• 21 fév 2024
  • Arabie saoudite
  • Communiqué de presse

Arabie saoudite. Les autorités doivent libérer une femme soumise à une disparition forcée qui va être jugée pour avoir défendu en ligne les droits des femmes

Les autorités saoudiennes doivent libérer immédiatement Manahel al Otaibi, professeure de fitness, défenseure des droits humains et blogueuse âgée de 29 ans, qui est soumise à une disparition forcée depuis novembre 2023, a déclaré Amnistie internationale mercredi 21 février. L’administration pénitentiaire et d’autres autorités la privent de tout contact avec sa famille et avec le monde extérieur et ont refusé de fournir à ses proches la moindre information sur le lieu où elle se trouve et son état de santé, malgré leurs demandes répétées.

Manahel al Otaibi est détenue depuis un an et demi et a passé la dernière année à attendre son procès devant le Tribunal pénal spécial, juridiction antiterroriste tristement célèbre, pour des accusations d’infraction à la Loi relative à la lutte contre la cybercriminalité. Elle doit être jugée pour avoir diffusé sur Snapchat des photos d’elle sans abaya (tunique traditionnelle) dans un centre commercial et pour des publications de réseaux sociaux défendant les droits des femmes et appelant à l’abrogation des lois saoudiennes répressives relatives à la tutelle masculine.

« Il est scandaleux que les autorités de l’Arabie saoudite punissent Manahel al Otaibi pour avoir exprimé en ligne son soutien aux droits des femmes et pour ne pas avoir respecté les règles vestimentaires traditionnelles. Elle n’aurait jamais dû être arrêtée, et encore moins soumise à une disparition forcée et un procès. Son cas fait voler en éclat toute illusion quant à la volonté des autorités saoudiennes de procéder à une véritable réforme des droits humains, a déclaré Bissan Fakih, chargée de campagne sur l’Arabie saoudite à Amnistie internationale.

« Ce qui est encore plus scandaleux, c’est que son dossier a été renvoyé devant le Tribunal pénal spécial – tristement célèbre pour sanctionner les courageux dissidents et dissidentes qui exercent pacifiquement leur liberté d’expression ou de réunion. Les autorités saoudiennes doivent libérer Manahel al Otaibi et abandonner les poursuites absurdes engagées contre elle. Dans l’attente de sa libération, elles doivent immédiatement révéler le lieu où elle se trouve et lui permettre de contacter ses proches. »

Selon des documents de procédure qu’Amnistie internationale a pu consulter, le tribunal pénal de Riyadh a examiné son dossier en janvier 2023 avant de le renvoyer devant le Tribunal pénal spécial en invoquant des actions « portant atteinte aux principes religieux et aux valeurs sociales, perturbant l’ordre public et menaçant la sécurité de la société » de sa part. Cette juridiction saoudienne antiterroriste est bien connue pour ses procès d’une iniquité flagrante et pour prononcer des peines sévères, y compris des condamnations à mort, à l’encontre de personnes qui s’expriment pacifiquement en ligne.

La sœur de Manahel al Otaibi, Fawzia, a déclaré à Amnistie internationale :

« Peu avant que nous perdions contact avec elle, Manahel nous a dit qu’elle avait été violemment battue par une autre prisonnière [...]. Je suis inquiète pour le sort de ma sœur qui se retrouve face à un tribunal aussi injuste. Voici la réalité du traitement réservé aux femmes saoudiennes que les autorités saoudiennes tentent de dissimuler derrière une bonne image donnée dans les médias. Toute activité faisant la promotion du féminisme et des droits des femmes est criminalisée. »

Manahel al Otaibi est notamment poursuivie pour « publication et diffusion de contenu comportant la commission de péchés en public et incitant des personnes et des filles dans la société à renoncer aux principes religieux », ce qui contraste vivement avec le discours du prince héritier Mohamed bin Salman, qui a déclaré lors d’une interview télévisée en mars 2018 que « la décision est laissée entièrement aux femmes quant au type de tenue décente et respectueuse qu’elles choisissent de porter » et que, si la loi parle de « tenue décente et respectueuse », elle « ne précise pas particulièrement qu’elles doivent porter une abaya noire ou un voile noir ».

