Il faut faire toute la lumière sur la mort de manifestants opposés à des activités minières. L’ouverture d’une enquête et l’arrestation de policiers sont des premières avancées positives
Les autorités gambiennes doivent enquêter de manière approfondie sur le recours présumé à une force excessive par la police, qui a fait deux morts parmi les manifestants opposés aux activités d’extraction de sable le 18 juin 2018, ont déclaré Human Rights Watch et Amnistie internationale le 20 juin 2018.
Le gouvernement gambien doit accélérer les réformes qui s’imposent pour veiller à ce que les forces de sécurité du gouvernement disposent de la supervision, de la formation et de l’équipement nécessaires pour encadrer les manifestations dans le respect des normes internationales en matière de droits humains.
Selon des témoins, la police aurait tiré à balles réelles sur des manifestants du village de Faraba Banta, tuant deux habitants, Bakary Kujabi et Ismaila Bah, et blessant au moins six autres personnes. Le jour même, le président Adama Barrow a diffusé un communiqué de presse indiquant qu’il avait ouvert une enquête et que toutes les activités d’extraction de la zone avaient été suspendues. Le gouvernement a aussi affirmé que cinq policiers impliqués dans la fusillade étaient en garde à vue et seraient suspendus pendant la durée de l’enquête.
« L’usage présumé d’une force meurtrière excessive par les forces de sécurité fait resurgir des souvenirs douloureux du passé récent de la Gambie », a expliqué Sabrina Mahtani, chercheuse d’Amnistie internationale sur l’Afrique de l’Ouest.
« En promettant d’enquêter, le gouvernement a agi dans le bon sens. Les Gambiens doivent pouvoir organiser des manifestations sans que les forces de sécurité ne fassent usage d’une force disproportionnée et excessive. »
Des heurts ont éclaté entre des membres de l’Unité d'intervention de la police (PIU), une force paramilitaire de la police, et les habitants de Faraba Banta, à 50 kilomètres au sud de la capitale, Banjul, après le blocage par les habitants de la circulation liée aux activités d’extraction.
Un journaliste qui a observé la manifestation a dit à Human Rights Watch et Amnistie internationale : « Dès que [les renforts policiers] sont sortis du véhicule, ils ont commencé à tirer à balle réelle. Ils l’ont fait sans avertissement ni mise en garde préalable. » Un autre journaliste présent dans le village, Pa Bojang, a indiqué que les policiers l’avaient maintenu en détention pendant six heures, l’avaient giflé et lui avaient confisqué son dictaphone.
Des témoins ont dit à Human Rights Watch et Amnistie internationale que des manifestants avaient jeté des pierres et incendié des véhicules, faisant plus d’une dizaine de blessés parmi les policiers. Le chef de la police gambienne, Landing Kinteh, a affirmé le 18 juin dans une déclaration aux médias que le commandement des forces de police « n’avait pas autorisé l’usage d’armes à feu » par la police en réaction aux manifestations.
Plusieurs manifestants arrêtés le 18 juin, et notamment les personnes blessées, sont toujours en garde à vue et pourraient être poursuivis pour destruction de biens. Les détenus blessés doivent recevoir des soins médicaux et un tribunal doit réexaminer dans les meilleurs délais le bien-fondé du prolongement de leur détention. Les responsables présumés de destructions de biens et d’autres infractions doivent être poursuivis dans le respect des normes internationales d’équité des procès.
Le 26 mai, une manifestation à Faraba Banta contre les activités d’extraction de sable destiné au secteur de la construction s’était également soldée par des affrontements entre les habitants et la police. Des policiers avaient lancé des grenades lacrymogènes et tiré des balles en caoutchouc pour disperser des manifestants violents. Selon les habitants de Faraba Banta, l’extraction de sable endommagera les champs de riz dont ils dépendent pour se nourrir et qui représentent une source de revenus. L’Unité d'intervention de la police avait maintenu sa présence dans le village après les heurts du 26 mai.
Les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois précisent que les forces de sécurité ne peuvent « recou[rir] intentionnellement à l’usage meurtrier d’armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines ». De plus, « les responsables de l’application des lois ne peuvent utiliser des armes à feu pour disperser les rassemblements violents que s’il n’est pas possible d’avoir recours à des moyens moins dangereux, et seulement dans les limites du minimum nécessaire ».
Les Lignes directrices pour le maintien de l’ordre lors des réunions en Afrique, adoptées par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, prévoient que les armes à feu « ne doivent jamais être utilisées pour disperser une réunion » et que l’usage intentionnel de la force létale est interdit « à moins qu’il ne soit strictement inévitable afin de protéger la vie ». En cas de recours à la force, les responsables de l’application des lois doivent veiller à ce que toute personne blessée reçoive une assistance médicale.
« Ce n’est pas la première fois que l’Unité d’intervention de la police gambienne fait usage d’une force excessive contre des manifestants. Elle l’a fait en échappant à toute critique sous le régime brutal de l’ancien président Jammeh », a expliqué Jim Wormington, chercheur de Human Rights Watch sur l’Afrique de l’Ouest.
« Le gouvernement gambien doit démontrer qu’il peut mener des enquêtes crédibles et prendre des sanctions appropriées contre les responsables de tels agissements ou les poursuivre en justice. »