Il faut annuler les jugements rendus à l'issue de procès iniques contre les manifestants du Hirak
Les décisions de culpabilité et les lourdes peines prononcées dans les affaires concernant 53 manifestants du Hirak à Casablanca doivent être annulées en raison de l’iniquité des procès, a déclaré Amnistie internationale le 27 juin 2018.
Les chefs de file de la contestation Nasser Zefzafi et Nabil Ahamjik ont été condamnés dans la soirée du 26 juin à 20 ans de prison, tout comme deux autres manifestants, en lien avec les contestations qui se sont déroulées dans la région du Rif en 2017. D'autres manifestants ont été condamnés à des peines allant de 1 à 15 ans d'emprisonnement.
« Ces condamnations sont ternies par le caractère extrêmement inique des procès, a déclaré Heba Morayef, directrice du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d'Amnistie internationale.
« Nasser Zefzafi, ainsi que les personnes déclarées coupables et emprisonnées pour avoir manifesté pacifiquement en faveur de la justice sociale ou avoir relayé les manifestations sur les réseaux sociaux, n'auraient jamais dû comparaître en justice. Nasser Zefzafi doit être libéré et sa condamnation doit être annulée. »
Trois manifestants ont été condamnés à 15 ans d'emprisonnement et sept autres à 10 ans d'emprisonnement. Dix manifestants ont été condamnés à cinq ans de prison et à une amende de 2 000 dirhams marocains (environ 180 euros). Huit ont été condamnés à trois ans de prison, 19 à deux ans de prison et un à une année de prison. Tous ont écopé de la même amende.
Un autre accusé, qui a évité la prison, a été condamné à une amende de 5 000 dirhams marocains (environ 450 euros).
« Les personnes raisonnablement soupçonnées d'avoir commis une infraction doivent être rejugées sans délai au cours de procédures totalement conformes aux normes internationales en matière d'équité des procès, ou être relâchées, a déclaré Heba Morayef.
« Amnistie internationale est vivement préoccupée quant à la nature des " aveux " présentés à titre de preuves, car les détenus affirment avoir subi des actes de torture et des mauvais traitements aux mains de la police durant les interrogatoires. Les " aveux " extorqués sous la contrainte auraient dû être exclus des procédures judiciaires. »
Plusieurs accusés ont affirmé au tribunal que leurs aveux avaient été arrachés sous la torture ; pourtant, aucune enquête n’a été ordonnée. Le 3 juillet 2017, le manifestant Omar Bouhrass a déclaré au juge d’instruction de la cour d'appel de Casablanca qu'il avait été torturé. Selon son avocat, Omar Bouhrass a déclaré que des policiers l'ont frappé tout en lui ordonnant de dire « Vive le Roi », lui ont ôté ses sous-vêtements, lui ont cassé deux dents et l'ont menacé et insulté à la suite de son arrestation, à Al Hoceima.
Dans de nombreux cas, le ministère public a inculpé la plupart des accusés d'« incitation » à causer des troubles, de « participation » ou de « complicité » dans ces troubles, sans fournir aucune preuve de leur responsabilité pénale individuelle dans des actes de violence. Aux termes du droit international relatif aux droits humains, la participation à une manifestation non autorisée n'est pas en soi un motif d'incarcération, et elle doit s'accompagner d'une infraction dûment reconnue par la loi, telle que l'implication dans des actes de violence.
Protestations contre les procès iniques
Nasser Zefzafi a observé une grève de la faim du 23 mai au 3 juin pour protester contre l'iniquité des procès et les conditions déplorables de détention. En solidarité, 22 détenus ont entamé une grève de la faim qui a duré entre quatre et 19 jours. Nasser Zefzafi se trouve à l'isolement pour une durée indéterminée depuis plus d'un an.
Le 16 juin, Rabie Lablak, qui poursuit sa grève de la faim, a appelé sa mère pour lui dire adieu, expliquant qu'il était prêt à mourir en raison de l'iniquité de son procès. Le lendemain, l'administration pénitentiaire a publié une déclaration niant que Rabie Lablak poursuivait sa grève de la faim. Cependant, son avocat lui a rendu visite récemment et a confirmé que c'était bien le cas. Selon les informations recueillies par Amnistie internationale, il n'a pas été examiné par un médecin depuis le 14 juin.
Le 12 juin, 49 des détenus ont signé une déclaration commune expliquant qu'ils boycottaient le procès car ils le jugeaient inéquitable.
Le jugement rendu le 26 juin a confirmé que l'affaire concernant le journaliste Hamid El Mahdaoui, lui aussi détenu à Casablanca, a été séparée de celle des 53 autres accusés. Son procès reprendra le 28 juin.
Complément d’information
Depuis mai 2017, les forces de sécurité ont arrêté des centaines de manifestants, dont des mineurs et plusieurs journalistes, en marge des manifestations majoritairement pacifiques. Ces arrestations visent de nombreux manifestants, militants et blogueurs dans la région du Rif, dans le nord du Maroc, qui ont manifesté pour réclamer la fin de la marginalisation des habitants et un meilleur accès aux services dans la région.
La Cour d'appel de Casablanca juge actuellement 54 personnes en lien avec le mouvement de contestation du Rif, appelé Hirak en arabe. La plupart des accusations retenues contre le leader de la contestation Nasser Zefzafi et ses co-accusés vont à l'encontre des obligations du Maroc en termes de droits humains, car elles criminalisent l'exercice pacifique des droits à la liberté de réunion, d'association et d'expression.
Des manifestants ont décrit la torture et les autres mauvais traitements qui leur ont été infligés. Ils auraient notamment été roués de coups, étouffés, dévêtus, menacés de viol et insultés par la police, au moment de l'arrestation et lors des interrogatoires, parfois pour les contraindre à passer aux « aveux ».
En juillet 2017, le ministre de la Justice a annoncé des investigations sur au moins 66 cas présumés de torture et de mauvais traitements infligés par la police à des manifestants en détention. À Casablanca, 22 des 54 accusés ont été examinés par un médecin nommé par le juge d'instruction, mais aucune information judiciaire n'a été ouverte.
Par ailleurs, les juges ont retenu à titre de preuves lors du procès des déclarations qui, selon les accusés, leur ont été extorquées sous la torture, en violation des obligations internationales qui incombent au Maroc.