De nouveaux témoignages font état d'expulsions de demandeurs d'asile érythréens et soudanais qui se retrouvent en danger en Ouganda
Israël a continué d'expulser des demandeurs d'asile érythréens et soudanais vers l'Ouganda au moins jusqu'en janvier 2018, a indiqué Amnistie internationale le 13 avril, malgré les déclarations du gouvernement ougandais indiquant qu'aucun accord n'avait été conclu avec Israël pour recevoir ces personnes. Les récentes recherches menées par l'organisation indiquent qu'une fois arrivés en Ouganda, les demandeurs d'asile expulsés n'ont pas reçu de papiers, et ils se sont retrouvés sans protection juridique et exposés au risque d'exploitation, malgré les garanties écrites fournies par Israël les assurant qu'ils seraient protégés.
Le 13 avril 2018, le gouvernement ougandais a annoncé qu'il « examin[ait] d'un œil favorable » la requête des autorités israéliennes concernant la réinstallation de quelque 500 « réfugiés » érythréens et soudanais. On ne connaît pas précisément le contenu de cet accord, mais le gouvernement ougandais a déclaré que les demandeurs d'asile seront « soumis à une procédure de filtrage rigoureuse » conditionnant l'obtention de l'asile dans le pays.
Amnistie internationale a rassemblé les témoignages de 10 demandeurs d'asile érythréens et soudanais expulsés d'Israël vers l'Ouganda entre février 2017 et janvier 2018. Sept d'entre eux se trouvent toujours en Ouganda, et les trois autres ont rejoint d'autres pays africains.
Ces témoignages font état d'une procédure d'accueil à l'arrivée en Ouganda qui suscite de graves inquiétudes quant aux droits des personnes expulsées, notamment avec un risque de renvoi forcé dans leur pays d'origine. Les demandeurs d'asile ont dit à Amnistie internationale que des Ougandais les attendaient à l'aéroport et qu'ils les ont escortés en les faisant passer, pour sortir de l'aéroport, par des couloirs discrets permettant de contourner les contrôles des services de l'immigration et des douanes. Ces Ougandais ont ensuite pris aux demandeurs d'asile leurs documents de voyage délivrés par les autorités israéliennes, et ces derniers se sont retrouvés sans visa ni autre document prouvant qu'ils étaient entrés de façon régulière dans le pays. L'un de ces demandeurs d'asile expulsés s'est entendu dire que leurs papiers devaient être renvoyés en Israël. Des taxis les ont alors conduits jusqu'à un hôtel à Kampala, où des chambres avaient été payées à l'avance pour deux ou trois nuits. « C'est comme un kidnapping », a dit à Amnistie internationale l'un des demandeurs d'asile érythréens pour décrire ce qui était arrivé.
Des représentants des autorités israéliennes ont donné aux personnes expulsées des documents et les ont assurés verbalement qu'elles allaient recevoir en Ouganda un permis de séjour les autorisant à travailler et les protégeant contre un renvoi forcé dans leur pays d'origine. Israël leur a également donné 3 500 dollars des États-Unis quand ils ont quitté le pays. Une fois arrivés en Ouganda, toutefois, les demandeurs d'asile interviewés par Amnistie internationale se sont aperçus que ces promesses étaient creuses. Leur situation irrégulière au regard de la législation sur l'immigration les expose au risque d'une arrestation et d'un renvoi forcé dans leur pays d'origine.
L'un des demandeurs d'asile interviewés par Amnistie internationale a été arrêté par la police ougandaise peu après son arrivée dans le pays, en même temps que cinq autres hommes expulsés d'Israël, et frappé pendant plus de trois heures. « Ils me demandaient : "Tu es en situation irrégulière, comment es-tu entré dans le pays ?" Ils m'ont pris tout l'argent que j'avais reçu en Israël », a-t-il expliqué à l'organisation. Ces hommes ont donné de l'argent à la police en échange de leur libération, et ils ont quitté l'Ouganda deux jours plus tard.
Au moins quatre des hommes restés en Ouganda ont tenté d'entamer une procédure de demande d'asile en Ouganda par le biais d'un intermédiaire, qui leur a demandé de l'argent. L'un d'eux a donné 400 dollars à un intermédiaire qui lui a promis de lui apporter des papiers et qui a ensuite disparu. Trois au moins des hommes interviewés par Amnistie internationale se sont dits préoccupés par le fait que, comme ils venaient d'Israël, leur demande d'asile serait rejetée s'ils tentaient d'engager cette procédure.
L'un des hommes expulsés a dit à Amnistie internationale qu'il avait récemment reçu un appel téléphonique d'un agent des services israéliens de l'immigration qui lui avait demandé des renseignements sur sa situation actuelle en Ouganda. « Je lui ai dit que ça allait très mal : je n'ai ni papiers ni travail », a-t-il indiqué à Amnistie internationale.
Onze Érythréens et Soudanais seulement ont obtenu le statut de réfugié en Israël depuis 2013. Selon le gouvernement israélien, 1 749 demandeurs d'asile érythréens et soudanais ont été expulsés vers l'Ouganda entre 2015 et 2018, dont 630 en 2017 et 128 entre janvier et mars 2018.
Le gouvernement ougandais a toutefois systématiquement nié l'existence d'un accord relatif à l'accueil de personnes expulsées d'Israël, niant implicitement la présence de demandeurs d'asile venant d'Israël sur son territoire et refusant de reconnaître toute obligation à leur égard. D'après les médias, le 3 avril 2018, le ministre ougandais des Affaires étrangères, Henry Okello Oryem, a indiqué : « Nous n'avons aucun contrat, ni aucun accord, formel ou informel, avec Israël lui permettant de se débarrasser de ses réfugiés sur notre territoire. »
La Haute Cour de justice israélienne examine actuellement une affaire dans laquelle elle doit se prononcer sur la légalité ou non de l'expulsion d'Israël de demandeurs d'asile érythréens et soudanais. La Cour a demandé au gouvernement israélien de lui fournir des informations les jours prochains sur son « accord réactualisé » avec l'Ouganda, permettant des « expulsions involontaires ».
L'expulsion d'Israël de demandeurs d'asile érythréens et soudanais est illégale au titre du droit international car elle viole le principe de non-refoulement. En effet, il est interdit de transférer une personne vers un endroit où elle risque d'être victime de persécutions et de graves violations des droits humains, et où elle ne sera pas protégée contre un transfert ultérieur.
Israël se targue d'avoir l'un des PIB (produit intérieur brut) les plus élevés au monde, ce qui en fait l'une des nations les plus prospères et riches du Moyen-Orient. Le PIB par habitant d'Israël est plus de 55 fois plus élevé que celui de l'Ouganda, et le nombre de réfugiés en Ouganda est plus de 20 fois supérieur au nombre de réfugiés en Israël.
Le gouvernement israélien a la responsabilité de protéger les réfugiés dans le monde et d'accueillir les demandeurs d'asile qui ont désespérément besoin d'un abri. L'expulsion forcée – et illégale – de demandeurs d'asile érythréens et soudanais constitue un abandon de cette responsabilité. Il s'agit d'un exemple de politique inconsidérée ayant alimenté ce qu'il est convenu d'appeler la crise mondiale des réfugiés.
Le gouvernement israélien doit immédiatement cesser d'expulser les demandeurs d'asile érythréens et soudanais vers l'Ouganda, et leur accorder l'accès à une procédure équitable et effective de détermination du statut de réfugié. Le gouvernement ougandais doit quant à lui mettre immédiatement fin à toute coopération avec le gouvernement israélien visant à procéder à des expulsions illégales.