Amnistie internationale met en garde contre les conséquences dévastatrices de la réduction brutale par les États-Unis de l’aide internationale, qui menace les droits humains dans le monde entier

La suspension brutale, incohérente et de grande ampleur par l’administration Trump de l’aide internationale prodiguée par les États-Unis met en péril des millions de vies et les droits fondamentaux dans le monde entier. Dans son rapport intitulé Lives at Risk, rendu public jeudi 29 mai, Amnistie internationale examine la manière dont ces coupes ont mené à la suspension de programmes essentiels dans le monde entier, dont beaucoup fournissaient des soins de santé, la sécurité alimentaire, des hébergements, des services médicaux et un soutien humanitaire à des personnes en situation d’extrême vulnérabilité, notamment des femmes, des filles, des victimes de violences sexuelles et d’autres groupes marginalisés, ainsi que des réfugié·e·s et des personnes en quête de sécurité.
Ces coupes ont été effectuées en réponse au décret intitulé « Reevaluating and Realigning United States Foreign Aid », pris par le président Donald Trump le 20 janvier 2025, ainsi qu’à d’autres décrets ayant désigné certains groupes et programmes spécifiques dans une optique de réduction des aides. Lors de son témoignage les 21 et 22 mai devant le Sénat et la Chambre des représentants des États-Unis, Marco Rubio, le secrétaire d’État, a fourni des réponses faibles ou incomplètes sur les graves répercussions de la mise en œuvre de ce décret sur les droits humains, qui sont contredites par les éléments recueillis par Amnistie et d’autres organisations. Il a même affirmé à tort qu’il n’y avait eu aucun décès lié à ces réductions. Compte tenu de l’ampleur de celles-ci, du nombre et de l’étendue des modèles sérieux prédisant une mortalité importante, et du fait que des décès ont déjà été constatés, l’affirmation selon laquelle il n’y a pas eu de décès découlant de ces réductions défie toute logique.
« Cette décision abrupte et cette mise en œuvre incohérente par l’administration Trump sont irréfléchies et profondément préjudiciables », a déclaré Amanda Klasing, directrice nationale des relations gouvernementales et du plaidoyer à Amnistie internationale États-Unis. « La décision de supprimer ces programmes de manière aussi abrupte et peu transparente viole le droit international relatif aux droits humains, qui est contraignant pour les États-Unis, et met à mal des décennies de leadership américain dans les efforts humanitaires et de développement au niveau mondial. Si les financements américains ont entretenu au fil des décennies une relation complexe avec les droits humains, l’ampleur et la soudaineté des coupes actuelles ont créé un vide mettant des vies en danger que d’autres gouvernements et organisations d’aide ne sont pas en mesure de combler dans l’immédiat, ce qui porte atteinte aux droits à la vie, à la santé et à la dignité de millions de personnes. »
Les deux domaines dans lesquels les coupes ont causé un préjudice important à l’échelle mondiale sont les réductions forcées - ou la fermeture complète - de programmes qui garantissaient des soins de santé et des traitements à des personnes marginalisées, ainsi que de ceux qui soutenaient les migrant·e·s et les personnes en quête de sécurité dans des pays du monde entier.
Les droits à la vie et à la santé gravement menacés
Le gouvernement des États-Unis est depuis longtemps un bailleur de fonds clé de la santé mondiale, investissant dans la prévention du VIH, les programmes de vaccination, la santé maternelle, l’aide humanitaire et plus encore. Depuis la suspension brutale de l’aide par le président Trump dans divers pays, de nombreux services de santé vitaux ont été interrompus ou fermés. Par exemple :
- Au Guatemala, la suppression de financements a perturbé des programmes d’aide aux victimes de violences sexuelles, notamment le soutien nutritionnel à des filles enceintes ayant été violées, ainsi que le soutien médical, psychologique et juridique pour aider les victimes de la violence à reconstruire leur vie après les abus. D’autres coupes ont été effectuées dans des services clés de lutte contre le VIH, notamment la prévention et le traitement.
