• 15 Mar 2023
  • Japon
  • Communiqué de presse

Japon. Des migrant·e·s s’expriment à l’heure où le gouvernement propose un projet de loi draconien sur l’immigration  

En amont de la dernière manœuvre en date du gouvernement japonais visant à imposer un texte de loi répressif qui renforcera sa capacité à maintenir les migrant·e·s en détention pour des durées indéterminées, des personnes en quête d’asile et d’autres ont évoqué la cruauté inhérente au système d’immigration du pays. 

 Interrogés dans le cadre de nouvelles recherches menées par Amnistie Internationale, plus de 30 migrant·e·s et personnes en quête d’asile, dont certains se trouvent en détention depuis des années, ont déclaré que les conditions prévalant dans les centres de détention pour migrant·e·s et les politiques relatives à l’immigration sont très dures et ont poussé certains détenu·e·s à observer des grèves de la faim et faire des tentatives de suicide. 

Ces récits ont pour toile de fond la présentation devant le Parlement japonais d’un nouveau projet de modification de la législation relative aux réfugié·e·s et à l’immigration, qui fragiliserait les droits des migrant·e·s. 

« Les migrant·e·s ont brossé un tableau sombre de ce que cela induit de demander le statut de réfugié·e au Japon. Loin d’avoir reçu de l’aide alors qu’elles étaient dans le besoin, ces personnes disent avoir été arbitrairement placées en détention pour une durée indéterminée, dans des établissements similaires à des prisons, administrés par les services de l’immigration », a déclaré Hideaki Nakagawa, directeur d’Amnistie Internationale Japon. 

« Leurs témoignages montrent clairement que le système de détention des services de l’immigration doit être réformé. Les autorités japonaises essaient au lieu de cela d’introduire dans la législation une modification qui leur permettra par défaut de continuer à incarcérer les personnes en quête d’asile et autres migrant·e·s en situation irrégulière. 

Deuxième tentative d’adoption du projet de loi sur l’immigration   

Le gouvernement japonais doit réintroduire sous peu un projet de modification de la Loi relative au contrôle de l'immigration et à la reconnaissance du statut de réfugié, qui habilite les autorités à maintenir en détention des personnes en situation irrégulière pour des durées indéterminées. Cela concerne les personnes qui entrent sur le territoire pour y demander l’asile ou tentent d’obtenir l’asile après leur arrivée dans le pays.  

Le projet de loi prévoit le maintien d’un système de détention par défaut, qui est arbitraire et constitue une violation du droit international. 

Le gouvernement a dans un premier temps présenté le texte en février 2021, mais l’a retiré face au tollé public suscité par la mort de Ratnayake Liyanage Wishma Sandamali, demandeuse d’asile sri-lankaise âgée de 33 ans, dans un centre de détention des services de l’immigration le mois suivant.  

Bien qu’elle se soit plainte de douleurs à de nombreuses reprises, elle n’a reçu aucun soin. Elle a présenté de nombreuses requêtes écrites afin de pouvoir voir un médecin et a demandé une « mise en liberté provisoire ». Dans sa dernière requête, son écriture est à peine lisible. 

 Une enquête interne réalisée en août 2022 a déterminé que des fonctionnaires ont intentionnellement rejeté sa demande de mise en liberté provisoire, et il a été révélé, dans un rapport sur son décès, que des représentants de l'État pensaient qu’elle simulait une maladie afin de sortir. Le rapport a permis d’apprendre qu’une personne avait rejeté sa demande de mise en liberté provisoire « afin de lui faire comprendre sa situation ». 

Le projet de loi pourrait être adopté à tout moment durant la session parlementaire en cours, qui doit se poursuivre jusqu’en juin.

Les recherches effectuées par Amnistie Internationale s’appuient sur des entretiens avec d’anciens et d’actuels détenu·e·s de centres de rétention pour migrant·e·s, réalisés en octobre et novembre 2022. Amnistie Internationale a aussi rencontré des fonctionnaires de l’agence des services de l’immigration, qui dépend du ministère de la Justice, et des membres d’organisations non gouvernementales travaillant sur la détention des migrant·e·s. 

Ces entretiens ont permis de recueillir des informations sur diverses violations des droits humains, notamment des placements arbitraires en détention pour des durées indéterminées, des mauvais traitements infligés par des agents de l'immigration, en particulier des coups et le recours à la détention à l’isolement, ainsi que des soins médicaux inadaptés.    

Le taux d’accueil des réfugié·e·s au Japon est, et de loin, le plus faible des nations du G20 ; 74 demandes ont ainsi été acceptées en 2021 et plus de 10 000 auraient été rejetées – soit un taux de réussite de moins d’1 %.  

Privation d’accès à l’asile, déni de liberté 

Le mot « Choubatsu » est revenu à maintes reprises dans les entretiens accordés par des détenu·e·s et d’anciens détenu·e·s. Ce mot, qui signifie « punition », est régulièrement utilisé par des fonctionnaires des services de l’immigration à titre de sanction immédiate contre des détenu·e·s pour leurs agissements. Les personnes ainsi punies sont souvent enfermées dans des conditions pouvant s’apparenter à une détention à l'isolement. 

