Liban. Le gouvernement doit remédier à la pénurie de médicaments et à la crise sanitaire
Plus d’un an après que le gouvernement libanais a supprimé les subventions de la plupart des médicaments, les politiques à court terme et l’absence de filets de sécurité sociale adéquats privent la population de médicaments essentiels ou vitaux, devenus indisponibles ou inabordables, a déclaré Amnistie internationale le 9 février 2023. En outre, le gouvernement n'a pas respecté ses engagements s’agissant de soutenir les Centres de soins de santé primaires, qui fournissent des médicaments gratuits ou à faible coût et sont confrontés à une forte demande.
Dans une déclaration intitulée Lebanon: Government must ensure medication is available and affordable, Amnistie internationale explique que la crise économique qui secoue le Liban, alliée à la réponse décevante du gouvernement, fait peser d’énormes tensions sur le secteur de la santé déjà fragilisé. Dans un contexte de dévaluation rapide de la livre libanaise et d'épuisement des réserves de devises étrangères de la Banque centrale, le ministère de la Santé publique a annoncé le 9 novembre 2021, avec effet immédiat, la levée des subventions en devises étrangères pour tous les médicaments, à l'exception de ceux traitant le cancer et certaines maladies chroniques. Les prix de la plupart des médicaments ont alors augmenté de façon exponentielle.
« La population du Liban est confrontée à une souffrance inimaginable pour parvenir à se procurer des médicaments vitaux. Parallèlement, les autorités libanaises continuent d’esquiver leur responsabilité s’agissant de garantir le droit à la santé, a déclaré Aya Majzoub, directrice adjointe pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnistie internationale.
« Les autorités libanaises doivent s’attaquer de toute urgence à la crise des médicaments en augmentant le budget alloué aux Centres de soins de santé primaires, en palliant la pénurie de médicaments subventionnés et non subventionnés, en renforçant les programmes d'aide sociale et en mettant en œuvre des réformes économiques et financières attendues depuis longtemps, nécessaires à la protection des droits humains. La communauté internationale doit accroître le financement des organisations fournissant des services de santé abordables et accessibles. »
Entre le 19 juillet et le 12 août 2022, Amnistie internationale a mené des recherches sur l’accessibilité des médicaments au Liban. Elle a visité trois Centres de soins de santé primaires à Baalbek et à Beyrouth et interrogé 23 personnes, dont des patient·e·s, des pharmacien·ne·s, des professionnel·le·s de santé, des responsables des services de santé et des employé·e·s d’ONG.
Des médicaments à des prix exorbitants sur fond de crise économique
Les Centres de soins de santé primaires, supervisés par le ministère de la Santé publique et gérés par des organisations non gouvernementales et des autorités locales, restent l’une des dernières options pour les habitant·e·s cherchant à se procurer des médicaments gratuits ou à faible coût. Or, malgré une nette augmentation du nombre de personnes sollicitant leurs services, les financements de ces centres n’ont pas été augmentés, ce qui entraîne des pénuries de médicaments.
Le directeur du programme de médication d’une organisation qui fournit des médicaments aux Centres de soins de santé primaires, a déclaré : « Les nouveaux prix des médicaments sont hors de portée de la plupart des gens. Parfois, ils [représentent] le double du salaire minimum. » Un responsable du ministère de la Santé publique a indiqué que le nombre de patient·e·s ayant accès aux services de santé, notamment aux médicaments, dans ces centres avait augmenté de 62 % depuis 2020.
Selon le ministre intérimaire de la Santé publique Firas Abiad, le gouvernement a réduit ses dépenses totales dans le secteur de la santé de 40 % entre 2018 et 2022, sans faire passer la part des Centres de soins de santé primaires à plus de 3 % du budget de la santé, ce qui signifie que leur financement a diminué au cours de cette période. Outre la baisse des sommes allouées à la fourniture de soins et de médicaments abordables, la dévaluation de la livre libanaise fait que la monnaie a perdu 95 % de sa valeur.
