L’État doit s’attaquer aux causes structurelles de la violence
Par Erika Guevara-Rosas, directrice d’Amnistie internationale pour la région Amériques
Au-delà des débats électoraux qui ont lieu actuellement, la Colombie a besoin d’un grand accord national pour mettre fin aux violences structurelles dans certaines régions du pays et garantir le respect des droits humains, en particulier pour les groupes depuis longtemps marginalisés et abandonnés par l’État. Cet accord devra mener à des changements systémiques dans les politiques de l’État, afin que ces problèmes ne dépendent pas de la volonté politique de chaque gouvernement.
L’État colombien n’a pas reconnu que les dynamiques du conflit armé persistent dans certaines régions comme le Chocó, le Cauca, Nariño et Catatumbo, et n’a par conséquent pas pris de mesures pour faire face à la situation, laissant la population en butte à des violences généralisées et perverses en l’absence d’intervention des autorités. Après plus de 50 ans de guerre, la Colombie a toujours une dette envers les plus de sept millions de victimes qui attendent toujours d’obtenir justice et des réparations complètes pour leurs souffrances et de voir leurs droits fondamentaux rétablis.
Le silence sur les graves atteintes aux droits humains qui continuent d’être commises dans le pays ne peut persister, d’autant plus que les communautés afro-colombiennes et indigènes, qui voient leurs terres et ressources confisquées, continuent d’être les principales victimes de ces atteintes.
Les chiffres sur les déplacements forcés et les homicides de défenseur-e-s des droits humains pour les premiers mois de l’année 2018 reflètent la négligence de l’État colombien et l’absence de mesures de protection nécessaires pour faire face à cette grave crise et répondre aux besoins de ces groupes oubliés des débats électoraux, qui souffrent des violences armées.
D’après les informations qu’Amnistie internationale a reçues, depuis janvier 2018, au moins 150 000 personnes ont été soumises à des déplacements forcés, un crime relevant du droit international. Dans le même temps, la réorganisation des groupes armés impliqués dans le conflit place certaines communautés dans une situation d’isolement bafouant leurs droits fondamentaux. Les affrontements armés entre les forces de sécurité de l’État, des combattants de l’ELN et des groupes paramilitaires sont une constante dans la vie de milliers de Colombiens vivant dans des régions rurales, notamment les populations indigènes du Chocó et de Risaralda.
D’autres communautés, notamment à Bojayá et Pogue dans le département du Chocó, vivent avec la peur et l’angoisse d’être à nouveau victimes d’affrontements armés. L’État doit prendre des mesures afin de garantir le respect de leurs droits humains et éviter à tout prix un nouveau massacre comme celui qui avait endeuillé le pays en 2002.
Plus de 40 défenseur-e-s des droits humains et responsables de communautés ont été tués en Colombie cette année, ce qui illustre les violentes représailles liées à leur travail. Les défenseur-e-s des droits humains continuent d’être victimes de stigmatisation et ne bénéficient que d’une protection très limitée de l’État face à ces attaques et menaces quotidiennes. Des violences liées au genre, notamment des violences sexuelles contre des femmes et des enfants, sont également signalées tous les jours.
L’État doit s’engager à éradiquer les causes de ces violences structurelles. Les terres des communautés afro-colombiennes et indigènes ne doivent plus être une zone de guerre. Les acteurs armés comme l’ELN doivent respecter le droit international humanitaire et s’engager à respecter le principe de distinction entre les civils et les combattants dans le conflit, particulièrement en ce qui concerne les civils qui souffrent des violences armées depuis des décennies. Les groupes paramilitaires ne peuvent pas être autorisés à garder le contrôle de nombreuses régions du pays avec la complicité ou l’assentiment des autorités.
Les personnes qui sont victimes du conflit armé en Colombie ne peuvent pas continuer d’attendre que le gouvernement les protège et veille à ce qu’elles puissent vivre dans la dignité sur leurs terres. Il est maintenant temps que l’État reconnaisse la situation historique dans laquelle se trouve le pays et prenne des mesures concrètes pour mettre fin aux violences et garantir le respect des droits humains dans tout le pays.