• 1 Sep 2025
  • Pologne
  • Communiqué de presse

Pologne. Twitter/X a facilité la propagation de la haine et du harcèlement envers les personnes LGBTI

Le rapport contient des éléments pouvant heurter la sensibilité de certains lecteurs et lectrices.

Le réseau social X, anciennement Twitter, a contribué à la propagation de la haine ciblant les personnes LGBTI en Pologne, indique Amnistie internationale dans un nouveau rapport qui analyse pour la première fois le modèle économique de cette plateforme.

Ce rapport, intitulé “A Thousand Cuts”: Technology-Facilitated Gender-Based Violence Against Poland’s LGBTI Community on X, révèle comment le modèle économique de X et ses manquements dans la modération des contenus ont permis la diffusion de la violence liée au genre facilitée par la technologie.

« Par ses pratiques de modération insuffisante des contenus et son absence d’application de la diligence requise en matière de droits humains, X a contribué à des atteintes aux droits fondamentaux commises contre des membres de la communauté LGBTI de Pologne », a déclaré Alia Al Ghussain, chercheuse et conseillère sur l’intelligence artificielle et les droits humains pour Amnistie internationale.

En raison de ces manquements, associés à la suppression injustifiable des protections contre les discours haineux, X est devenu un terrain propice aux contenus constitutifs de violence liée au genre facilitée par la technologie.

Cela a eu des conséquences sur les droits des personnes LGBTI à la liberté d’expression, d’association, à la non-discrimination et sur leur capacité de se sentir en sécurité dans la société.  

La communauté LGBTI de Pologne a subi de nombreuses formes de violence liée au genre sur X, notamment des menaces de violence physique, du harcèlement en ligne et de la divulgation d’informations personnelles ainsi que de la haine en ligne ciblée.

En conséquence, certaines personnes ont été contraintes de cesser d’utiliser cette plateforme, par crainte d’être exposées ou ostracisées.

Prévalence des contenus anti-LGBTI sur X

En partenariat avec l’Algorithmic Transparency Institute (un programme de l’organisation National Conference on Citizenship), une équipe de recherche a créé 32 comptes témoins qui ont recueilli 163 048 tweets entre le 1er et le 31 mars 2025.

L’étude de ces tweets a révélé une forte prévalence des contenus anti-LGBTI sur la plateforme. Une analyse portant sur un échantillon de 1 387 tweets montre que les contenus homophobes et transphobes sont très courants sur les comptes X qui suivent des responsables politiques opposés aux droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres.

Le système de recommandation de X (algorithme qui alimente le fil « Pour toi ») est conçu pour maximiser l’engagement des utilisateurs et utilisatrices. En privilégiant l’engagement, cet algorithme est incité à présenter des contenus qui généreront des interactions. Même en présence de protections, il risque d’entraîner l’amplification de contenus préjudiciables suscitant des réactions fortes pour alimenter un cycle d’engagement.

C’est également la première fois qu’Amnistie internationale a procédé à une analyse du modèle économique de X sous l’angle des droits humains. Celle-ci révèle l’étendue de ce modèle fondé sur la surveillance, qui s’appuie sur la collecte invasive des données des utilisateurs et utilisatrices pour leur présenter des publicités ciblées, à l’instar des modèles économiques d’autres plateformes de réseaux sociaux.

Ce modèle économique, associé à des règles et pratiques insuffisantes de modération des contenus, expose la communauté LGBTI de Pologne à un risque élevé d’être visée par des contenus constitutifs de violence liée au genre facilitée par la technologie.

Impact sur les personnes

Les attaques contre les utilisateurs et utilisatrices LGBTI sur X sont liées à leur genre, leur orientation sexuelle ou son expression réels ou supposés.

Aleksandra Herzyk, artiste et femme asexuelle vivant à Cracovie, a raconté comment la haine ciblée l’avait contrainte à quitter la plateforme après avoir été harcelée pour avoir parlé de son opération de réduction mammaire et prise à tort pour une femme trans.

« Les choses que vous lisez sur vous – elles ne sont pas vraies mais, d’une certaine manière, elles vous restent dans la tête. C’est comme mourir à petit feu, a-t-elle expliqué.

« Il y avait des gens qui disaient que, s’ils me croisaient à la salle de gym ou ailleurs, ils me briseraient les os, qu’ils souhaitaient que quelqu’un me tue. »

Magda Dropek, militante âgée de 42 ans, continue d’utiliser X pour défendre les droits des personnes LGBTI et le droit à l’avortement, en dépit des effets négatifs.

