• 8 nov 2023
  • Canada
  • Communiqué de presse

NOUVELLE LETTRE OUVERTE AU PREMIER MINISTRE JUSTIN TRUDEAU SUR LA SITUATION EN ISRAËL ET TERRITOIRES PALESTINIENS OCCUPÉS

Montréal, le 8 novembre 2023

 

Le très honorable Justin Trudeau, C.P., député

Premier ministre du Canada

80, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A2

 

Re: Appel à un cessez-le-feu immédiat de toutes les parties dans la bande de Gaza occupée et en Israël

 

Monsieur le Premier Ministre,

Nous vous écrivons aujourd’hui pour vous faire part de notre désarroi face à la faiblesse de la position du Canada jusqu’à présent, en lien avec la catastrophe humanitaire qui se déroule dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023, qu’Amnistie internationale continue de suivre de près. Nous assistons à des horreurs d’une ampleur inimaginable en Israël et dans les territoires palestiniens occupés. Nous vous écrivons pour faire suite à notre lettre du 14 octobre, laquelle appelait le gouvernement du Canada à appuyer un cessez-le-feu immédiat de toutes les parties au conflit dans la bande de Gaza occupée et en Israël ainsi que la libération des otages. Un cessez-le-feu est, à l’heure actuelle, la seule mesure réalisable afin d’éviter de nouvelles pertes civiles et de garantir l’accès à l’aide humanitaire pour les habitants de Gaza. 

Nous réitérons nos précédents appels à un embargo total et immédiat du Canada sur l’exportation d’armes à Israël jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de risque majeur que les armes soient utilisées pour commettre ou faciliter de graves violations des droits de l’homme ou du droit humanitaire international.

 

Une situation humanitaire désastreuse

Une catastrophe humanitaire sans précédent est en cours. Les personnes civiles sont en danger et ont besoin d’une aide immédiate. Depuis les horribles attaques menées dans le sud d’Israël le 7 octobre, au cours desquelles le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens ont tué au moins 1 400 personnes et pris 200 otages, les forces israéliennes ont lancé des milliers de frappes aériennes et terrestres dans la bande de Gaza. L’offensive terrestre sur Gaza par Israël est déjà en cours, et a des conséquences dévastatrices sur les civil·e·s. Les forces israéliennes ont pulvérisé, rue après rue, des immeubles résidentiels, tuant de nombreuses personnes civiles et détruisant des infrastructures essentielles. Ces attaques ont tué plus de 10 000 personnes, majoritairement des civil·e·s, dont au moins 4 200 enfants, d’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU. On dénombre plus de 25 000 blessés et plus de 2 000 corps sont toujours coincés sous les décombres. Depuis le début des hostilités, plus de 1,5 million sur les 2,2 millions d’habitants de Gaza ont été déplacés à l’intérieur de la région – pour certains, à deux reprises.

Les nouvelles restrictions entraînent vers des pénuries d’eau, de médicaments, de carburant et d’électricité. Le secteur de la santé subit de fortes pressions et est confronté à des pénuries critiques. Un cessez-le-feu immédiat permettrait aux hôpitaux de recevoir des médicaments de premier secours, de l’eau, et des équipements vitaux, ainsi que de réparer des salles endommagées pour pouvoir soigner les personnes blessées. Un cessez-le-feu immédiat est le moyen le plus efficace de protéger les civil·e·s et d’éviter de nouvelles pertes de vies en distribuant les produits de première nécessité en toute sécurité.

 

Enquête sur les violations des droits humains

En plus de permettre la prévention de nouvelles pertes de vies civiles et l'accès à une aide essentielle, un cessez-le-feu permettrait la conduite, notamment par la Cour pénale internationale et la Commission d'enquête indépendante sur le territoire palestinien occupé, d’enquêtes indépendantes sur les violations des droits de l'homme et les crimes de guerre commis par toutes les parties.

Le 21 octobre, l'armée israélienne a largué des tracts dans le nord de la bande de Gaza, avertissant les habitants de quitter immédiatement les lieux, déclarant que leur vie était en danger et que « quiconque choisit de ne pas quitter le nord de la bande de Gaza pour rejoindre le sud de Wadi Gaza peut être considéré comme complice d'une organisation terroriste ». Déclarer une ville ou une région entière comme cible militaire est une violation du droit international humanitaire, selon lequel les parties au conflit doivent toujours faire la distinction entre les personnes civiles ou les biens de caractère civil et les objectifs militaires, et prendre toutes les mesures possibles pour épargner les personnes civiles et les biens de caractère civil.

Les personnes civiles en Israël continuent également de subir des attaques à la roquette menées sans discernement par le Hamas et d’autres groupes armés de Gaza. Les recherches d’Amnistie Internationale ont révélé que le Hamas et d’autres groupes armés de la bande de Gaza occupée ont lancé des roquettes sans discernement sur Israël, et ont envoyé des soldats qui ont commis de graves violations du droit international, comme par exemple des exécutions extrajudiciaires et des prises d’otages, ce qui correspond à des crimes de guerre.

