Un rapport décrit les atteintes dont sont victimes les peuples autochtones qui défendent leurs terres
Dans toute la Malaisie, les peuples autochtones sont constamment victimes de harcèlement, de manœuvres d’intimidation, d’arrestations, de violences voire d’homicides alors qu’ils ne font que résister pacifiquement pour ne pas être chassés de ce qu’ils considèrent comme leurs terres ancestrales, révèle Amnistie internationale dans un rapport publié le 29 novembre 2018.
Ce rapport (en anglais), intitulé The Forest Is Our Heartbeat: The Struggle to Defend Indigenous Land in Malaysia, présente les innombrables obstacles auxquels se heurtent les peuples autochtones et les personnes qui plaident leur cause dans le pays. L’enquête d’Amnistie internationale se fonde sur des dizaines d’entretiens avec des membres de communautés autochtones, des chef·fe·s de village, des militant·e·s locaux, des membres d’organisations de la société civile, des avocat·e·s, des universitaires et des journalistes de toute la Malaisie péninsulaire, ainsi que du Sabah et du Sarawak.
« Les autorités ne protègent pas le droit à la terre des peuples autochtones, qui est pourtant reconnu par le droit malaisien, a déclaré Rachel Chhoa-Howard, spécialiste de la Malaisie à Amnistie internationale. Les cultures autochtones risquent de disparaître totalement, tout comme les forêts de Malaisie.
« D’après nos recherches, il est évident que les autorités fédérales et étatiques minimisent l’ampleur des atteintes que subissent les peuples autochtones. Il faut que le nouveau gouvernement introduise de toute urgence des réformes d’application immédiate, comme promis dans son programme électoral. »
Violences et harcèlement
Le rapport montre que l’homicide du militant autochtone Bill Kayong – un ardent défenseur des droits fonciers des peuples autochtones abattu en plein jour à Miri en juin 2016 – a été perpétré dans un climat de violences, de manœuvres d’intimidation et de harcèlement visant les défenseur·e·s des droits humains au Sarawak.
Des personnes décrites comme des « criminels » munis de sabres ou d’autres armes ont attaqué, harcelé et agressé physiquement des responsables communautaires et des militant·e·s en toute impunité. D’autres personnes ont expliqué à Amnistie internationale que la police, des représentant·e·s de l’État et des organes publics avaient menacé, arrêté et placé sous enquête des membres de communautés autochtones et des défenseur·e·s des droits humains de tout le pays. Les autorités étatiques ont démoli les barrages pacifiques érigés par les communautés qui tentaient de protéger leurs terres.
Citons l’exemple de Gua Musang (Kelantan), où des personnes ont déclaré à Amnistie internationale avoir été arrêtées et interrogées sans équivoque par la police sur leur rôle dans les manifestations pacifiques visant à défendre leurs terres. Plusieurs journalistes ont aussi indiqué à l’organisation qu’ils avaient été interrogés et détenus simplement pour avoir couvert les manifestations.
Absence de redevabilité et de protection
Le rapport souligne l’absence systématique de redevabilité lorsque des atteintes sont commises. Peut-être du fait de sa violence extrême, l’homicide de Bill Kayong est le seul parmi les cas sur lesquels Amnistie internationale a travaillé où une personne a été déclarée coupable d’un crime, crime qui aurait pu être évité selon sa famille :
« Bill avait fait de nombreux signalements à la police. La manière dont la police a géré cette affaire ne me satisfait pas et je pense que, si elle avait fait son travail efficacement et à temps, mon frère serait toujours en vie, a déclaré un proche à Amnistie internationale. Rien n’a été fait, aucune mesure n’a été prise. »
Le tireur présumé a été déclaré coupable mais aucune charge n’a été retenue contre d’éventuels commanditaires. La famille Kayong appelle le nouveau procureur général à réexaminer l’affaire.
« Dans un grand nombre d’affaires que nous avons étudiées, les autorités malaisiennes n’ont pas mené d’enquête digne de ce nom sur les violations des droits humains dénoncées par les communautés, a déclaré Rachel Chhoa-Howard. Les cas d’attaques, d’agressions et de menaces imputables à des personnes décrites comme des “criminels” ont suscité une indifférence scandaleuse au sein de la police, selon les témoins.
« Comme l’illustre tragiquement le cas de Bill Kayong, le fait que les autorités ne protègent pas les personnes qui défendent les terres des peuples autochtones sape le travail vital de celles-ci et les expose à un danger encore plus grand. »
Une situation au point mort
La nouvelle coalition au pouvoir en Malaisie, le Pakatan Harapan, s’engage actuellement dans un programme de réformes après sa victoire aux élections de mai 2018. Dans son programme de campagne, elle promettait de « reconnaître, faire respecter et protéger la dignité et les droits » des peuples autochtones de Malaisie.
« En Malaisie, plus d’une personne sur 10 appartient à un peuple autochtone, a déclaré Rachel Chhoa-Howard. Manifestement, les questions foncières concernant les peuples autochtones n’ont pratiquement pas progressé depuis le rapport de l’enquête nationale sur les terres autochtones publié en 2013.
« Plus particulièrement, des membres de communautés autochtones nous ont dit que les autorités n’avaient pas recueilli leur consentement préalable, libre et éclairé pour les projets d’urbanisme. Il est grand temps que les autorités agissent ; l’avenir des forêts et des peuples autochtones du pays en dépend. »
Il est temps d’agir
Le rapport présente des domaines dans lesquels il est clairement nécessaire d’agir. Il est notamment essentiel de renforcer et d’élargir, tant au niveau du droit que des politiques, la protection des défenseur·e·s des droits humains afin qu’ils puissent mener leurs activités en toute sécurité et sans risquer d’être harcelés. Il faut que le gouvernement malaisien diligente rapidement une enquête approfondie et impartiale sur les attaques, menaces et agressions visant des défenseur·e·s des droits humains. Il doit aussi ratifier les principales conventions qui protègent et promeuvent les droits des peuples autochtones, parmi lesquelles le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).
En outre, il est crucial qu’il revienne sur sa décision récente de ne pas ratifier la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
« Il est extrêmement décevant que le gouvernement n’ait pas tenu sa promesse de ratifier la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, a déclaré Rachel Chhoa-Howard. L’objectif de ce texte est de protéger les droits de tous et toutes, sans discrimination.
« Sur les 57 États membres de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), 55 l’ont ratifié (les deux exceptions étant la Malaisie et le Brunéi Darussalam), comme l’ont fait également sept des 10 États membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE). Le gouvernement doit revoir sa décision s’il entend protéger les peuples autochtones de Malaisie du harcèlement et des atteintes de grande ampleur qui sont mis en évidence dans le rapport. »