Le pays doit protéger les réfugié-e-s ayant fui des attaques de l’armée en Éthiopie
Mère de sept enfants, Ayantu, âgée de 53 ans, venait de finir de préparer le déjeuner pour sa famille lorsque des soldats ont commencé à encercler son village. Ils ont traîné les habitants hors de chez eux et leur ont demandé de désigner les shiftas - l’appellation familière donnée aux membres du Front de libération oromo, un groupe d’opposition interdit en Éthiopie.
Pour les résidents d’Argale, un village oromo du district de Moyale, ce type de harcèlement terrifiant était devenu monnaie courante. Mais cette fois-là, les choses étaient différentes. À peine quatre jours avant, le 10 mars 2018, neuf personnes avaient été abattues « par erreur » - et 15 autres personnes blessées - par des soldats dans le village voisin de Shawa Bare. Ces attaques ont poussé des milliers d’Oromos des villages de Tuka, Argale, Madiambo et Chamuq à fuir au Kenya.
Pour Ayantu et d’autres personnes, cela fait 20 ans que ce genre d’attaques est à l’ordre du jour. À la mi-2017, elle a vu des soldats tuer son oncle parce qu’il s’était élevé contre leurs attaques et manœuvres de harcèlement lors d’une réunion de village. En janvier dernier, son époux a été arrêté, en compagnie de trois autres hommes. Elle n’a aucune idée de ce qui lui est arrivé, ni de l’endroit où il se trouve actuellement.
Pour Godana, 52 ans, un habitant du village de Tuka, les séquelles physiques et psychologiques de sa rencontre avec l’armée restent profondes. Son torse et son dos portent des marques de brûlures, qui lui ont été infligées parce qu’il s’était lui aussi exprimé contre le harcèlement de l’armée.
« Les soldats ont creusé un trou dans le sol et m’ont mis dedans après m’avoir lié les poignets. Ils m’ont laissé là toute la journée en plein soleil », a-t-il raconté. Les soldats ont roué sa femme de coups de pied lorsqu’elle a essayé de les empêcher de l’appréhender ; enceinte, elle a ensuite fait une fausse-couche.
Au Kenya, la paix et la sécurité auxquelles ces personnes aspiraient se sont cependant avérées difficiles à trouver.
Des représentants du gouvernement éthiopien se sont rendus à Moyale le 20 mars, accompagnés de dirigeants kenyans locaux, afin de persuader les réfugié-e-s de rentrer chez eux. Le gouverneur du comté de Marsabit, au Kenya, s’est lui aussi présenté dans les camps improvisés de son comté en avril, et a exhorté les réfugié-e-s à retourner dans leur pays ou à accepter d’être transférés dans le camp de Kakuma, à plus de 1 000 kilomètres. Il a déclaré que les services locaux de sécurité et de santé étaient débordés à cause des réfugié-e-s. Des anciens de clans locaux ont par ailleurs signalé avoir reçu des appels de leurs homologues éthiopiens leur demandant de dire aux réfugié-e-s de rentrer chez eux.
Le gouvernement kenyan n’agit pas différemment. En avril, son secrétariat aux Réfugiés a rappelé les fonctionnaires s’occupant de l’enregistrement des réfugié-e-s dans le comté de Marsabit, privant dans les faits les nouveaux arrivants de la possibilité de se faire reconnaître comme réfugié-e-s. Le commissaire adjoint du comté a par ailleurs suspendu la coordination des organisations humanitaires, perturbant la prestation de certains services essentiels.
Si quelque 4 000 réfugié-e-s sont retournés chez eux de leur propre chef après que le nouveau Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a prêté serment, les 6 000 personnes toujours sur place continuent à craindre pour leur sécurité si elles rentrent. Le district de Moyale, en Éthiopie, reste le théâtre d’affrontements armés qui ont amené les réfugié-e-s à craindre pour leur sécurité et leur vie, d'où leur réticence à rentrer dans leur pays.
Ayant signé et ratifié des traités internationaux relatifs aux réfugié-e-s, le gouvernement kenyan est tenu de continuer à garantir asile et protection aux réfugié-e-s éthiopiens à Moyale, jusqu’à ce que ceux-ci estiment qu’ils peuvent retourner chez eux en toute sécurité. Le Kenya ne doit pas pousser les réfugié-e-s à rentrer dans leur pays en leur rendant la vie difficile sur son territoire. Le risque de graves violations des droits humains en Éthiopie reste bien réel.
Le gouvernement kenyan doit faire tout ce qui est en son pouvoir afin de soutenir les réfugié-e-s éthiopiens, notamment en facilitant leur enregistrement et en coordonnant les services humanitaires pour qu’ils puissent bénéficier de nourriture, d’un abri et de services de santé adaptés.
Le gouvernement kenyan doit également favoriser leur intégration sociale et économique, afin que ces personnes puissent mener une vie normale, dans la sécurité et la dignité.