- En Haïti, des services de santé et des services de prise en charge à la suite d’un viol ont perdu leur financement, y compris pour les mineur·e·s victimes de violences sexuelles. Les coupes dans le financement de la lutte contre le VIH ont réduit l’accès des femmes et des filles, ainsi que des personnes LGBTI, à la prévention et au traitement.
- En Afrique du Sud, où sévit l’épidémie de VIH la plus grave au monde, le financement de la prévention du VIH et de services de proximité pour les orphelin·e·s et les mineur·e·s vulnérables, y compris des jeunes victimes de viol, a été supprimé, privant ainsi les personnes concernées de soins.
- En Syrie, certains services essentiels à Al Hol - un camp de détention où 36 000 personnes, pour la plupart des mineur·e·s, sont détenues arbitrairement et pour une durée indéterminée, en raison de leur affiliation supposée au groupe armé État islamique - ont été suspendus. Certains services d’ambulance et cliniques de santé ont été parmi les premiers services supprimés.
- Au Yémen, certains services d’assistance et de protection vitaux, notamment le traitement de la malnutrition chez les enfants, les femmes enceintes et les mères allaitantes, des hébergements sûrs pour les victimes de violences fondées sur le genre, et des soins de santé pour les enfants souffrant du choléra et d’autres maladies, ont été interrompus.
- Au Soudan du Sud, des projets fournissant un ensemble de services de santé, notamment des services de réhabilitation pour les victimes du conflit armé, des services cliniques pour les victimes de violences sexistes, un soutien psychologique pour les victimes de viol et un soutien nutritionnel d’urgence pour les enfants, ont été interrompus.
Des personnes en quête de sécurité privées de soutien dans le monde entier
Les suppressions de financements aux centres d’accueil et aux groupes fournissant des services essentiels aux migrant·e·s, en particulier ceux qui se trouvent dans des situations dangereuses ou difficiles, notamment les réfugié·e·s, les demandeurs et demandeuses d’asile et les personnes déplacées dans leur propre pays, ont été généralisées et dévastatrices.
- En Afghanistan, 12 des 23 centres de ressources communautaires, qui fournissaient à environ 120 000 Afghan·e·s de retour au pays ou déplacés à l’intérieur du pays un logement, une aide alimentaire, une assistance juridique et une orientation vers des prestataires de soins de santé, ont été fermés. Les principales organisations d’aide ont suspendu leurs programmes de santé et d’approvisionnement en eau, ce qui a eu un impact disproportionné sur les femmes et les jeunes filles.
- Au Costa Rica, des organisations locales qui aident les personnes en quête d’asile et les migrant·e·s, dont beaucoup viennent du Nicaragua voisin, sont obligées de réduire ou de fermer des programmes alimentaires, d’hébergement et psychosociaux. Ces coupes surviennent alors qu’arrive actuellement au Costa Rica un nombre croissant de personnes en quête de sécurité, qui ont été repoussées à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.
- Le long de la frontière entre Haïti et la République dominicaine, les prestataires de services venant en aide aux personnes expulsées ont été contraints de réduire leur aide, notamment en matière de nourriture, d’hébergement et de transport. Le statut de protection temporaire pour les Haïtien·ne·s aux États-Unis devant expirer, une hausse probable des expulsions submergera une infrastructure de soutien déjà diminuée.
- Au Mexique, les coupes ont entraîné la suspension de programmes alimentaires, d’hébergement et de soutien en matière juridique destinés aux personnes en quête de sécurité, désormais bloquées à la frontière entre les États-Unis et le Mexique puisqu’il n’est plus possible d’y demander l’asile.
- Au Myanmar et en Thaïlande, des programmes humanitaires et de santé financés par les États-Unis afin de venir en aide aux personnes déplacées et aux réfugié·e·s ont été suspendus ou considérablement réduits. Des cliniques situées dans des camps à la frontière thaïlandaise ont fermé de manière soudaine après les ordres d’arrêt de travail, ce qui a semble-t-il entraîné des décès qui auraient pu être évités.
