Madagascar. Les autorités n’ont pas protégé ni aidé les Antandroy déplacé·e·s du fait des sécheresses aggravées par le changement climatique – nouveau rapport

- L’État malgache a violé le droit des Antandroy déplacé·e·s de circuler librement et de choisir leur lieu de résidence
- Les recherches d’Amnistie internationale font état d’un voyage difficile de 1 500 kilomètres pour la survie
- Les politiques coloniales de la France ont contribué à rendre des Antandroy plus vulnérables aux sécheresses aggravées par le changement climatique, qui ont conduit à des déplacements
Les autorités malgaches n’ont pas protégé ni aidé les milliers d’Antandroy qui n’ont pas eu d’autre choix que de quitter leur région d’origine, l’Androy (dans le sud de Madagascar), depuis 2017 à cause des famines imputables à la sécheresse, a déclaré Amnistie internationale dans un nouveau rapport.
Le rapport intitulé « Cette souffrance me hante même ici » – Le combat pour les droits humains des Antandroy déplacé·e·s du sud de Madagascar en raison du changement climatique montre que des Antandroy ont été contraints de se rendre dans d’autres régions du pays, en quête de meilleures conditions de vie, et que de nombreuses personnes déplacées ont ainsi effectué un voyage difficile de 1 500 kilomètres jusqu’à la région Boeny, dans le nord du pays. Ce rapport présente les violations du droit de circuler librement et de choisir son lieu de résidence sur le territoire national, ainsi que des droits à un logement convenable et à un niveau de vie suffisant, que les autorités ont commises.
« En ne prenant pas de mesures suffisantes pour faire face aux effets de la sécheresse dans le sud ni pour protéger et aider les personnes déplacées, l’État a abandonné les Antandroy à plusieurs reprises », a déclaré Tigere Chagutah, directeur régional d’Amnistie internationale pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.
« Afin d’atténuer ses manquements et leurs conséquences sur les personnes déplacées, Madagascar doit en faire davantage pour améliorer ses interventions face au changement climatique en adoptant de toute urgence des stratégies nationales et locales complètes pour gérer les déplacements liés à la sécheresse et en accordant la priorité aux besoins des Antandroy déplacé·e·s en matière de droits humains. »
Les déplacements dus à la sécheresse dans le sud de Madagascar trouvent leur origine profonde dans les agissements de l’administration coloniale française, qui a introduit des cochenilles parasites pour éradiquer Opuntia monacantha, un cactus résistant à la sécheresse qui poussait dans la région. Cette politique a contribué à la vulnérabilité des Antandroy aux sécheresses, phénomènes que les autorités malgaches et les scientifiques associent depuis quelques années au changement climatique mondial.
Plus récemment, les effets du changement climatique ont aggravé les sécheresses et entraîné des déplacements de population vers la région Boeny, dans le nord, et d’autres endroits du pays.
« La contribution de Madagascar aux émissions mondiales de carbone est négligeable. Malgré tout, les Antandroy sont parmi les plus touchés par une crise engendrée, en partie, par des pays à revenu élevé qui sont des émetteurs de longue date et par le régime colonial français. Il faut que la France assume sa responsabilité historique dans la crise actuelle et mette en place une justice réparatrice pour les préjudices causés aux Antandroy du fait de la colonisation, a déclaré Tigere Chagutah. Les pays à revenu élevé émetteurs de longue date doivent apporter un soutien financier à Madagascar sous forme de subventions et de transfert de technologies sans danger pour l’environnement. »
Pour comprendre la détresse des personnes déplacées, une équipe d’Amnistie internationale s’est rendue dans six villages d’Antandroy déplacé·e·s et à la principale gare routière d’arrivée. Au total, elle s’est entretenue avec 122 personnes déplacées, a consulté des représentant·e·s des autorités, des organisations locales et internationales, des universitaires et des scientifiques spécialistes du climat, et a analysé des images satellitaires.
Le gouvernement a répondu à Amnistie internationale en soulignant les efforts réalisés pour améliorer la capacité d’adaptation aux sécheresses dans le sud de Madagascar. Il a également expliqué que l’élaboration d’une stratégie locale pour faire face aux déplacements avait été retardée par manque de moyens logistiques et financiers. La réponse reçue n’abordait toutefois pas la question de la responsabilité de la France pour ses actions durant la période coloniale, les expulsions de 2021, ni l’inadéquation du site de réinstallation ouvert en 2023 en tant que projet pilote.
Un voyage pénible
Entre 2018 et 2024, les famines causées par la sécheresse ont contraint environ 90 000 personnes du sud de l’île, principalement des Antandroy, à quitter leurs terres ancestrales.