Un ancien détenu népalais a déclaré avoir été victime de violences physiques de la part de représentants de l’État, et placé dans une « salle de punition » après avoir refusé d’interrompre une séance d’exercice pour leur parler.  

  « Des dizaines d’employés sont venus, et après avoir été roué de coups, j’ai été emmené dans la salle d’isolement. Je n’avais aucun souvenir après, et quand je suis revenu à moi, environ six heures étaient passées. J’ai aussi fait l’expérience de l’isolement à plusieurs occasions, simplement parce que je leur ai dit que ce traitement était injuste sur le plan des soins médicaux et de la nourriture. »  

Bien que les services d’immigration ont déclaré qu’ils œuvraient à améliorer les soins médicaux proposés, après la mort de Ratnayake Liyanage Wishma Sandamali, aucun des détenu·e·s interrogés par Amnesty International n’a dit avoir remarqué la moindre amélioration sur le plan médical après l’enquête sur le décès de la jeune femme. 

Un homme, originaire de Somalie, a déclaré : « Dès le réveil, on est traités comme des animaux. Il n’y a nulle part où étudier, nulle part où apprendre. Il n’y a rien à faire pour nous. Quand vous êtes là, vous subissez un lavage de cerveau. » 

Grèves de la faim et tentatives de suicide 

Une des rares solutions pour les détenu·e·s de quitter les centres de rétention est d’obtenir une « mise en liberté provisoire ». Celles-ci sont rarement accordées et la procédure est arbitraire, faute de critères d’admissibilité clairs.    

Même les personnes qui sont relâchées ne sont pas en mesure d’exercer leurs droits les plus fondamentaux, car elles ne disposent d’aucun soutien financier et ne sont pas autorisées à travailler Malgré cela, des détenu·e·s ont déclaré que de nombreuses personnes employaient des moyens extrêmes afin d’essayer d’obtenir une mise en liberté provisoire. 

  « La seule manière de sortir d’un centre de détention des services de l'immigration était de tomber malade ou d’observer une grève de la faim au point que le diagnostic vital soit engagé », a déclaré un détenu. « Et même si on vous autorisait à sortir à la faveur d’une mise en liberté provisoire, c’était seulement pour deux semaines, durant lesquelles il fallait vous remettre de votre maladie. » 

Les services de l'immigration déclarent qu’une personne est morte des suites de sa grève de la faim ces cinq dernières années.   

Selon les propos recueillis par Amnistie Internationale, certains détenu·e·s ont été témoins de tentatives de suicide de co-détenu·e·s, et une des personnes s’étant exprimée avait elle-même essayé d’attenter à sa vie. Des personnes ont dit avoir été témoins de tentatives de pendaison ou d’asphyxie, d’overdoses médicamenteuses ou d'absorption de détergent. Dans un cas, un homme s’était tranché la gorge.  

  Un détenu a dit : « J’ai vu une personne essayer de se tuer en se tranchant la gorge. J’ai vu de nombreuses autres personnes ayant ingéré du détergent afin de se suicider. »    

Le 17 novembre 2022, un Italien d’une cinquantaine d’années est mort au Bureau de l'immigration de Tokyo, après s’être semble-t-il pendu à l’aide du câble électrique d’un téléviseur. La mise en liberté provisoire de cet homme avait récemment été révoquée. 

  Selon certaines informations, 17 personnes sont mortes dans des centres de détention des services de l’immigration depuis 2007, et il s’agissait du sixième suicide.  

  « Les récits de ces personnes mettent en évidence la nécessité de l’abolition par le gouvernement japonais de la détention automatique et prolongée pour les migrant·e·s. Toute mesure de privation de liberté doit avoir la durée la plus brève possible, et elle ne doit pas s’accompagner de traitements cruels, inhumains ou dégradants », a déclaré Hideaki Nakagawa. 

  « Les détenu·e·s doivent avoir le droit de contester les conditions, la légalité et la durée de la détention, et de recevoir des soins médicaux adéquats dans les meilleurs délais en détention. Le projet de modification de la loi soumis par le gouvernement japonais ne prévoit rien de cela, et il doit être mis au rebut et remplacé par une loi traitant les personnes en quête d’asile et les migrant·e·s en situation irrégulière avec dignité. » 

Complément d’information 

En vertu du droit international relatif aux droits humains, les migrant·e·s, les réfugié·e·s et les personnes demandant l’asile doivent bénéficier d’une présomption de liberté sur le plan juridique. En conséquence, toute privation de leur liberté doit être clairement inscrite dans la loi, être strictement justifiée par des fins légitimes, et être nécessaire, proportionnée et non discriminatoire.    

Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a indiqué que la détention illimitée associée au contrôle de l’immigration portait atteinte au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Il a aussi estimé que la politique carcérale du Japon constituait une détention arbitraire, et que l’impossibilité d’obtenir une révision judiciaire portait atteinte au PIDCP.