« Je fais du militantisme queer et politique principalement sur Twitter. Je sais l’importance qu’a cet outil pour la communication et le militantisme.

« D’après mon expérience, si j’écris [ou si quelqu’un d’autre écrit] quelque chose de queer [...], très souvent, je constate qu’un tweet donne lieu à 30, 40 “j’aime” ou cinq commentaires dans un premier temps, et qu’après un jour ou même quelques heures, il y a environ 500 commentaires [anti-LGBTI].

« Il s’agit surtout de nous réduire au silence et de montrer que ce n’est pas notre place, que notre place est de nous taire, de ne pas être visibles », a-t-elle indiqué.

Maja Heban, une femme trans de 34 ans qui habite à Varsovie, a déclaré : « Quoi que vous [les autres utilisateurs et utilisatrices] puissiez dire, c’est bon – même lorsqu’il s’agit de comparer les personnes LGBT à des animaux, des violeurs ou des pédophiles. Tout passe. »

Responsabilité de X dans la violence liée au genre facilitée par la technologie

Le sous-investissement chronique de X dans la modération des contenus en polonais a grandement contribué à son absence de traitement des contenus constitutifs de violence liée au genre facilitée par la technologie.

Ses propres rapports sur la transparence indiquent que l’entreprise n’emploie que deux personnes pour la modération des contenus en polonais – dont l’une pour qui ce n’est pas la langue maternelle.

Ces deux personnes sont chargées de couvrir une population 37,45 millions d’habitant·e·s, dont 5,33 millions utilisant X.

« Ce cumul de moyens, de règles et de pratiques insuffisants a contribué à faire de X une plateforme inondée de contenus haineux ciblant la communauté LGBTI », a déclaré Alia Al Ghussain.

Le 22 août 2024, nous avons écrit à X pour l’interroger sur les activités commerciales de l’entreprise en Pologne entre 2019 et 2024. Aucune réponse ne nous est parvenue.

Non-respect du Règlement sur les services numériques

Aux termes du Règlement européen sur les services numériques (DSA), les très grandes plateformes en ligne (« Very Large Online Platforms » ou VLOP), dont X fait partie, ont l’obligation légale d’évaluer et d’atténuer les risques systémiques pour les droits humains. Dans son évaluation des risques 2024, X reconnaît les risques de haine et d’intimidation sur sa plateforme mais ne mentionne aucunement les préjudices concernant spécifiquement les personnes LGBTI. Un audit indépendant des mesures d’évaluation et d’atténuation des risques prises par X au regard du DSA, mené sur la période allant du 1er janvier au 23 août 2024, a conclu que celles-ci étaient faibles, inefficaces et manquaient de protections pour les systèmes algorithmiques.

Les manquements répétés de X en Pologne montrent que l’entreprise n’agit pas contre ses risques systémiques pour les droits humains. Le DSA, un outil décisif pour garantir le respect de l’obligation de rendre des comptes et d’offrir des voies de recours, doit être appliqué avec rigueur et volonté.

Amnistie internationale a envoyé un nouveau courrier à X le 25 juin 2025 pour présenter les allégations figurant dans ce rapport et pour laisser à l’entreprise la possibilité de réagir, mais n’a reçu aucune réponse en retour.

La Commission européenne doit élargir l’enquête qu’elle mène actuellement sur X afin d’examiner la capacité de l’entreprise à atténuer efficacement le risque de violence liée au genre facilitée par la technologie. X doit de toute urgence lancer des réformes pour arrêter de contribuer à des atteintes aux droits humains commises contre les personnes LGBTI en Pologne, prévoir des moyens suffisants pour la modération des contenus en polonais et mettre fin à son modèle économique fondé sur la surveillance.

Complément d’information

Amnistie internationale a précédemment examiné le rôle joué par les choix de X en matière de conception et de politique dans la diffusion de fausses informations visant les personnes musulmanes et migrantes au Royaume-Uni et la façon dont cette plateforme est devenue un lieu où la violence et le harcèlement contre les femmes prolifèrent.

En 2019, Amnistie internationale a publié un rapport sans précédent montrant comment les modèles économiques de Facebook et de Google menacent les droits humains. Ses conclusions soulignaient leur incompatibilité inhérente avec toute une série de droits fondamentaux.