• 3 oct 2025
  • Maroc et Sahara occidental
  • Communiqué de presse

Maroc. Les autorités doivent mettre fin à l’usage excessif de la force au vu de la répression des manifestations de jeunes

Une enquête indépendante doit être immédiatement ouverte sur la répression violente des manifestations de jeunes par les forces de sécurité marocaines, au vu des informations dignes de foi selon lesquelles au moins trois manifestants ont été tués, des dizaines d’autres blessés et plus de 400 personnes arrêtées à travers le Maroc depuis fin septembre 2025, a déclaré Amnistie internationale le 3 octobre. 

Ces manifestations, décrites comme étant menées par la génération Z, ont débuté pacifiquement, mais les autorités ont réagi avec un recours illégal à la force et des arrestations arbitraires massives. Par exemple, des vidéos examinées par Amnistie internationale montrent que dans la soirée du 30 septembre, des éléments des forces de sécurité ont délibérément dirigé leurs véhicules sur des personnes en train de manifester ou arrêté violemment ces personnes. Des témoins oculaires ont également dit à Amnistie internationale que les forces de sécurité ont arrêté des manifestant·e·s en recourant à la force. Au cours des deux nuits suivantes, des actes de violence commis par des protestataires ont été signalés, avec dans certains cas la destruction de biens appartenant à la police, mais les manifestations sont restées pacifiques dans d’autres endroits.  

« Nous sommes extrêmement préoccupés par les preuves qui émergent montrant que les forces de sécurité marocaines ont fait un usage excessif de la force et arrêté massivement des manifestant·e·s et des passant·e·s. Les autorités doivent veiller à la tenue d’une enquête transparente sur les décès survenus et réagir avec retenue face à tout acte de violence, conformément aux lignes directrices internationales. Les autorités marocaines doivent garantir la protection du droit de manifester pacifiquement. Personne ne devrait être puni pour avoir exercé ses droits humains, revendiqué ses droits économiques ou sociaux ou demandé la fin de la corruption », a déclaré Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnistie internationale. 

« Aux termes du droit international, l’usage de la force létale par les forces de l’ordre est interdit sauf s’il est strictement inévitable pour protéger des vies. Les autorités doivent faire tout leur possible pour éviter de recourir à la force, et lorsque l’usage de la force est inévitable, celui-ci doit être strictement nécessaire et proportionné, et toutes les précautions doivent être prises afin de minimiser les dommages. » 

Amnistie internationale a examiné plusieurs dizaines de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrant des membres des forces de sécurité, parfois en civil, qui arrêtent en recourant à la force des manifestant·e·s pacifiques les 28 et 29 septembre et qui les emmènent dans des fourgons de police.  

Un manifestant a expliqué à Amnistie internationale que des membres des forces de sécurité en civil ont encerclé des manifestant·e·s pris individuellement : « J’ai vu une fille qui était assise par terre, sans rien faire, sans même scander ou crier des slogans, être emmenée de force par les forces de sécurité ; elle leur demandait “qu’est-ce que j’ai fait ?” et disait “j’ai le droit d’être ici”, mais ils ne lui répondaient pas et ils l’ont poussée violemment dans le fourgon. » 

Un autre manifestant à Casablanca a déclaré : « La police ciblait spécifiquement toute personne qui s’adressait aux médias. Je les ai vus se précipiter sur quelqu’un qui donnait une interview à deux journalistes et qui parlait dans les micros : les policiers sont arrivés par-derrière et l’ont emmené de force. »  Des protestataires ont été arrêtés alors qu’ils faisaient des déclarations aux médias, comme le montrent des vidéos publiées en ligne.  

Ces pratiques soulèvent de graves préoccupations concernant la détention arbitraire, l’absence de procédure régulière et leur effet dissuasif sur l’exercice du droit à la liberté de réunion. 

Des images vidéo examinées par Amnistie internationale montrent des véhicules des forces de sécurité qui foncent directement sur un groupe de manifestants dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre à Oujda, faisant au moins un blessé grave. De tels actes constituent un usage dangereux et illégal de la force, mettant des vies en danger et exacerbant la violence.  

L’utilisation intentionnelle de véhicules pour percuter des manifestant·e·s qui ne représentent aucune menace immédiate pour la vie d’autrui constitue une violation flagrante des normes internationales relatives aux droits humains, notamment les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, qui exigent des autorités qu’elles minimisent les dommages et protègent la vie à tout moment. 

Les chiffres officiels indiquent que 409 personnes ont été arrêtées depuis le 28 septembre, dont au moins 193 font l’objet de poursuites judiciaires, beaucoup d’entre elles étant en liberté sous caution. Les avocat·e·s avec lesquels Amnistie internationale s’est entretenue ont déclaré qu’il était difficile de confirmer le nombre de personnes toujours détenues, car celui-ci ne cesse de varier.  

Les manifestant·e·s inquiétés, dont certains sont mineurs, sont actuellement poursuivis au titre de l’article 591 du Code pénal marocain, qui réprime la participation à des rassemblements considérés comme violents, alors même que ces manifestant·e·s ont été arrêtés les 28 et 29 septembre, avant que des actes de violence ne soient signalés. 

« Les autorités marocaines doivent immédiatement abandonner les charges retenues contre toute personne détenue uniquement pour avoir exercé son droit de réunion pacifique. En vertu de leurs obligations internationales en matière de droits humains, les autorités marocaines doivent respecter et protéger le droit de manifester. Au lieu de recourir à la répression, le gouvernement devrait répondre aux revendications légitimes des jeunes qui demandent une meilleure éducation, des soins de santé équitables, des possibilités d’emploi décentes, la transparence et des mesures de lutte contre la corruption », a déclaré Heba Morayef.  

Complément d’information 

Des manifestations ont éclaté fin septembre 2025 dans plusieurs villes au Maroc, notamment à Casablanca, Agadir, Marrakech, Tanger, Salé, Oujda et Rabat. Cette mobilisation a été motivée par une insatisfaction généralisée face à la défaillance des services publics, au taux de chômage élevé, à la corruption et aux dépenses considérables consacrées à la Coupe du monde de football 2030. 

Le mouvement mené par des jeunes, qui a pris le nom de « Gen Z 212 », est largement décentralisé et organisé au moyen de réseaux sociaux tels que TikTok, Instagram et Discord. 

Pendant plusieurs jours, les manifestations sont restées pacifiques. Des violences n’ont été signalées qu’à partir des nuits du 30 septembre et du 1er octobre, au moment où les affrontements se sont intensifiés, où des véhicules ont été incendiés et où les forces de sécurité ont utilisé du gaz lacrymogène, des balles en caoutchouc et des munitions létales. Selon le ministère marocain de l’Intérieur, au moins 263 membres des forces de sécurité et 23 civil·e·s ont été blessés au cours de ces troubles.