Nous avons également documenté des preuves accablantes de crimes de guerre par les forces israéliennes pendant l’offensive sur Gaza qui a suivi, dont des attaques menées sans discernement et des pratiques de punition collective, qui ont entraîné des pertes civiles massives, anéanti des familles entières et détruit des quartiers résidentiels. Ces violations doivent faire l’objet d’une enquête pour crimes de guerre.

L’accès aux réseaux de télécommunication et d’Internet est essentiel pour la protection des droits humains, surtout en période de conflit. Les coupures répétées des communications, imposées par Israël, ont exposé les personnes civiles à des risques sans précédent, perturbant les opérations de sauvetage et isolant davantage la zone assiégée. Les coupures des communications signifient qu’il est encore plus difficile d’obtenir des informations capitales et de recueillir des preuves sur les violations des droits humains, et d’entendre les témoignages directs des personnes qui subissent ces violations. À Amnistie internationale, nous avons perdu le contact avec nos collègues qui se trouvent à Gaza pendant la coupure et autour du 27 octobre. Les recherches d’Amnistie internationale ont déjà démontré par le passé que les coupures d’Internet facilitent la répression et les violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains.

 

Il est urgent d’agir

Monsieur le Premier Ministre, nous avons été choqués et profondément déçus par la décision du Canada de s’abstenir lors de la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU sur la situation à Gaza du 27 octobre. Indépendamment des différences de formulation, le respect du droit international humanitaire, la protection des personnes civiles et la mise en place d'une aide humanitaire vitale doivent être au cœur de la réponse de la communauté internationale à cette crise sans précédent.

L'appel au cessez-le-feu est largement soutenu par les Nations unies, la société civile et les experts en droits de l'homme, notamment le Rapporteur spécial sur les droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, les agences des Nations unies travaillant en Palestine, de nombreuses Procédures spéciales des Nations unies, le Secrétaire général des Nations unies et le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, qui a récemment effectué une visite au Canada.

Amnistie Internationale appelle urgemment le Canada à soutenir l’appel à un cessez-le-feu immédiat de toutes les parties dans la bande de Gaza occupée et en Israël dans les plus brefs délais.

Nous exhortons également le Canada à utiliser tous les moyens diplomatiques à sa disposition pour permettre :

  • L’arrêt immédiat des attaques illégales, y compris les attaques aveugles, les attaques directes contre les personnes civiles et les biens de caractère civil, et les attaques disproportionnées de la part de toutes les parties.
  • L’autorisation immédiate par Israël de l’accès à l’aide humanitaire pour les personnes civiles de la bande de Gaza occupée, sans obstruction, la levée de son blocus illégal de Gaza, en place depuis 16 ans, ainsi que l’accord de l’accès immédiat à la Commission d’enquête indépendante sur le territoire palestinien occupé.
  • Le rétablissement immédiat d’Internet et des réseaux de télécommunication dans la bande de Gaza, pour permettre les opérations de sauvetage, dans un contexte marqué par des frappes aériennes et des opérations terrestres israéliennes de plus en plus nombreuses.
  • La libération immédiate et sans condition, par le Hamas et tous les autres groupes armés, de tous les otages civils ayant survécu à l’offensive israélienne, ainsi que le traitement humain de toutes les personnes encore en captivité, y compris en leur fournissant un traitement médical en attendant leur libération.
  • La libération par Israël de tous les personnes palestiniennes qui sont détenus arbitrairement.
  • L’imposition d’un embargo total sur les armes à toutes les parties prenantes au conflit, compte tenu des graves violations constitutives de crimes de droit international qui sont commises.
  • La poursuite de l’investigation de la Cour pénale internationale en cours, laquelle doit pouvoir recevoir un total soutien ainsi que toutes les ressources nécessaires.
  • Le traitement urgent par la communauté internationale des causes profondes de cette violence.

 

Monsieur le Premier ministre, pendant trop longtemps, la communauté internationale et le Canada n’ont pas réagi aux violations cruelles et inhumaines qui empêchent les Palestinien·ne·s de vivre dans l’égalité des droits et la dignité. Il y a deux ans, Amnistie Internationale a publié un rapport novateur décrivant le système cruel de ségrégation et de dépossession dans lequel les Palestinien·ne·s vivent depuis des décennies : l'apartheid. Il est essentiel de s'attaquer au système israélien d'apartheid contre tous les Palestinien·ne·s et de le démanteler pour mettre fin à ces cycles de violence répétés.

En cette heure désespérée, nous réitérons notre appel urgent à placer les droits humains et le droit international humanitaire au centre de l’engagement de votre gouvernement avec les autorités israéliennes. L’humanité doit prévaloir.

Nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre très haute considération,

                               
France-Isabelle Langlois                                          Ketty Nivyabandi

Directrice générale                                                        Secretaire-générale

Amnistie internationale Canada                                Amnesty International Canada 

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filanglois@amnistie.ca                                                knivyabandi@amnesty.ca