Canada. Des organisations internationales de défense des droits humains vont suivre attentivement le prononcé de la peine contre les défenseur·e·s des terres autochtones poursuivis en justice par les autorités

Amnistie internationale est prête à faire une déclaration accordant le statut de prisonnier·ères d’opinion à Sleydo’, Shaylynn Sampson et Corey Jocko.
Amnistie internationale, les Brigades de paix internationales et Front Line Defenders vont suivre de près, durant la semaine du 13 octobre 2025, le prononcé de la peine contre des défenseur·e·s des terres autochtones poursuivis en justice par le Canada pour avoir protégé le territoire wet’suwet’en non cédé contre la construction d’un gazoduc.
Une délégation de représentant·e·s d’Amnistie internationale Canada (section anglophone), du bureau régional Amériques de l’organisation et du bureau canadien des Brigades de paix internationales (PBI-Canada) assisteront en personne aux audiences à Smithers, en Colombie-Britannique. Front Line Defenders (FLD), une organisation internationale qui protège les défenseur·e·s des droits humains menacés, suivra la procédure depuis l’étranger.
À compter du 15 octobre, un juge de Colombie-Britannique va présider les trois jours d’audience de détermination de la peine de Sleydo’ (Molly Wickham), cheffe de la Maison du grizzly (Cas Yikh) du clan Gidimt’en de la Première Nation Wet’suwet’en, Shaylynn Sampson, femme gitxsan ayant des liens familiaux avec les Wet’suwet’en, et Corey « Jayohcee » Jocko, un Kanien’kehá:ka (Mohawk) d’Akwesasne.
Ces défenseur·e·s ont été arrêtés en novembre 2021 durant une opération fortement militarisée de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur le territoire wet’suwet’en. Sleydo’, Shaylynn Sampson et Corey Jocko ont été inculpés, puis déclarés coupables, de ne pas avoir respecté une décision controversée de la cour de Colombie-Britannique interdisant les actions de défense des terres à proximité du chantier de construction de la conduite de gaz naturel liquéfié (GNL) de Coastal GasLink (CGL).
Des recherches menées par Amnistie internationale ont abouti à la conclusion que cette injonction restreignait de manière excessive les droits fondamentaux des défenseur·e·s des terres et les droits de la Nation autochtone Wet’suwet’en. Par extension, les arrestations de ces défenseur·e·s et les poursuites engagées à leur encontre portent gravement atteinte à leurs droits.
« C’est avec fierté que nous retournons à Smithers – sur le territoire traditionnel non cédé de la Nation Wet’suwet’en – pour témoigner notre solidarité à Sleydo’, Shaylynn Sampson et Corey Jocko, qui sont poursuivis injustement par le Canada pour avoir exercé leurs droits, a déclaré Erin Riley-Oettl, responsable du droit relatif aux droits humains, des campagnes et du plaidoyer à Amnistie internationale Canada (section anglophone). Amnistie internationale n’hésitera pas à qualifier ces courageux défenseur·e·s de prisonnier et prisonnières d’opinion s’ils sont condamnés à une peine de prison ou d’assignation à résidence. »
« Nous sommes profondément préoccupé·e·s par la criminalisation dont font l’objet ces défenseur·e·s des terres et de l’environnement qui cherchaient à faire respecter le droit wet’suwet’en (‘Anuk niwh’iten) et protégeaient un territoire non cédé contre un mégaprojet extractiviste destructeur, a déclaré Brent Patterson, coordinateur de PBI-Canada. La surveillance, le harcèlement, les manœuvres d’intimidation et les remarques insultantes que la GRC leur a fait subir sont inquiétants. Il faut que cela cesse. Toute condamnation impliquant une période de détention ou d’assignation à résidence serait inique et injustifiée. »
« Le cas des défenseur·e·s des terres wet’suwet’en vient conforter une tendance très préoccupante à la criminalisation des défenseur·e·s autochtones dans les Amériques et crée un dangereux précédent pour la défense des terres au Canada, a déclaré Sandra Patargo, coordinatrice de la protection pour l’Amérique du Nord, l’Amérique centrale et les Caraïbes à Front Line Defenders. Assurer protection et justice aux défenseur·e·s des terres wet’suwet’en est une obligation du gouvernement canadien et une responsabilité internationale dans un contexte où les défenseur·e·s autochtones sont en première ligne du combat mondial pour la défense des droits des peuples autochtones et de l’environnement. Front Line Defenders continuera d’accompagner Sleydo’, Shaylynn Sampson et Corey Jocko jusqu’à ce qu’ils puissent poursuivre en toute liberté leur action de défense de leur territoire. »
Une accumulation de violations des droits des peuples autochtones
Le projet de construction d’un gazoduc de 670 kilomètres par CGL à travers le territoire wet’suwet’en a été mis en œuvre sans le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des chef·fe·s héréditaires wet’suwet’en, que la Cour suprême du Canada a reconnus comme autorités ancestrales de la Nation. (Selon la décision rendue par la Cour suprême en 1997 dans l’affaire Delgamuukw, leurs droits et titres n’ont jamais été éteints.) Cette absence de consentement constitue une violation de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, en vertu de laquelle les grands projets d’infrastructure ou d’extraction de ressources ne peuvent être menés qu’avec le consentement préalable, libre et éclairé des peuples autochtones dont les territoires sont touchés. Le Canada a adopté cette déclaration et l’a intégrée au droit fédéral en 2021.
