La vérité et la justice restent hors d'atteinte pour des milliers de victimes de disparitions forcées
Alors que le monde commémore la Journée internationale des victimes de disparition forcée, Amnistie internationale appelle les gouvernements de l'Asie du Sud à accorder enfin la vérité, justice et réparation aux familles des milliers de personnes qui ont été soumises à une disparition forcée, dans certains cas il y a plusieurs dizaines d'années.
Les disparitions forcées ont meurtri des populations entières dans toute la région de l'Asie du Sud. Dans certains pays, ce crime abominable continue d'être commis, et dans d'autres, les autorités n'ont pas respecté leur engagement de fournir la vérité, justice et réparation pour les milliers de personnes qui ont été arrachées à leur entourage.
« La disparition forcée est l’une des pires violations des droits humains. Des personnes sont arrachées à leurs proches par des agents de l'État ou par des tiers agissant sous leurs ordres, qui nient ensuite détenir ces victimes ou refusent de dire où elles se trouvent. Les familles se retrouvent plongées dans l’angoisse, essayant d’entretenir la flamme de l’espoir tout en craignant le pire. Elles restent parfois plusieurs années voire plusieurs décennies dans cette terrible incertitude, a déclaré Biraj Patnaik, directeur pour l’Asie du Sud à Amnistie internationale.
« L'Asie du Sud présente un bilan particulièrement lourd en ce qui concerne les disparitions forcées, certains gouvernements persistant à recourir à cette pratique et d'autres s'abstenant de donner des réponses aux personnes qui en attendent depuis de nombreuses années. Il est grand temps que les gouvernements de la région mènent des enquêtes dignes de ce nom, punissent les responsables des disparitions forcées, et abandonnent définitivement cette pratique. Les personnes qui ont été soumises à une disparition forcée doivent être immédiatement relâchées à moins qu'elles ne soient inculpées d'une infraction dûment reconnue par la loi. »
Les personnes soumises à une disparition forcée risquent fortement d'être torturées et même tuées. Les disparitions forcées sont utilisées pour terroriser les gens, et cela a des effets dévastateurs non seulement sur les personnes visées et leurs proches, mais aussi sur des populations entières, avec des plaies qui cicatrisent très difficilement. C'est pour cette raison que la disparition est un crime de droit international, et que si elle s'inscrit dans le cadre d'attaques généralisées et systématiques menées contre la population civile, elle constitue alors un crime contre l'humanité.
Afghanistan
En Afghanistan, après plus de quarante ans de conflit armé, des dizaines de milliers de personnes ne savent pas ce qu'il est advenu d'un de leurs proches ni où il se trouve. Des dizaines de milliers de personnes ont été soumises à une disparition forcée quand le Parti démocratique populaire d'Afghanistan s'est emparé du pouvoir à la fin des années 1970. Les disparitions forcées ont encore représenté une des constantes de l'invasion soviétique qui a suivi, de la guerre civile qui a eu lieu à la suite du retrait des forces soviétiques, et du régime des talibans. La pratique des disparitions forcées perdure en Afghanistan. Au lieu de reconnaître ce passé aux terribles répercussions et d'accorder la vérité, la justice et des réparations à toutes ces victimes, le gouvernement afghan s'est abstenu de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, alors même que des personnes continuent d'être arrachées à leurs familles par les autorités.
Bangladesh
Depuis 2013, les autorités du Bangladesh sont responsables de centaines de disparitions forcées. D'après un récent rapport de Human Rights Watch, 90 personnes ont été soumises à une disparition forcée en 2016. Il s'agit dans la plupart des cas de disparitions de courte durée, les personnes étant présentées devant un juge quelques semaines après leur enlèvement. Toutefois, 21 personnes ont été retrouvées mortes à la suite de leur disparition forcée, et l'on ignore ce qu'il est advenu de neuf autres personnes. Les victimes ont principalement été des membres de l'opposition politique, et les autorités n'ont pas mené d'enquête digne de ce nom pour retrouver celles qui n'ont toujours pas réapparu et pour déférer à la justice tous les responsables de ces agissements.