« Le droit de chercher à se mettre en sécurité est protégé par le droit international, que les États-Unis sont tenus de respecter », a déclaré Amanda Klasing. « Ces coupes brutales dans les financements mettent ce droit en péril, en compromettant le soutien humanitaire et les infrastructures permettant à des personnes déplacées de force dans le monde entier d’accéder à une protection. Cela expose des personnes déjà marginalisées à un danger aigu. Nous demandons au gouvernement américain de rétablir immédiatement ces financements. »
La décision unilatérale de cesser de financer des programmes existants et de s’abstenir de dépenser les fonds nécessaires, prise par l’administration Trump, a contourné la supervision exercée par le Congrès, ce qui est contraire au droit américain. Elle survient sur fond d’un recul plus large de la participation des États-Unis aux institutions multilatérales, avec notamment des annonces sur la fin du financement ou leur retrait de l’Accord de Paris sur le climat, de l’Organisation mondiale de la santé et du Conseil des droits de l'homme de l’ONU, et la réévaluation de leur adhésion à l’UNESCO, ainsi qu’à l'UNRWA.
Recommandations
Amnistie internationale exhorte l’administration Trump à rétablir l’aide à l’étranger, par le biais d’une procédure de dérogation, entre autres, pour les programmes dont la réduction incohérente et brutale du financement a porté atteinte aux droits humains, et à veiller à ce que les aides futures soient administrées conformément au droit et aux normes en matière de droits humains.
Amnistie demande au Congrès de continuer à allouer des financements importants à l’aide internationale et de rejeter toute demande de l’administration visant à codifier les réductions de l’aide étrangère au moyen d’abrogations, et de veiller à ce que toute l’aide internationale provenant des États-Unis reste conforme aux principes humanitaires et relatifs aux droits humains, et soit allouée en fonction des besoins. Le Congrès devrait utiliser tous les leviers de contrôle à sa disposition pour s’assurer que l’utilisation de l’aide étrangère par l’administration ne contribue pas à porter atteinte aux droits humains.
Par ailleurs, l’administration Trump et le Congrès devraient collaborer pour veiller à ce que toute modification de l’aide internationale soit effectuée de manière transparente, en consultation avec les communautés touchées, la société civile et les partenaires internationaux, et qu’elle soit conforme au droit et aux normes internationales en matière de droits humains, notamment aux principes de légalité, de nécessité et de non-discrimination.
Tous les États en mesure de le faire devraient s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu de la résolution 2626 de l’Assemblée générale des Nations unies et des forums de haut niveau ultérieurs, en consacrant au moins 0,7 % de leur revenu national brut à l’aide internationale, sans discrimination. Afin de tenter de concrétiser cet objectif, les États donateurs devraient notamment accroître le niveau de soutien dans la mesure du possible, afin de combler les lacunes causées dans des domaines critiques par les suspensions abruptes de l’aide américaine, et garantir des progrès continus dans la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels, ainsi qu’une réponse humanitaire efficace dans le monde entier.
« Il est faux d’affirmer que le gouvernement américain doit choisir entre répondre aux besoins économiques des Américain·e·s ou à l’augmentation du coût de la vie ici aux États-Unis, et le développement et l’aide humanitaire à l’étranger », a déclaré Amanda Klasing. « L’aide à l’étranger représente environ un pour cent du budget américain, et les États-Unis ont une responsabilité mondiale et un intérêt à apporter un soutien aux plus marginalisés. Notre analyse montre que ce retrait chaotique de la coopération multilatérale est en pratique cruel, et met en danger la vie et les droits de millions de personnes, en particulier les femmes et les filles en Afghanistan, ou les réfugié·e·s à la frontière de la Thaïlande et du Myanmar, les mineur·e·s victimes de violences sexuelles en Haïti, et d’autres populations marginalisées déjà confrontées à des crises. Le gouvernement américain peut - et doit - faire mieux. »