Kirghizistan. Une répression sans précédent contre la société civile menace les droits humains et la réputation internationale du pays
Les autorités kirghizes sont en train de déclencher une vague de répression sans précédent contre la société civile du pays, a déclaré Amnistie internationale le jeudi 8 février, alors que l’organisation publie une déclaration soulignant que le gouvernement cherche de plus en plus à étouffer la dissidence et à éroder les garanties relatives aux droits humains depuis 2021.
« La campagne du gouvernement kirghize contre la société civile n’est pas seulement une série de tentatives aléatoires et sporadiques visant à repousser les critiques — elle est conçue de façon stratégique pour étouffer celles-ci. Les actions de l’État font écho à certaines des tactiques les plus répressives déployées dans l’histoire récente de la région », a déclaré Maisy Weicherding, chercheuse sur l’Asie centrale à Amnistie internationale.
« À l’heure actuelle, le Kirghizistan se trouve à la croisée des chemins. L’utilisation délibérée par le gouvernement d’une législation restrictive présage d’un avenir troublé pour la société civile et pour les personnes les plus à risque du pays auxquelles la société civile apporte un soutien essentiel. »
« Trois ans seulement après son arrivée au pouvoir, le président Sadyr Japarov dirige une administration qui a introduit une série d’initiatives législatives, de politiques et de pratiques visant à réprimer les voix critiques et à restreindre le travail des ONG, en particulier celles qui s’engagent dans la défense des droits humains ou dans des “activités politiques”. »
Répression généralisée de la société civile
Le projet de loi sur les « représentants étrangers » et les modifications apportées aux réglementations existantes relatives aux ONG, adoptés en première lecture en octobre 2023, imitent la tristement célèbre loi russe sur les « agents de l’étranger ». S’ils sont promulgués, ces textes risquent d’entraver gravement la capacité des organisations de la société civile à fonctionner librement et efficacement, en violation des obligations internationales du Kirghizistan en matière de droits humains et en privant les personnes les plus marginalisées des services essentiels, que l’État peine à fournir à l’heure actuelle.
La formulation trop large et ambiguë du nouveau projet de loi confère aux autorités des pouvoirs discrétionnaires excessifs pour cibler les ONG en raison de leur travail légitime. L’introduction de nouvelles infractions pénales, ainsi que des sanctions sévères pour les militant·e·s de la société civile, est particulièrement alarmante.
Le droit de réunion pacifique a également été gravement compromis depuis mars 2022, avec des interdictions générales de manifester dans les lieux publics centraux et des restrictions imposées par les tribunaux visant les rassemblements critiques des politiques de l’État. Initialement justifiées comme une mesure temporaire visant à prévenir de « potentielles émeutes de masse » dans le contexte de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, ces restrictions inutiles et disproportionnées ont finalement été prolongées jusqu’à la fin du mois de mars 2024.
En octobre 2022, 27 personnes, dont la défenseure des droits humains Rita Karassartova, ont été arrêtées arbitrairement à la suite d’une manifestation contre un accord de démarcation de la frontière avec l’Ouzbékistan voisin et font maintenant l’objet de poursuites pénales infondées.
La liberté de la presse est assiégée, comme le démontre le projet de loi sur les médias présenté en mai 2023. Ce projet de loi étend le contrôle du gouvernement sur les ressources en ligne et restreint les contenus sur la base de termes vagues liés à la « morale » et à la « santé ».
Le service de Radio Free Europe/Radio Liberty au Kirghizistan a survécu à une tentative de fermeture entre avril et juillet 2023, tandis que le média indépendant Kloop a été bloqué en septembre 2023. Plus récemment, 11 journalistes ont été arrêtés pour leur participation à des projets en lien avec le journaliste d’investigation Bolot Temirov, qui a été déchu de sa citoyenneté kirghize et expulsé du pays en août 2022.
L’indépendance du pouvoir judiciaire est également menacée, comme le souligne une loi adoptée en septembre 2023, qui permet au président d’annuler les décisions de la Cour constitutionnelle en s’appuyant sur des notions subjectives de « valeurs morales et de conscience sociale ».
Amnistie internationale appelle le gouvernement kirghize à reconsidérer sa proposition de loi restrictive et à abroger les lois indûment répressives déjà en place. Les autorités devraient s’engager dans un dialogue constructif avec la société civile et respecter leurs engagements internationaux en matière de droits humains. Elles doivent également favoriser un environnement où les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association sont protégés et respectés.
« Une société civile dynamique capable d’agir librement et sans crainte est un atout inestimable et irremplaçable pour tout pays, en particulier dans un contexte de crises économique et climatique – et la société civile kirghize s’est longtemps révélée être un tel atout. Il est temps que le gouvernement kirghize libère l’avenir, accepte les critiques constructives et soutienne la liberté d’expression, et trace une voie qui honore la dignité et les droits de tous et toutes », a déclaré Maisy Weicherding.