• 21 fév 2025
  • Canada
  • Communiqué de presse

Amnistie internationale réagit à la décision de la Cour de la Colombie-Britannique à l’issu du procès des défenseur·e·s des terres autochtones

Amnistie internationale considérera désigner comme prisonnier d’opinion les trois défenseur·e·s des terres dont les condamnations ont été maintenues par une Cour de la Colombie-Britannique.

Sleydo' (également connue sous le nom de Molly Wickham), cheffe adjointe (maison Cas Yikh) du clan Gidimt'en de la nation Wet'suwet'en, Shaylynn Sampson, une femme gitxsan ayant des liens familiaux avec la nation Wet'suwet'en, et Corey « Jayohcee » Jocko, un Kanien'kehá:ka (Mohawk) d’Akwesasne, ont tous trois demandé au tribunal d’annuler leurs condamnations, en invoquant des motifs constitutionnels. Les trois défenseur·e·s ont fait valoir que leurs arrestations, effectuées lors d’une intervention policière hautement militarisée sur le territoire des Wet'suwet'en en novembre 2021, et leur détention subséquente, violaient les droits qui leur sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

Ce mardi, un juge de la Colombie-Britannique a statué que la conduite, y compris certaines déclarations racistes contre les Autochtones, de certains policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pendant l’intervention policière avait en effet violé des droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés des défenseur·e·s. Cette décision valide à la fois l’expérience de ces défenseur·e·s et celle plus large des Peuples autochtones confrontés à des violences coloniales depuis des décennies de la part de la GRC. Toutefois, le juge a refusé de suspendre les poursuites engagées contre les défenseur·e·s et a déclaré qu'il envisagerait plutôt des réductions de peine.

Amnistie internationale évalue les implications de cette décision. Si les défenseur·e·s des terres sont condamnés à une peine qui les prive arbitrairement de leur liberté, l’organisation de défense des droits humains envisagera sérieusement de les désigner comme prisonnier et prisonnières d’opinion. 

France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, a déclaré : « Les défenseur·e·s des terres autochtones ont mené des actions pacifiques dans le but de protéger des écosystèmes naturels qui contribuent à atténuer les effets du changement climatique. Dans un contexte mondial marqué par l’urgence climatique, les punir pour ces actions est pour le moins absurde, quelle que soit la sévérité de la peine. Leur mobilisation mérite d’être saluée haut et fort, plutôt que d’être remise en question par l’appareil judiciaire. »

« La décision de la Cour de confirmer les condamnations des trois défenseur·e·s des terres s’inscrit dans un contexte plus large de rétrécissement de l’espace civique au Canada, où les défenseur·e·s des terres autochtones, les écologistes et les défenseur·e·s des droits humains sont souvent victimes de répression politique ou policière », a-t-elle ajouté. « Il est décevant d’avoir à rappeler au Canada et à ses institutions les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, alors que le pays se targue pourtant d’être un chef de file en matière de droits humains. »

« Nous sommes encouragés par la condamnation sévère par le juge Tammen du traitement raciste et violent réservé à Sleydo', Shaylynn Sampson et Corey “Jayohcee” Jocko lors de leur arrestation, », a déclaré Ketty Nivyabandi, secrétaire générale d’Amnistie internationale Canada anglophone. « Malheureusement, le racisme systémique qui a conduit à leur arrestation n'a toujours pas été reconnu. La Colombie-Britannique et le Canada doivent prendre des mesures immédiates pour mettre fin à la criminalisation des défenseur·e·s des terres autochtones. Personne ne devrait être intimidé, harcelé ou arrêté, et encore moins condamné par la Cour, pour avoir exercé ses droits constitutionnels et pour avoir protégé l'environnement que nous partageons tous. »

Contexte

Amnistie internationale s’est vivement opposée à la criminalisation des Wet'suwet'en et des autres défenseur·e·s des terres qui se sont opposé·e·s pacifiquement à la construction du gazoduc de Coastal GasLink (CGL) à travers le territoire ancestral et non cédé de la Nation. Or, la construction du gazoduc de 670 kilomètres a commencé sans le consentement préalable, libre et éclairé des chefs héréditaires Wet'suwet'en, au nom de leurs clans, un droit pourtant protégé par la Constitution. Cela marque par ailleurs une violation des lois et des normes canadiennes et internationales en matière de droits humains, parmi lesquelles figure la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui a été intégrée au droit canadien le 21 juin 2021.