Inde
En Inde, les informations faisant état de disparitions forcées proviennent dans une large mesure de régions désignées comme étant « troublées » au titre des Lois relatives aux pouvoirs spéciaux des forces armées, comme le Cachemire et le Manipur. D'après un rapport publié par la Commission internationale de juristes (CIJ) en 2017, quelque 8 000 disparitions forcées ont été signalées au Cachemire entre 1989 et 2012. Il indique aussi que les disparitions forcées étaient monnaie courante dans le Manipur et dans d'autres États du nord-est de l'Inde dans les années 1980 et 1990. L'Inde n'a pas fait de la disparition forcée une infraction pénale spécifique prévue par le Code pénal. En conséquence, les familles des « disparus » doivent porter plainte en se basant sur des dispositions générales de la législation pénale du pays. L'Inde a signé en 2007 la Convention internationale des Nations unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, mais elle ne l'a pas encore ratifiée.
Maldives
Il y a quatre ans, Ahmed Rilwan, blogueur et reporter pour le journal Maldives Independent, a été enlevé devant son domicile par des individus non identifiés. On ignore ce qu'il est advenu de lui depuis, et où il se trouve, et l'on craint qu'il ne soit détenu par des agents de l'État. En 2012, Ahmed Rilwan a reçu des menaces de mort pour avoir publié des informations sur l'attaque dont a été victime le blogueur Ismail Hilath Rasheed, qui a reçu des coups de couteau et été blessé. À la suite des mouvements de protestation déclenchés par sa disparition, les autorités ont arrêté quatre suspects en septembre 2014. Le mois suivant, deux de ces suspects ont été relâchés. En août 2018, un tribunal pénal des Maldives a acquitté deux hommes accusés de l'enlèvement d'Ahmed Rilwan. Le président des Maldives, Abdullah Yameen, a froidement dit qu'Ahmed Rilwan était « sans aucun doute mort », avant de revenir sur ses propos le lendemain. On ignore actuellement ce qu'il est advenu d'Ahmed Rilwan, et où il se trouve.
Népal
Au cours du conflit qui a duré plus de 10 ans, plus de 1 300 personnes ont été soumises à une disparition forcée. Les Nations unies estiment que dans un seul district, plus de 250 personnes ont subi une disparition forcée. Le gouvernement a mis en place une Commission d'enquête sur les disparitions forcées, qui a commencé à recevoir des informations en 2016 et rassemblé plus de 3 000 plaintes. Or, en raison de son mandat restreint et des contraintes persistantes en ce qui concerne les moyens dont elle dispose et le contexte politique, la commission n'a pas pu fonctionner de façon efficace pour établir la vérité et déterminer ce qu'il est advenu des victimes de disparition forcée et le lieu où elles se trouvent.
Pakistan
Au cours des 20 dernières années, les autorités au Pakistan ont soumis des milliers de personnes peut-être à une disparition forcée. Le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires a plus de 700 cas en instance pour le Pakistan, et la Commission d'enquête sur les disparitions forcées créée par le gouvernement du Pakistan a reçu des informations faisant état de plusieurs centaines de cas signalés dans tout le pays. Parmi ces victimes figurent des blogueurs, des journalistes, des étudiants, des militants politiques, des défenseurs des droits humains, des membres de minorités religieuses, et des membres présumés de groupes armés. Les cas de disparition forcée qui ont pendant un temps été cantonnés aux provinces insurgées du Khyber Pakhtunkhwa et du Baloutchistan, touchent à présent le centre du pays et ses plus grandes villes.
Sri Lanka
D'après les estimations d'Amnistie internationale, depuis les années 1980, au moins 60 000 et jusqu'à 100 000 personnes ont été victimes de disparitions forcées au Sri Lanka. Parmi les victimes figurent de jeunes Cingalais, que les escadrons de la mort du gouvernement ont tués ou fait disparaître parce qu'ils étaient soupçonnés d'entretenir des liens avec des mouvements gauchistes, en 1989 et 1990. Elles incluent également des Tamouls soupçonnés d'être liés aux Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul (LTTE), disparus aux mains de la police, de l'armée et des groupes paramilitaires durant le conflit qui a duré de 1983 à 2009. Des défenseurs des droits humains, des travailleurs humanitaires, des journalistes, des détracteurs du gouvernement et des dirigeants communautaires ont également été victimes de disparitions forcées.
Malgré des engagements internationaux visant à mettre un terme à l'impunité pour les disparitions forcées, les autorités n'ont pas enquêté sur ces cas et n'ont pas déterminé le lieu où se trouvent les victimes ni le sort qui leur a été réservé, ni poursuivi en justice les auteurs présumés de ces crimes.