Par ailleurs, les violations des droits continuent de s’accumuler tandis que le Canada, la Colombie-Britannique et le consortium international qui est derrière le gazoduc de CGL s’engagent dans la phase II du projet. Visant à doubler la capacité de production de l’unité d’exportation de GNL de Kitimat, en Colombie-Britannique, la phase II verrait la construction de sept nouvelles stations de compression le long du gazoduc de CGL, dont deux sur le territoire wet’suwet’en – encore une fois sans le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des chef·fe·s héréditaires wet’suwet’en.
« Il est scandaleux que Sleydo’, Shaylynn et Corey soient condamnés pour avoir défendu le droit wet’suwet’en et notre territoire, a déclaré le chef Na’Moks, du clan Tzayu de la Nation Wet’suwet’en. Le Canada et la Colombie-Britannique attaquent des autochtones pour le seul exercice de leurs droits, déploient l’infrastructure destructrice du gazoduc à travers notre territoire, détruisent nos maisons et menacent nos modes de vie traditionnels. Pourquoi ne sont-ils pas considérés comme des criminels ou inculpés de crime ?
« Comme toujours, le Canada persiste à privilégier les intérêts des riches investisseurs et des géants industriels au détriment de la vie et des droits des peuples autochtones ainsi que de l’environnement naturel dont tout le monde (et pas seulement les peuples autochtones) dépend. Comment l’État canadien peut-il affirmer défendre les droits humains, sans parler de la réconciliation, alors qu’il agresse physiquement et criminalise les défenseur·e·s autochtones qui réclament justice ? »
« La mauvaise foi du gouvernement de Colombie-Britannique et du secteur industriel est évidente, a déclaré le chef Woos, du clan Gidemt’en. Le peuple wet’suwet’en a toujours conservé sa souveraineté sur ses 22 000 kilomètres carrés de terres territoriales. »
Le juge de Colombie-Britannique qui a conclu que Sleydo’, Shaylynn Sampson et Corey Jocko étaient coupables d’outrage criminel a néanmoins reconnu que leurs droits avaient été bafoués lors de leur arrestation. En réponse à une requête pour abus de procédure déposée par les avocat·e·s des défenseur·e·s, ce juge a conclu en février que le comportement de certains membres de la GRC lors de l’opération de novembre 2021, notamment leurs propos racistes contre les autochtones, était en effet contraire à la Charte canadienne des droits et libertés. Ce jugement vient confirmer à la fois ce que ces défenseur·e des terres ont vécu et l’expérience plus large de la violence coloniale que les peuples autochtones subissent depuis plus de 100 ans de la part de la GRC. Cependant, le juge a refusé de lever toutes les charges pesant sur les défenseur·e·s, affirmant qu’il préférait envisager une réduction des peines.
Le Canada risque de faire l’objet d’une nouvelle déclaration établissant l’existence de prisonnier·ères d’opinion sur son territoire
Amnistie internationale est prête à accorder le statut de prisonnier·ère d’opinion à Sleydo’, Shaylynn Sampson ou Corey Jocko si l’un·e ou plusieurs d’entre eux sont condamnés à de la prison ou à une assignation à résidence. Dans ce cas, ce serait le deuxième fois que l’organisation ferait une telle déclaration à propos d’une personne détenue par le Canada.
En juillet 2024, le chef Dsta’hyl, chef de maison du clan Likhts’amisyu (Nation Wet’suwet’en) est devenu le premier détenu du Canada à être déclaré prisonnier d’opinion par Amnistie internationale. À l’époque, ce défenseur des terres de 68 ans purgeait une peine de 60 jours d’assignation à résidence après avoir été déclaré coupable d’outrage criminel pour avoir soi-disant violé les termes d’une injonction de la cour de Colombie-Britannique. Il avait été arrêté par la GRC en octobre 2021 lors du blocage de la route de service forestière de Morice Forest organisé pour arrêter la construction du gazoduc de CGL sur le territoire wet’suwet’en.
En septembre 2024, à la veille de sa libération à l’issue de sa peine d’assignation à résidence, le chef Dsta’hyl a remercié ses sympathisant·e·s à travers le monde et les a appelés à continuer de faire pression sur le Canada pour qu’il respecte les droits de la Nation Wet’suwet’en.
« Le gouvernement fédéral et la province ont le pouvoir de reconnaître officiellement que nos 22 000 kilomètres carrés de territoire sont bien notre propriété, a-t-il affirmé dans une déclaration écrite. Leur refus de le faire me dépasse. Ils sont allés jusqu’à signer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et à faire d’autres promesses, mais ce ne sont que des écrans de fumée pour apaiser la population. Ils n’ont pas tenu parole. C’est là que les gens peuvent faire pression sur le gouvernement et le forcer à reconnaître enfin nos droits. »