillé plus avant dans d'autres traités internationaux relatifs aux droits humains et dans la jurisprudence en la matière. Le droit à la liberté de réunion pacifique comprend le droit de planifier, d’organiser, de promouvoir et d’annoncer une réunion par tout moyen légal. En outre, l’exercice de ce droit ne devrait pas être sujet à une autorisation préalable des autorités. Le fait d’omettre de notifier une réunion aux autorités ne rend pas cette réunion illicite et ne devrait donc pas être un motif de dispersion du rassemblement. « Lorsqu’il n’y a pas eu de notification en bonne et due forme, les organisateurs et les dirigeants communautaires ou politiques ne devraient pas être l’objet de sanctions pénales ou administratives assorties d’amendes ou de peines d’emprisonnement. »[5] Par conséquent, les poursuites engagées à l'encontre de Ian Sidorov et de Vladislav Mordassov pour tenue d’une « réunion non autorisée » sont contraires au droit international et à la Constitution russe.

L'arrestation et la détention de Ian Sidorov, de Vladislav Mordassov et de Viatcheslav Chachmine sont arbitraires et fondées sur des raisons fallacieuses. Par conséquent, elles constituent une violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne (article 22 de la Constitution russe, article 9 du PIDCP, article 5 de la CEDH).

De nombreuses violations des normes internationales en matière de procès équitables définies dans l'article 14 du PIDCP et l'article 6 de la CEDH, et inscrites notamment dans les articles 46, 48 et 50 de la Constitution russe, y compris du droit de bénéficier d'une défense judiciaire adéquate et de la présomption d'innocence, ont aussi été commises.

Amnistie internationale considère également qu'il existe de fortes raisons de penser que les autorités russes ont violé l'interdiction absolue de la torture et des autres mauvais traitements (article 7 du PIDCP, article 3 de la CEDH). Les allégations de torture et d'autres mauvais traitements doivent donner lieu sans délai à une enquête efficace et impartiale.

 

[2]Constitution de la Fédération de Russie, 1993, http://www.constitution.ru/fr/part2.htm

[3]Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), 1966, http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CCPR.aspx

[4]Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), 1950, https://www.echr.coe.int/Documents/Convention_FRA.pdf

[5]Voir le Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, paragraphes 19, 21 et 23, A/HRC/31/66, https://undocs.org/fr/A/HRC/31/66.