Maroc/ Sahara occidental. Une militante ciblée par le logiciel espion Pegasus ces derniers mois – Nouveaux éléments de preuve
Une éminente militante des droits humains au Maroc a été la cible du logiciel espion Pegasus de la société NSO Group ces derniers mois, est en mesure de révéler Amnistie internationale.
L’analyse réalisée par le Security Lab d’Amnistie internationale a conclu que deux téléphones appartenant à Aminatou Haidar, défenseure sahraouie des droits humains, ont été ciblés et infectés tout récemment, en novembre 2021, quelques mois seulement après les révélations du Projet Pegasus qui ont choqué le monde entier.
« Le fait qu’Aminatou Haidar ait été prise pour cible par le logiciel espion Pegasus il y a quelques mois seulement prouve une nouvelle fois que des entreprises comme NSO Group continueront de favoriser des violations des droits humains tant qu’elles ne seront pas dûment réglementées, a déclaré Danna Ingleton, directrice adjointe d'Amnesty Tech.
« Cette dernière révélation montre que la politique de NSO Group en matière de droits humains est futile dans la pratique. Amnistie internationale a produit de multiples éléments d’analyse technique attestant de l’utilisation abusive de Pegasus depuis 2019 au Maroc, ainsi que dans une dizaine de pays, dans le cadre de l’enquête Projet Pegasus. Pourtant, NSO Group n’a pris aucune mesure afin de prévenir les violations des droits humains causées par ses outils au Maroc.
« NSO Group doit rendre des comptes pour son rôle dans le fait qu’Aminatou Haidar a été prise pour cible par son logiciel, tout comme d’autres militant·e·s courageux au Maroc et au Sahara occidental. »
Aminatou Haidar est une militante des droits humains originaire du Sahara occidental, lauréate de multiples prix pour son militantisme pacifique, notamment le Prix Robert F. Kennedy des droits de l'homme en 2008, le Prix du courage civil en 2009 et le Right Livelihood Award en 2019.
Après avoir reçu des alertes de sécurité par courriel émanant d’Apple l’avertissant que ses téléphones étaient peut-être ciblés par des « attaquants parrainés par l’État », Aminatou Haidar a pris contact avec la Fondation Right Livelihood, qui l’a dirigée vers le Security Lab d’Amnistie internationale pour une analyse technique. Le Security Lab a alors confirmé la présence du logiciel espion Pegasus de NSO Group dans ses appareils.
Cette analyse a montré que le premier téléphone d’Aminatou Haidar contenait des traces d’une infection par Pegasus remontant à septembre 2018, et le second d’autres traces d’infection plus récentes, datant d’octobre et novembre 2021. Amnistie internationale a partagé les analyses techniques du téléphone d’Aminatou Haidar avec les chercheurs du Citizen Lab de l’Université de Toronto, qui ont confirmé de leur côté les infections par Pegasus d’octobre et novembre 2021.
Il ne fait aucun doute que la société civile au Maroc et au Sahara occidental continue d’être illégalement prise pour cible par le logiciel espion Pegasus, alors même qu’Amnistie internationale a dénoncé son utilisation largement abusive.
Ces attaques visant des défenseur·e·s des droits humains s’inscrivent dans le cadre d’un durcissement de la répression contre la dissidence pacifique au Maroc. Le fait que les outils de NSO Group soient ainsi détournés illustre l’incapacité des autorités marocaines à respecter et protéger les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
En outre, par son inaction face à l’utilisation abusive de ses outils, NSO Group manque à ses responsabilités en matière de droit humains, à savoir ne pas contribuer à des violations de ces droits, et n’a pas respecté le principe de diligence due en matière de droit humains afin de limiter les préjudices.
Amnistie internationale a fourni à NSO Group des preuves détaillées de ces atteintes aux droits humains à de multiples reprises, une première fois en octobre 2019 avec les cas de Maati Monjib et Abdessadak El Bouchattaoui ; puis en juin 2020 avec le cas du journaliste Omar Radi ; et enfin en juillet 2021 avec les révélations du Projet Pegasus, incluant le cas du journaliste marocain en exil Hicham Mansouri et de Claude Mangin, l’épouse de Naama Asfari, militant sahraoui incarcéré au Maroc.
Les autorités marocaines ont contesté les dernières conclusions, citant un « manque de preuves matérielles ». NSO Group n’avait pas répondu au moment de la publication de ce communiqué, mais par le passé il a refusé de confirmer ou d’infirmer le fait que les autorités marocaines utilisent leur technologie.
Depuis les premières révélations du Project Pegasus, des cibles dans différents pays comme la Palestine, le Salvador, la Pologne et la Belgique, ont été dévoilées, mettant en lumière l’ampleur des abus et des violations commis via le logiciel espion Pegasus de NSO Group.
« On ne peut pas faire confiance à des entreprises qui fabriquent des logiciels espions comme NSO Group pour s’autoréguler. Aussi nous demandons qu’un moratoire sur la vente, le transfert et l’utilisation des logiciels d’espionnage soit instauré sans délai, jusqu’à ce qu’un cadre réglementaire de protection des droits humains soit mis en place », a déclaré Danna Ingleton.
Complément d’information
Le Sahara occidental fait l’objet d’une querelle territoriale entre le Maroc, qui a annexé ce territoire en 1975 et revendique sa souveraineté sur celui-ci, et le Front populaire pour la libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro (Front Polisario), qui appelle à la création d’un État indépendant et a établi un gouvernement autoproclamé, en exil dans les camps de réfugié·e·s de Tindouf, dans le sud-ouest de l’Algérie.
Un accord conclu aux Nations unies en 1991, qui a mis fin aux affrontements entre le Maroc et le Front Polisario, requiert l’organisation d’un référendum afin que le peuple du Sahara occidental puisse exercer son droit à l’autodétermination, en choisissant l’indépendance ou l’intégration au Maroc. Le référendum ne s’est pas encore tenu. Ces dernières années, l’accès au Sahara occidental est de plus en plus difficile pour les observateurs extérieurs, alors que la situation des droits humains ne cesse de se détériorer.