Amériques. L’exode croissant des Vénézuélien·ne·s met en évidence les manquements de la Colombie, du Pérou, de l’Équateur et du Chili
Dans son nouveau rapport intitulé Regularizar y proteger: Obligaciones internacionales de protección de personas venezolanas, Amnistie internationale montre que la Colombie, le Pérou, l’Équateur et le Chili ne respectent pas l’obligation qui leur incombe, en vertu du droit international, de protéger les personnes fuyant le Venezuela parce qu’elles craignent pour leur vie, leur intégrité personnelle et leurs droits fondamentaux.
« Face à une crise sans précédent dans la région, la Colombie, le Pérou, l’Équateur et le Chili n’ont pas pu, ou pas voulu, protéger les personnes fuyant le Venezuela. Les mesures et programmes qu’ils mettent en œuvre pour leur proposer un statut migratoire régulier ne respectent pas les normes fixées par le droit international. Ces États ont l’occasion et l’obligation de protéger de toute urgence les plus de cinq millions de Vénézuélien·ne·s qui se trouvent sur leurs territoires », a déclaré Ana Piquer, directrice par intérim du programme Amériques d’Amnistie internationale.
La Colombie, le Pérou, l’Équateur et le Chili accueillent 70 % des 7,71 millions de Vénézuélienne·s ayant fui le pays du fait de l’urgence humanitaire complexe et des violations massives des droits humains sur place. Le rapport analyse les mesures de protection temporaire, la régularisation des migrations et les procédures de reconnaissance du statut de réfugié en termes d’accessibilité, de portée et d’efficacité. Sur la base de ces trois critères, Amnistie internationale conclut qu’aucun de ces quatre États ne respecte l’obligation qui lui est faite, en vertu du droit national et international, d’accorder une protection internationale ou une protection complémentaire aux Vénézuélien·ne·s.
Les atteintes massives aux droits économiques et sociaux, ainsi que les violations généralisées et systématiques des droits civils et politiques, ont entraîné une situation d’urgence humanitaire complexe au Venezuela et expliquent pourquoi des entités telles que le bureau du procureur de la Cour pénale internationale enquêtent sur les autorités vénézuéliennes pour de possibles crimes contre l’humanité. Amnistie internationale estime que les personnes vénézuéliennes qui fuient cette situation ont besoin d’une protection internationale et devraient donc être reconnues en tant que réfugié·e·s.
Bien que la Colombie, le Pérou, l’Équateur et le Chili soient dotés de lois qui définissent un réfugié comme une personne fuyant des situations telles que celle qui prévaut au Venezuela, l’organisation a constaté qu’ils les appliquaient rarement. Ces quatre pays ont en outre signé les instruments de droit international établissant les obligations des États à l’égard des réfugiés, à savoir la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et la Déclaration de Carthagène de 1984. En vertu de ces dispositions légales, ils sont tenus de protéger les Vénézuéliens qui ont fui leur pays.
S’ajoutant aux allégations déjà formulées sur l’utilisation exceptionnelle des systèmes d’asile par les autorités en Colombie, au Pérou, en Équateur et au Chili, le nouveau rapport d’Amnistie internationale révèle par ailleurs que les programmes potentiellement considérés comme une « protection complémentaire » et d’autres mesures de régularisation des migrations n’offrent pas de niveaux de protection équivalents à ceux de l’asile. S’ils ont permis aux Vénézuélien·ne·s d’obtenir un statut migratoire régulier et d’accéder à certains droits et services, cette protection n’est pas équivalente à la protection internationale à laquelle les Vénézuéliens ont droit. Ces programmes ne prévoient en outre pas de démarche claire en matière de genre.
« Le manque d’accès à un statut migratoire régulier est particulièrement préoccupant pour les femmes ayant connu des violences liées au genre, qui se retrouvent totalement privées de protection dans leur pays d’accueil. Notre nouveau rapport montre que loin d’adopter nos recommandations afin de les protéger, les programmes existants, tels que ceux mis en œuvre au Pérou et au Chili, causent de nouveaux traumatismes aux victimes, et qu’ils ont en outre rarement été en mesure de bénéficier aux femmes vénézuéliennes », a ajouté Ana Piquer.
En Colombie, où vivent quelque 2,9 millions de Vénézuélien·ne·s, le ministère des Affaires étrangères a créé en 2018 le permis spécial de séjour (PEP), qui a été remplacé en 2021 par le statut de protection temporaire pour les Vénézuéliens (ETPV). Bien que ce permis accorde aux ressortissant·e·s vénézuéliens un statut migratoire régulier pendant 10 ans, les autorise à travailler et à accéder aux services de santé et d’éducation, il n’établit pas de garanties de protection contre le « refoulement » vers le Venezuela. La difficulté à se procurer certains des documents exigés, les délais d’exclusion, les retards importants dans le traitement des demandes et l’incompatibilité manifeste entre l’ETPV et les demandes d’asile sont également préoccupants.
Au Pérou, où vivent quelque 1,5 million de Vénézuéliens, les autorités ont mis en place en 2021 la carte de permis de séjour temporaire (CPP), qui permet légalement aux bénéficiaires d’étudier et, en théorie, de travailler. La protection qu’elle offre en pratique est toutefois limitée. Selon certaines sources, rares sont les institutions qui reconnaissent et acceptent ce document, qui ne protège pas les Vénézuélien·ne·s contre le « refoulement » et ne garantit pas l’accès aux services de santé.
En Équateur, où l’on recense environ 475 000 personnes vénézuéliennes, le gouvernement propose depuis juin 2022 un visa de résidence temporaire exceptionnel pour les citoyens vénézuéliens (VIRTE). Ce visa donne le droit de travailler et d’accéder aux services de santé et d’éducation. Le rapport montre cependant que les frais exigés et le fait d’être entré dans le pays par des points de passage autorisés avant juin 2022 limitent l’accès à cette forme de protection temporaire.
Au Chili, pays qui compte au moins 444 400 ressortissant·e·s vénézuéliens sur son territoire, la mesure de régularisation la plus récente, destinée aux personnes en situation migratoire irrégulière, quelle que soit leur nationalité, a été introduite en 2021. À ce jour, il n’existe pas de programme de protection temporaire ou complémentaire pour les Vénézuéliens. Amnistie internationale déplore vivement que les autorités chiliennes continuent à mettre en œuvre des mesures et des pratiques illégales, comme par exemple l’obligation de se dénoncer et l’examen préalable à la recevabilité des demandes d’asile, qui entravent le droit de demander l’asile.
L’organisation rappelle que les États qui accueillent des Vénézuélien·ne·s doivent leur permettre de toute urgence de bénéficier de la protection internationale et de formes complémentaires de protection. Une protection complémentaire et des mesures de régularisation ne peuvent pas se substituer au statut de réfugié. En tout état de cause, lorsque les États optent pour des programmes de protection temporaire et complémentaire, ils doivent s’assurer que ceux-ci respectent les critères de légalité, d’accessibilité et de protection des droits, notamment le principe de « non-refoulement ». L’organisation souligne également la persistance de la situation critique qui a conduit plus de 7,71 millions de personnes à quitter le Venezuela afin de se mettre en quête de protection, un chiffre qui représente plus de 25 % de la population totale du pays. Loin d’indiquer un renversement de situation, le nombre de personnes ayant quitté le pays entre mai 2022 et mai 2023 s’élève à 1,4 million.