Tanzanie. Il faut libérer immédiatement et sans condition les détracteurs de l’accord portuaire avec les Émirats arabes unis
Les autorités tanzaniennes doivent libérer immédiatement et sans condition Willibrod Slaa, ancien parlementaire et ambassadeur de Tanzanie en Suède, Boniface Mwabukusi, avocat et militant, et Mdude Nyagali, militant politique, tous arrêtés entre le 12 et le 13 août, uniquement pour avoir critiqué l’accord portuaire conclu entre la Tanzanie et les Émirats arabes unis, a déclaré Amnistie internationale le 14 août 2023.
Cet accord fixe un cadre juridiquement contraignant permettant aux Émirats arabes unis de collaborer avec la Tanzanie au développement, à la gestion et au fonctionnement des ports, des zones économiques spéciales, des parcs logistiques, des couloirs commerciaux et autres infrastructures connexes.
« La répression des autorités tanzaniennes visant ceux qui critiquent l’accord portuaire avec les Émirats arabes unis témoigne de leur intolérance croissante à l’égard de la dissidence. Elles doivent cesser de détenir arbitrairement des militant·e·s parce qu’ils expriment sans violence leurs opinions et libérer sans délai et sans condition ceux qui sont détenus, afin de garantir le respect du droit à la liberté d’expression », a déclaré Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnistie internationale.
Willibrod Slaa, Boniface Mwabukusi et Mdude Nyagali ont critiqué publiquement l’accord portuaire. Boniface Mwabukusi a déposé une plainte devant les tribunaux, faisant valoir que cet accord contient des clauses qui violent la Constitution de Tanzanie et mettent en danger la souveraineté nationale et la sécurité.
Selon son avocat, Willibrod Slaa a été arrêté par des policiers chez lui, à Mbweni, à Dar es Salaam, le 13 août vers 13 heures et conduit au poste de police de Mbweni. Il a ensuite été ramené à son domicile, où la police a effectué une perquisition et saisi certains de ses appareils de communication. Après la fouille, la police a conduit Willibrod Slaa au poste d’Oysterbay.
L’avocat de Boniface Mwabukusi et Mdude Nyagali a déclaré à Amnistie internationale qu’il avait reçu un appel de détresse des deux militants lors de leur interpellation par des policiers le 12 août, vers 3 heures du matin. Selon leur avocat, les deux hommes ont été arrêtés près de Mikumi, dans la région de Morogoro, dans l’est de la Tanzanie, alors qu’ils se rendaient à Dar es Salaam depuis Mbeya, dans le sud-ouest du pays. Emmanuel Masonga, responsable d’un parti d’opposition a lui aussi été interpellé avec eux, mais a été relâché le jour même, avec pour ordre de se présenter au poste de Mikumi le 14 août.
Boniface Mwabukusi et Mdude Nyagali sont actuellement détenus au commissariat central de Mbeya, où ils ont été transférés depuis Mikumi au cours de la journée. Selon leur avocat, les deux militants refusent de manger ou de boire quoi que ce soit depuis leur arrestation.
Le 11 août, Camilius Wambura, inspecteur général de la police de Tanzanie, a déclaré aux médias que les détracteurs de l’accord seront appréhendés en raison de leurs déclarations « séditieuses » qui appellent à des « manifestations nationales » de contestation qui, selon eux, reviennent à « inciter la population à renverser le gouvernement ».
D’après les avocats des trois hommes, ils se sont tous vus refuser la libération sous caution. Les chefs de la police de Dar es Salaam et Mbeya ont déclaré qu’ils seront inculpés de trahison, mais n’ont encore fourni aucune information officielle au sujet d’accusations précises. Les avocats n’ont pas encore reçu d’inculpation formelle à l’encontre de Willibrod Slaa, Boniface Mwabukusi et Mdude Nyagali, et aucun détail n’a été livré sur l’infraction présumée.
En vertu du Code pénal tanzanien, la trahison est obligatoirement passible de la peine capitale. En outre, c’est un délit interdisant toute libération sous caution en vertu de l’article 148 de la Loi relative aux procédures pénales.
Le 10 août, la Haute Cour de Tanzanie à Mbeya a rejeté une requête déposée par Boniface Mwabukusi et quatre plaignants remettant en cause la légalité de l’accord portuaire. D’après cette requête, l’accord est contraire au droit tanzanien, puisque la population n’a eu que deux jours pour soumettre son avis, et que l’accord lui-même enfreint le droit international et le droit tanzanien, puisqu’il confie la gestion de ressources naturelles à une entité étrangère.
« En criminalisant toute critique de l’accord portuaire, les autorités tanzaniennes tentent manifestement de museler toute dissidence. Elles devraient plutôt permettre à la population de prendre part à des discussions sur toutes les questions d’intérêt public, notamment l’accord portuaire avec les Émirats arabes unis, et veiller à ce que tous les aspects de cet accord soient transparents afin d’assurer une véritable adhésion de la population », a déclaré Tigere Chagutah.
Complément d’information
En octobre 2022, la présidente Samia Suluhu et Ahmed Mahboob Musabih, directeur général de la Corporation des ports, des douanes et de la zone franche, ont signé un accord sur la gestion des ports de Tanzanie au nom de l’émirat de Doubaï. Le Parlement de Tanzanie a approuvé l’accord le 10 juin 2023.
Entre les mois de juin et d’août 2023, au moins 24 personnes ont été arrêtées – puis libérées – pour avoir critiqué cet accord portuaire. Pour le même motif, Rugemeleza Nshala, avocat, militant et ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Tanganyika, a subi des actes d’intimidation et des menaces de mort et a fui le pays au mois de juillet.
Boniface Mwabukusi et Mdude Nyagali avaient déjà été arrêtés pour la même raison le 14 juillet, quelques jours après avoir tenu une conférence de presse à Dar es Salaam, au cours de laquelle ils critiquaient l’accord portuaire.