Le document du tribunal pénal de Riyadh mentionne en outre d’autres chefs d’inculpation retenus contre Manahel al Otaibi qui sont liés à des contenus diffusés sur les réseaux sociaux que le parquet a jugés « contraires aux règles et aux lois relatives aux femmes », en faisant référence à des publications dans lesquelles elle a utilisé le hashtag #EndMaleGuardianship.

En mars 2022, l’Arabie saoudite a adopté sa première Loi relative au statut personnel. Le prince héritier Mohammed bin Salman a vanté cette évolution législative comme une « avancée » majeure pour « l’autonomisation des femmes », mais Amnistie internationale a publié une analyse de cette loi concluant qu’elle perpétue le système de tutelle masculine et inscrit dans la législation la discrimination à l’égard des femmes dans la plupart des aspects de la vie familiale.

Les deux sœurs de Manahel al Otaibi ont également été visées par des enquêtes pour des « infractions » découlant de leur mobilisation en faveur des droits des femmes.

Lors d’une audience concernant Manahel al Otaibi, le procureur a souligné que sa sœur Fawzia al Otaibi « mène une campagne de propagande pour inciter les filles saoudiennes à dénoncer les principes religieux et à se rebeller contre les coutumes et traditions de la culture saoudienne », parce qu’elle a utilisé le hashtag #society_is_ready, qui « promeut la libération et la fin de la tutelle masculine ». L’un des documents de procédure examinés par Amnistie internationale indique qu’une ordonnance distincte sera émise pour l’arrestation de Fawzia al Otaibi. Cette dernière est actuellement au Royaume-Uni et ne peut pas rentrer en Arabie saoudite car elle risque d’être arrêtée et poursuivie en justice.

Leur autre sœur, Mariam al-Otaibi, est une militante bien connue pour ses prises de position contre la tutelle masculine dans le pays. En 2017, elle a été inculpée et détenue pendant 104 jours pour avoir défendu les droits des femmes et elle est actuellement soumise à une interdiction de voyager et à des restrictions de sa liberté de parole.

« Les autorités ont vanté leurs réformes concernant les droits des femmes, notamment celle du système de tutelle masculine et l’assouplissement des règles vestimentaires pour les femmes, comme un signe de progrès dans le royaume. Cependant, ce procès prouve que ces réformes ne sont pas véritables et que les autorités sont prêtes à aller très loin pour punir et faire taire les femmes qui osent s’exprimer au moyen de détentions arbitraires prolongées, de disparitions forcées et de procès contraires aux règles d’équité les plus élémentaires », a déclaré Bissan Fakih.

Complément d’information

Depuis 2018, les autorités saoudiennes ont arrêté et détenu arbitrairement des personnes qui faisaient campagne pour mettre fin au système de tutelle masculine et en faveur du droit des femmes de conduire en Arabie saoudite. Des militant·e·s des droits des femmes ont signalé avoir été victimes de harcèlement sexuel, de torture et d’autres formes de mauvais traitements au cours d’interrogatoires. Les personnes libérées font l’objet d’interdictions de voyager et de restrictions de leur liberté d’expression.

De nombreux défenseur·e·s des droits humains, défenseur·e·s des droits des femmes, journalistes indépendants, écrivain·e·s, militant·e·s et membres du clergé sont détenus arbitrairement et font l’objet de procès iniques prolongés – souvent devant le Tribunal pénal spécial. Amnistie internationale a rassemblé des informations sur les cas d’au moins 69 personnes poursuivies au cours de la dernière décennie pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique en vertu des lois de lutte contre le terrorisme et contre la cybercriminalité, dont au moins 32 pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions sur les réseaux sociaux. Le nombre réel des procédures engagées à ce titre est probablement beaucoup plus élevé.

Le 25 janvier 2023, le Tribunal pénal spécial a de nouveau condamné Salma al Shehab, étudiante en doctorat à l’université de Leeds, à 27 ans de réclusion suivis de 27 ans d’interdiction de voyager en appel. Elle avait été condamnée en première instance à 34 ans de réclusion à l’issue d’un procès d’une iniquité flagrante, pour avoir publié des tweets soutenant les droits des femmes.