Le rapport d’Amnistie internationale de 2023 intitulé « Chassé·e·s de nos terres pour les avoir défendues : criminalisation, intimidation et harcèlement des défenseur·e·s du droit à la terre Wet’suwet’en » reposait entre autres sur les témoignages recueillis lors de quatre descentes à grande échelle menées par la GRC sur le territoire Wet'suwet'en. Le rapport d’Amnistie a révélé que les défenseur·e·s des terres des Wet'suwet'en et leurs sympathisant·e·s avaient été arbitrairement détenu·e·s pour avoir défendu pacifiquement leurs terres contre la construction du gazoduc CGL et pour avoir exercé leurs droits autochtones et leur liberté de réunion pacifique.

En 2022, le Service des poursuites de la Colombie-Britannique (SPCB) a accusé 20 défenseur·e·s des terres, parmi lesquels figurent Sleydo' Sampson et Jocko, d’outrage criminel pour avoir prétendument violé les termes d’une injonction leur ordonnant de rester à l’écart des chantiers de construction du gazoduc. Sept d’entre eux ont choisi de plaider coupables en raison du caractère restrictif des conditions de leur mise en liberté sous caution, ainsi que des répercussions familiales, psychologiques et financières que le procès pénal avait sur eux. Les charges retenues contre cinq autres défenseur·e·s ont été abandonnées, tandis que cinq autres attendent toujours leur procès.

« Tout ce processus a constitué une violation de mes droits et de mes responsabilités en tant qu’Autochtone, ainsi que de ma responsabilité à l'égard de la santé et du bien-être des générations futures et du Yintah », a déclaré Sleydo' lors d'une conférence de presse organisée après le prononcé de la décision, mardi après-midi. « Les tribunaux coloniaux ne devraient pas déterminer notre capacité à vivre selon nos lois et nos modes de vie. Et pourtant, nous voici, plus de trois ans plus tard, dans une épreuve de force entre la loi Wet'suwet'en et la loi coloniale, après des années de violence policière et de répression par le Groupe d'intervention pour la sécurité de la collectivité et de l'industrie (GISCI) de la GRC, sans qu'aucun compte ne soit rendu. Je refuse de laisser les tribunaux coloniaux me déshumaniser et me criminaliser. J'appartiens à ma terre, à mes ancêtres et à mon peuple. »

« Je suis une mère, une fille, une sœur, une tante, une bonne amie et un leader. Je suis une chanteuse, une chasseuse, une enseignante et une révolutionnaire. Je suis les traces de mes ancêtres et je porte leurs enseignements dans tout ce que je fais. »

Si Amnistie internationale désigne Sleydo', Sampson et Jocko comme prisonnières et prisonniers d’opinion, ce sera la deuxième fois que l’organisation attribue cette désignation à une personne détenue par le Canada. En juillet 2024, Amnistie internationale désignait un autre défenseur des terres Wet'suwet'en comme prisonnier d’opinion, en la personne de Dsta'hyl, le chef héréditaire du clan Likhts'amisyu, à la suite de sa condamnation à 60 jours d’assignation à résidence par un tribunal de Colombie-Britannique. À l’instar de Sleydo', Sampson et Jocko, le chef Dsta'hyl a été inculpé puis condamné pour avoir prétendument enfreint les conditions de l’injonction du tribunal de Colombie-Britannique interdisant toute action de défense des terres à proximité du gazoduc CGL, y compris dans les zones appartenant au territoire de la nation Wet'suwet'en.

« Si les autorités canadiennes décident de criminaliser et d’emprisonner injustement Sleydo', Shaylynn et Corey, Amnistie internationale n’hésitera pas à les désigner comme prisonnières et prisonniers d’opinion », a déclaré Ana Piquer, directrice régionale pour les Amériques d’Amnistie internationale. « Le Canada s’ajoute hélas à la longue liste des pays des Amériques où les défenseur·e·s des terres qui accomplissent un travail essentiel s’exposent à des risques. »

La criminalisation des défenseur·e·s des terres Wet'suwet'en a suscité un tollé international et des appels à ce que le Canada respecte les droits des Peuples autochtones. Sleydo', Sampson et Jocko ont notamment été mis en avant dans la campagne Écrire, ça libère, la plus grande campagne de rédaction de lettres pour la défense des droits humains au monde. Depuis l’automne dernier, des milliers de personnes provenant des quatre coins du monde ont envoyé des lettres et signé des pétitions appelant le Canada à abandonner les poursuites contre ces trois défenseur·e·s.