Qatar. Des organisations de la société civile népalaise dénoncent le rejet répété par la FIFA des demandes d'indemnisation des travailleurs·euses migrants
Plus de 30 organisations de la société civile népalaise adressent le 15 décembre 2022 une lettre ouverte au président de la FIFA Gianni Infantino pour lui demander de « cesser de détourner le regard » tandis que les travailleuses et travailleurs migrants se voient refuser des indemnisations après avoir subi des atteintes aux droits humains au Qatar.
Ces organisations ont également affiché leur message sur des panneaux à travers le Katmandou, notamment à l’aéroport international de Tribhuvan, où des travailleuses et travailleurs du Qatar reviennent souvent sans leurs salaires et où les corps de ceux qui sont morts sont régulièrement rapatriés.
Cette lettre souligne que les travailleurs·euses migrants ne sont pas en mesure d’accéder au fonds d’indemnisation mis en place par le Qatar en 2018 pour rembourser les salaires non versés s’ils sont déjà rentrés au Népal, et que les familles endeuillées ne peuvent pas recevoir d’indemnisation si les causes du décès de leurs proches n’ont pas fait l’objet d’enquêtes.
« Nous joignons nos forces pour appeler Gianni Infantino à tenir les promesses de la FIFA concernant le respect des droits des travailleuses et travailleurs et à accepter d’indemniser ceux qui ont subi des violations des droits humains et les familles qui ont perdu des proches, a déclaré Som Prasad Lamichhane, directeur exécutif du Pravasi Nepali Coordination Committee (PNCC), qui a aidé à rédiger cette lettre commune.
« Nous connaissons le coût humain réel des atteintes subies par tant de travailleuses et travailleurs au Qatar. Les familles sombrent dans la pauvreté, les enfants sont déscolarisés et les travailleurs·euses sont contraints de migrer à nouveau pour payer leurs dettes. La FIFA ne peut fermer les yeux sur cette réalité et doit agir pour réparer les torts causés. »
Près de 400 000 Népalais·e·s sont employés dans tout un éventail de secteurs au Qatar et ont joué un rôle crucial dans la construction des vastes projets d’infrastructure permettant d’accueillir la Coupe du monde de la FIFA 2022.
Si les envois de fonds de ceux qui travaillent à l'étranger sont importants pour l'économie, les Népalais·e·s qui s’expatrient dans les pays du Golfe et ailleurs sont régulièrement victimes de diverses violations du droit du travail. Ils n'ont généralement d'autre choix que de s’acquitter de frais de recrutement illégaux s’élevant à plus de 1 000 dollars pour obtenir leur emploi et des cas de travail forcé et de salaires impayés, y compris sur des sites liés à la Coupe du monde, sont régulièrement recensés.
En outre, certains ont perdu la vie du fait des conditions de travail dangereuses et ces décès ont rarement fait l’objet d’investigations. D’après une étude examinée par des confrères, les décès d’au moins 200 ouvriers népalais du bâtiment auraient pu être évités entre 2009 et 2017 avec des protections adéquates contre la chaleur extrême.
Ces dernières années, le Qatar a adopté plusieurs réformes afin de renforcer la législation relative au droit du travail et a ouvert un nouveau centre de visas au Népal afin de limiter les atteintes aux droits humains. Malgré des progrès, les abus perdurent à grande échelle.
« Le danger est immense que lorsque le coup de sifflet final de la Coupe du monde retentira, la contribution et le sacrifice de tant de travailleuses et travailleurs migrants tombent dans l’oubli, tout comme leurs appels à la justice et à des indemnisations, a déclaré Nirajan Thapaliya, directeur d’Amnistie internationale Népal.
« Si la FIFA veut faire preuve de respect à l’égard des personnes qui ont rendu ce tournoi possible, Gianni Infantino doit enfin accepter de garantir l’indemnisation de ces travailleurs·euses et de leurs familles. Leurs revendications ne peuvent être balayées sous le tapis plus longtemps. »
Depuis le mois de mai, une coalition mondiale d’organisations de défense des droits humains, de syndicats et de groupes de supporters demandent à la FIFA et au Qatar de mettre sur pied un programme de réparation permettant d’indemniser les travailleurs·euses et d’investir dans des programmes visant à prévenir de futurs abus. Cet appel a reçu le soutien de 12 associations de football et quatre sponsors de la FIFA, et des sondages d'opinion réalisés dans 15 pays montrent qu’il emporte l’adhésion d’une grande majorité de la population.
Pourtant, la FIFA refuse d’indemniser les victimes d’abus au travail liés à la Coupe du monde au Qatar. Lundi 12 décembre, une coalition d’organisations internationales de défense des droits humains a critiqué la FIFA qui a « trompé le monde » au sujet de cette indemnisation. Bien que des responsables de la FIFA aient précédemment déclaré qu’ils planchaient sur un projet visant à garantir des indemnisations adéquates, à la veille du tournoi, Gianni Infantino s’est déchargé de toute responsabilité et a fait valoir que toute personne ayant subi des atteintes aux droits humains devrait simplement « prendre contact avec les autorités compétentes pour demander une juste indemnisation » au fonds de compensation existant au Qatar.
Cependant, ce mécanisme demeure inaccessible à ceux qui ont déjà quitté le pays, plafonne le montant pouvant être versé à chacun et n’apporte pas de soutien aux familles de travailleurs·euses dont la mort a pu être attribuée à tort à des « causes naturelles » parce qu’aucune investigation n’a été menée.
La coalition a invité Gianni Infantino à puiser dans le Fonds d’Héritage de la Coupe du monde 2022, annoncé il y a peu, pour verser les indemnisations et créer un centre indépendant pour les travailleurs·euses migrants, en réponse à l’appel de syndicats tels que l’Internationale des Travailleurs du Bâtiment et du Bois (IBB). La taille du fonds prévu n’est pas encore connue et son but est actuellement de soutenir des projets éducatifs et un projet de « centre d’excellence pour les travailleurs ».