Il faut protéger les civils assiégés à Derna
Alors que la crise humanitaire s’aggrave dans la ville assiégée de Derna, en Libye, Amnistie internationale demande au chef de l'Armée nationale libyenne (ANL), le général Khalifa Haftar, et à toutes les parties impliquées dans les combats d'ouvrir des couloirs humanitaires afin d’amener une aide impartiale et de sauver la vie des civils encore pris au piège, au fur et à mesure que l'armée progresse.
Les habitants de Derna se préparent à des combats de rue sanglants alors que l'ANL poursuit son avancée dans la ville. Certains ont déclaré avoir peur de fuir la ville parce que l'ANL est connue pour désigner, arrêter de manière arbitraire et faire disparaître ceux qu’elle considère comme des opposants, surtout les hommes jeunes.
« Nous recevons des informations terribles de Derna : la ville, qui subit un siège prolongé et des combats intenses, est au bord de la catastrophe humanitaire. Un blocus est mis en place pour causer des souffrances inutiles à des hommes, des femmes et des enfants, qui se retrouvent encerclés, alors que les réserves de nourriture, d'eau et de fournitures médicales s'amenuisent et qu'ils n'ont aucun moyen d’échapper à cette situation désespérée, a déclaré Heba Morayef, directrice du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d'Amnistie internationale.
« L'ANL renforçant son offensive contre la ville, toutes les parties ont l'obligation au titre du droit international humanitaire de faciliter un accès sans entraves à des secours humanitaires impartiaux – fournitures médicales et nourriture notamment – et de permettre aux civils de fuir les combats sans craindre d'être victimes de détention arbitraire, de harcèlement, d’intimidation et d'homicides illégaux. »
Derna, ville portuaire de l'est de la Libye, est assiégée depuis juillet 2017. Les combats se sont intensifiés depuis mi-mai, car l'ANL cherche à consolider sa position et à expulser la Force de sécurité de Derna, un groupe armé qui a récemment changé de nom et s'appelait auparavant le Conseil de la choura de Derna. Derna est aussi la cible de bombardements aériens et de tirs d'artillerie intensifs et de combats au sol très durs qui ont gagné le centre-ville.
Les communications dans la ville sont limitées et, selon les rapports de l'ONU, notamment du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), les conditions humanitaires sont épouvantables. Les derniers rapports de l'OCHA, en date du 30 mai, pointent une grave pénurie de nourriture, d'eau et de fournitures médicales. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a fait savoir le 9 juin que le nombre de personnes déplacées de la ville de Derna s'élevait à 2 183.
Ces rapports corroborent les chiffres donnés par les personnes qui se trouvent à Derna avec qui Amnistie internationale s'est entretenue. Livrant des récits alarmants, elles ont déclaré que l'ANL bloque délibérément toute entrée d'aide dans la ville et bloque la sortie des personnes qui demandent l'autorisation de partir pour accéder à des soins à l’extérieur de Derna.
L'hôpital principal de Derna signale une grave pénurie de fournitures médicales. Des médecins ont informé Amnistie internationale que leur capacité à fournir de l'aide vitale s’amenuise et qu’à ce rythme, ils ne pourront bientôt plus fournir ces soins s'ils ne reçoivent pas une assistance médicale indispensable.
« Le mois dernier, les forces de l'ANL surveillant le blocus ont refusé l'entrée de huit conteneurs emplis de fournitures médicales. Le principal hôpital de Derna ne peut proposer que de l'aide vitale de stabilisation, les cas non urgents étant envoyés dans des cliniques privées », a déclaré un responsable de l'hôpital de Derna.
Les habitants de Derna qui se sont entretenus avec Amnistie internationale ont signalé que ceux qui sont blessés en raison des combats doivent négocier individuellement, et faire jouer leurs relations tribales, pour être autorisés à sortir et obtenir des soins médicaux en dehors de Derna.
« Amnistie internationale demande aux forces de l'ANL de cesser d'entraver les opérations d'aide humanitaire. Toutes les parties doivent faciliter l'entrée des fournitures de secours et le travail des agences humanitaires impartiales, tout en veillant à ce que tous les civils désireux de partir puissent quitter la ville en sécurité. Il faut permettre à des observateurs indépendants de superviser les opérations de secours et l'évacuation des civils qui souhaitent partir. »
« Derna compte une population de plus de 120 000 personnes [et] nous sommes tous punis. Nous avons été débarrassés de l'État islamique pour retomber dans une situation [terrible]. Nous voulons juste retrouver une vie normale », a déclaré un habitant.
« Les attaques menées sans discrimination et les bombardements aveugles contre des zones à forte population doivent cesser. Toutes les parties doivent s'efforcer de protéger les civils et remplir leurs obligations au titre du droit international humanitaire ; sinon, elles risquent d'être responsables de crimes de guerre », a déclaré Heba Morayef.
Les habitants de Derna se préparent à de possibles combats de rue, interminables et sanglants, comme ce fut le cas lors de la campagne de l'ANL à Benghazi qui a fait de très nombreuses victimes, y compris des civils dans le quartier de Ganfouda en mars 2017. L'ANL est connue pour recourir à des méthodes odieuses contre les civils – exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et attaques aveugles notamment – qui font de nombreuses victimes et, dans certains cas, constituent des crimes de guerre.