Les personnes interrogées par Amnistie internationale ont décrit le trajet entre l’Androy et le Boeny comme long et difficile. Dans la plupart des cas, elles ont voyagé en bus, en suivant l’un des deux principaux itinéraires qui relient la région Androy (sud) à la région Boeny (nord-ouest), séparées par 1 500 kilomètres. Nombre de personnes n’avaient pas les moyens d’effectuer ce voyage et avaient dû emprunter de l’argent, vendre leurs biens, s’arrêter en chemin pour prendre des emplois occasionnels ou encore demander à des membres de leur famille de leur envoyer de l’argent. Parfois, des familles ont dû s’arrêter pour travailler et se nourrir, dormant sur des marchés ou dans des forêts avant de pouvoir continuer le trajet.
Ce voyage a fait courir aux familles un risque d’exploitation. Une femme, Lia, a expliqué à Amnistie internationale qu’elle avait été contrainte à des relations sexuelles avec des conducteurs en échange d’une place dans le bus.
Masoandro, un homme de 48 ans, a déclaré : « J’ai négocié avec le chauffeur. Pour qu’on le rembourse, il a employé mon fils comme gardien de troupeau pendant un an, la dette envers le chauffeur s’élevait à 220 000 ariarys (environ 50 dollars des États-Unis). Mon fils l’a fait car il n’avait pas le choix, étant donné que le chauffeur avait menacé de nous emprisonner si la dette n’était pas remboursée. »
À l’arrivée
Une fois dans le Boeny, les personnes déplacées n’ont bénéficié d’aucune aide des pouvoirs publics, y compris pour accéder à des terres productives.
Mokhtar Andriatomanga, gouverneur du Boeny, a déclaré à Amnistie internationale : « Toutes les terres disponibles ont déjà été allouées à la population locale. »
Au lieu de les aider ou de leur proposer d’autres solutions, les autorités ont expulsé de force les Antandroy qui s’étaient construit un logement ou cultivaient des terres dans une zone prévue pour un programme de reboisement, en bordure du parc national Ankarafantsika. Ces expulsions, qui ont eu lieu entre avril et juillet 2021, ont violé le droit de ces personnes à un logement convenable.
Betro, une femme de 28 ans, se rappelle avoir été prise au dépourvu lors d’une expulsion en juillet 2021, les gendarmes ayant fait irruption dans une église où elle était en train de prier : « À ce moment-là, sous le choc de les voir, j’ai accouché et puis j’ai fui [elle était enceinte de neuf mois]. Le cordon ombilical n’avait même pas encore été coupé... L’État n’a rien fait... Ils se sont contentés d’arrêter des gens. »
Le fait que les autorités ne tentent pas de remédier à la situation terrible des Antandroy et à ses causes profondes, y compris la négligence dont le gouvernement central fait preuve de longue date, a entraîné la dispersion de certaines familles, qui n’ont pas pu bénéficier de l’appui de l’État ni d’organisations humanitaires aux fins du regroupement familial.
Reny, 46 ans, a déclaré : « Les personnes suffisamment solides pour travailler et gagner de l’argent sont celles qui partent [pour le Boeny]. Celles qui ont des enfants ou qui sont faibles restent sur place. »
Dans une prison à ciel ouvert
Le site de réinstallation construit par les autorités régionales du Boeny est dépourvu des services essentiels. Il se compose de 33 petites cases dont les murs ne sont pas étanches, laissant entrer la pluie, le vent et la chaleur écrasante. Pendant la saison des pluies, le niveau du fleuve Kamoro, situé à proximité, monte dangereusement, le courant est fort et le site se retrouve encerclé par des eaux infestées de crocodiles, coupé des services essentiels comme les marchés, les pharmacies, les hôpitaux et les écoles. En 2023, un homme a été attaqué par un crocodile et un autre s’est noyé en tentant de traverser.
Mandry, mère de huit enfants, a partagé sa frustration avec l’équipe : « Qu’est-ce que je peux vous dire ? On ne peut pas y faire grand-chose. Si on tombe malade, c’est la mort, car on ne peut pas traverser la rivière, nous n’avons pas assez d’argent pour payer la pirogue. »
En janvier 2025, Anakaondry, une nouveau-née, est morte car sa mère, affaiblie par la faim et la soif, ne pouvait plus l’allaiter.
En dépit de ces conditions, les autorités régionales estiment qu’une centaine d’Antandroy déplacé·e·s arrivent dans la région chaque semaine.
« La responsabilité d’aider et de protéger les Antandroy déplacé·e·s n’incombe pas seulement à Madagascar : les partenaires régionaux et internationaux, notamment la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), l’Union africaine (UA) et l’Organisation des Nations unies (ONU), ainsi que les organisations humanitaires, doivent mobiliser des ressources pour accélérer les démarches d’adaptation », a déclaré Tigere Chagutah.