Burkina Faso. Les auteurs présumés des tueries de Nouna doivent faire face à la justice
Selon des témoins interrogés par Amnistie internationale, des forces auxiliaires au gouvernement du Burkina Faso ont tué des dizaines de civil·e·s à Nouna, dans la province de la Kossi le 30 décembre 2022, et plus de 80 corps ont été inhumés.
Ces homicides ciblés et injustifiés, dont les victimes sont principalement des résidents des Secteurs 4 et 6 de Nouna appartenant à l’ethnie peule, ont été perpétrés le matin du 30 décembre 2022, peu après une attaque menée par des combattants d’un groupe islamiste contre un poste de gendarmerie local et une base utilisée par les Dozos, un groupe allié au gouvernement, dans cette ville.
« Amnistie internationale exhorte les autorités burkinabè à protéger les civil·e·s et à garantir que les personnes soupçonnées des tueries de Nouna soient amenées à rendre des comptes. Il est possible que ces homicides délibérés de civil·e·s constituent des crimes au regard du droit international. Nous demandons au gouvernement de diligenter immédiatement une enquête approfondie et impartiale qui permette de traduire en justice les auteurs présumés de ces atrocités », a déclaré Samira Daoud, directrice du bureau d’Amnistie internationale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
Selon des personnes ayant survécu à cette attaque, ce sont des membres locaux d’une confrérie de chasseurs dozos, agissant comme une force auxiliaire, qui sont allés de maison en maison, ouvrant le feu sur des personnes incapables de s’échapper.
Les homicides commis à Nouna, ville de 30 000 habitant·e·s proche du Mali, ont fait suite à une attaque menée contre une base dozo et un poste de gendarmerie par des combattants islamistes quelques heures auparavant.
Le 2 janvier, le parquet local a ouvert une information judiciaire sur l’homicide de 28 civil·e·s.
Des rescapé·e·s ont déclaré que le nombre de victimes est beaucoup plus élevé, 86 corps au moins ayant été retrouvés dans les Secteurs 4 et 6 et enterrés le 31 décembre. D’autres corps criblés de balles ont été retrouvés et inhumés les jours suivants.
Amnistie internationale demande au gouvernement de condamner ces atrocités et d’obliger les responsables de ces attaques à rendre des comptes, une fois leur culpabilité établie.
« Nous demandons au gouvernement de condamner fermement et publiquement ce massacre et de veiller à ce que de tels abus ne soient jamais répétés par quiconque se trouve sous son autorité. Le gouvernement doit par ailleurs protéger les civil·e·s contre les activités de l’ensemble des groupes armés et des forces gouvernementales », a déclaré Samira Daoud.
« Le gouvernement doit garantir que l’ensemble des forces qui lui sont alliées respectent strictement le droit international humanitaire et relatif aux droits humains et, en particulier, mettent immédiatement fin aux attaques visant des civil·e·s. »
Témoignages de rescapés
Tôt le matin du 30 décembre 2022, un poste de gendarmerie de Nouna et un camp utilisé par des chasseurs dozos, un groupe agissant comme force de sécurité auxiliaire au gouvernement, ont été attaqués par des combattants appartenant au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).
Trois témoins qui se trouvaient à Nouna et dont les propos ont été recueillis par Amnistie internationale ont décrit comment, après l’attaque initiale, des miliciens dozos se sont rendus dans deux quartiers de Nouna, prenant semble-t-il pour cible des familles peules, frappant à toutes les portes et tirant sur des dizaines de civil·e·s non armés dans leur propre foyer. Presque tous les hommes et garçons de plus de 16 ans ont été tués, par des chasseurs dozos, selon les témoins.
Un homme dont le père a été tué dans le Secteur 6 le 30 décembre a déclaré à Amnistie internationale : « Trente minutes après que j’ai parlé au téléphone avec mon père, ma belle-mère m’a appelé dans tous ses états pour me dire que des hommes armés se trouvaient dans le secteur. Ils étaient deux et armés, et ont demandé à mon père de les suivre, en dioula et en français. Il a essayé de résister et ma belle-mère leur a crié de le laisser tranquille, mais ils l’ont emmené avec eux. Ma belle-mère est arrivée à appeler la gendarmerie au bout d’un moment, mais on a plus tard retrouvé le corps de mon père non loin de là. Il présentait des blessures par balle et était déjà mort, et ils avaient pris sa bague et tout l’argent qu’il avait dans son portefeuille. »
« Trente-huit personnes ont été tuées dans le Secteur 6 [un des quartiers] d’après ce que j’ai entendu. Ce sont celles qui ont été enterrées sous l’autorité du chef traditionnel de Nouna, alors il est possible que le nombre réel de victimes soit plus élevé. Avec les 48 corps inhumés dans le Secteur 6 [le second quartier], cela fait au moins 86 morts », a déclaré un autre rescapé.
Un autre témoin a dit à Amnistie internationale qu’il avait été forcé à quitter son domicile par des hommes armés : « Ils sont venus chez moi et m’ont dit de les suivre jusqu’à la gendarmerie. J’étais appréhensif, mais j’ai décidé d’y aller parce que je n’avais pas vraiment le choix. Ce n’est en fait pas à la gendarmerie qu’ils me conduisaient mais dans la brousse, et à un moment où ils ne faisaient pas attention, j’ai décidé de m’enfuir en courant. Ils m’ont tiré dessus mais je suis arrivé à m’échapper. »
Plusieurs jours après cette attaque et l’inhumation des 86 premières victimes, on continuait à retrouver des corps.
Un rescapé interviewé le 2 janvier a déclaré :
« Aujourd’hui encore, deux corps ont été récupérés dans le Secteur 4 et enterrés. Ils ont été trouvés après l’enterrement des 86 autres le 31 décembre. Depuis le 30 décembre, je n’ose plus sortir de chez moi. Il n’y a aucune sécurité pour nous, et j’aimerais quitter la ville. »
Complément d’information
Le Burkina Faso est aux prises avec une insurrection islamiste depuis 2016, dans le cadre d’un conflit qui a causé la mort de milliers de civil·e·s et le déplacement de près de deux millions de Burkinabè, soit environ un dixième de la population.
En janvier 2020, le gouvernement a adopté une loi portant création des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), une milice auxiliaire assistant l’armée dans sa lutte contre l’insurrection. Les membres des VDP reçoivent 15 jours de formation. Leur déploiement se fait souvent en réponse aux demandes de populations locales, mais donne aussi fréquemment lieu à des accusations de ciblage ethnique et d’autres abus. En octobre 2022, le gouvernement a annoncé le recrutement de 50 000 VDP supplémentaires.
Les homicides de Nouna suivent un schéma similaire à celui d’événements s’étant produits dans la ville de Yirgou (nord du pays), en 2019, lors desquels plus de 100 civil·e·s non armés, peuls pour la plupart, ont été tués en représailles par des membres des koglweogo, une autre force auxiliaire du gouvernement, sur une période de plusieurs jours. Ce massacre a fait suite au meurtre d’un chef traditionnel, semble-t-il par des membres d’Ansaroul Islam, un groupe armé islamiste. Personne n’a été jugé pour ces homicides. Les populations peules sont souvent accusées par d’autres groupes de soutenir des groupes insurgés islamistes ou de leur être favorables.