De graves pénuries de médicaments vitaux
Les traitements contre le cancer sont l'une des rares catégories de médicaments que le gouvernement continue de subventionner. Cependant, dans tout le Liban, on constate de graves pénuries de ces traitements. Depuis 2019, le ministère de la Santé publique les impute en partie aux négociants et aux trafiquants qui les achètent à des prix bas subventionnés et les stockent avant de les revendre à des prix gonflés. Le gouvernement s’efforce, mais de manière inadaptée, de lutter contre ce problème et d’amener les responsables à rendre des comptes.
Fadia, atteinte d’un cancer du sein, a dû manquer une séance de radiothérapie en raison du manque de médicaments : « C’est toujours la même promesse chaque fois que je ne reçois pas mon traitement. On me dit " la semaine prochaine ". Cela fait trois mois. Je vis dans la peur constante de ne pas pouvoir trouver les médicaments pour ma prochaine séance. »
On note aussi des pénuries sévères de médicaments non subventionnés car les importateurs ne parviennent pas à faire venir les quantités nécessaires du fait de la crise financière.
D’après une employée d’une entreprise pharmaceutique locale, l’approvisionnement en médicaments non subventionnés varie beaucoup, du fait de l’accumulation des dettes auprès des fabricants à l’étranger. Les entreprises pharmaceutiques étrangères, a-t-elle expliqué, n’expédient pas de nouvelles commandes tant que les factures précédentes ne sont pas réglées. En juillet 2022, le responsable du Syndicat des industries pharmaceutiques du Liban a déclaré que les importateurs locaux devaient 370 millions d’euros aux entreprises pharmaceutiques internationales. En conséquence, les importations de produits pharmaceutiques au Liban ont chuté de 1 100 milliards d’euros en 2020 à 700 millions en juillet 2022.
Une situation encore plus tendue dans les régions reculées
Les gouvernorats situés dans des régions reculées ou loin de Beyrouth souffrent de manière disproportionnée de la crise, du fait du manque de ressources du gouvernement central. Le directeur des services de santé du gouvernorat de Baalbek-Hermel, qui présente l’un des taux de pauvreté les plus élevés du pays, a déclaré que la plupart des Centres de soins de santé primaires du gouvernorat sont inactifs, alors qu’ils sont censés dispenser des services à plus d’un demi-million d’habitant·e·s et qu’environ 340 000 réfugié·e·s syriens vivent dans cette région.
Il a déclaré à Amnistie internationale : « Les plus petits centres de santé dans les villages et les petites villes sont fermés principalement à cause du manque de personnel. Les gens doivent parcourir de longues distances et payer le prix de plus en plus insensé du carburant pour se rendre dans des centres mieux équipés, situés dans des zones centrales. Ce qui est terrible, c’est lorsqu’ils font tous ces kilomètres et ne trouvent pas leurs médicaments. »
Un marché du médicament parallèle
Face à la hausse vertigineuse des prix et à la pénurie persistante de médicaments, un marché parallèle s’est développé. Des médicaments qui ne sont pas homologués ni autorisés par le ministère de la Santé publique sont importés de l’étranger par des intermédiaires : certains s’approvisionnent ainsi en médicaments expirés ou de contrefaçon, non contrôlés, à leurs risques et périls.
Richard, 35 ans, atteint de la maladie de Crohn, une affection chronique auto-immune qui touche le système digestif, n’a eu d’autre choix que de faire venir ses médicaments de l’étranger lorsqu’ils sont devenus introuvables en 2021. Parce qu’ils n’étaient pas approuvés par le ministère de la Santé publique, les hôpitaux ont refusé de lui administrer et les retards dans son traitement lui ont valu de graves complications.
Les patient·e·s atteints d’un cancer « importent » également leurs propres médicaments de chimiothérapie afin de poursuivre leur traitement à l’hôpital. D’autres rationnent ou substituent des médicaments pour faire des économies, ce qui a des effets néfastes graves sur leur santé.
« Les autorités libanaises doivent absolument faire en sorte que les médicaments soient disponibles, accessibles et abordables – malgré les défis financiers. Le droit à la santé ne peut pas et ne doit pas être sacrifié », a déclaré Aya Majzoub.