Lettre aux ministres : vous ne devez pas déporter Mamadou Konaté
Messieurs les Ministres,
Amnistie internationale souhaite porter à votre attention le cas de Mamadou Konaté, demandeur d’asile et travailleur essentiel ivoirien, installé au Québec depuis 2016 et menacé d’expulsion le 30 septembre prochain. Par la présente, nous vous demandons de lever l’avis de déportation qui pèse contre M. Konaté.
Cette expulsion est la conséquence de l’avis de non-admissibilité qui pèse contre M. Konaté, un avis qui serait justifiée selon les services d’immigration canadiens par le fait que M. Konaté aurait été, il y a environ vingt ans, membre d’un groupe rebelle en Côte d’Ivoire, sans pour autant jamais prendre part aux activités de celui-ci. M. Konaté soutient avoir été enrôlé de force par ce groupe rebelle lors de la guerre civile ivoirienne de 2002 et avoir uniquement réalisé des tâches ménagères. L’avis de non-admissibilité paraît à nos yeux déraisonnables, en ce qu’il semble excessif de tenir un individu perpétuellement tributaire de son enrôlement de force, tout particulièrement lorsque celui-ci n’a été associé à aucun geste violent.
M. Konaté a également, lorsqu'il a tenté de fuir ce groupe, été emprisonné par le-dit groupe comme l’ont attesté des documents de la Croix-Rouge. Depuis lors, M. Konaté a connu un parcours migratoire particulièrement ardu entre plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest et a été victime de menaces de la part d’anciens membres du groupe rebelle. C’est sur cette base qu’Amnistie internationale a déposé un rapport d’expertise sur les risques auxquels M. Konaté pourrait faire face s’il est déporté en Côte d’Ivoire.
Nous renouvelons notre inquiétude quant à l'issue du cas de M. Konaté et appelle le gouvernement du Canada à agir rapidement pour mettre fin à sa déportation. Le Canada se doit de respecter ses obligations internationales, en particulier la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ratifiée en 1987. L'article 3.1 de cette Convention stipule que « Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. »
Amnistie internationale Canada francophone, se joint aux quelques 700 canadiennes et canadiens ayant envoyé un courriel au ministre de l’Immigration à ce sujet et appelle le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ainsi que le ministre de l’Immigration, des réfugiés et de la citoyenneté à annuler l’avis de déportation visant M. Konaté dans les plus brefs délais et à veiller à ce qu'il reçoive un traitement juste et équitable pour sa demande de permis de séjour temporaire, ainsi que pour sa demande de dispense ministérielle en ce qui concerne l’avis d’inadmissibilité.
Dès son arrivée au Canada, M. Konaté a pris part à l’activité économique canadienne, occupant plusieurs emplois et travaillant dans plusieurs régions du Québec. Au plus fort de la pandémie de COVID-19, M. Konaté a risqué sa vie en travaillant dans trois CHSLD de la zone rouge au Québec. Il a également dans le cadre de son emploi, contracté la COVID-19 et a été dans l’impossibilité de se soigner dû fait de son statut précaire. Comme beaucoup d’autres « anges gardiens », il a accompagné des personnes âgées vulnérables dans ces mois de peur et de détresse et a joué un rôle crucial dans l’effort collectif du Canada contre le virus.
En outre, le cas de Mamadou Konaté est révélateur d’un grave problème au sein du système d’immigration canadien au sujet du traitement des travailleuses et travailleurs migrantes à statut précaire et sans statut. Ces travailleuses et travailleurs demeurent bien souvent vulnérables et ne reçoivent pas la reconnaissance associée à l’ampleur de leur apport au Québec et au Canada.
Nous soutenons la défense des droits des personnes migrantes et réfugiées comme M. Konaté et nous reconnaissons que la meilleure façon d‘assurer que leurs droits humains soient respectés et de régulariser leur statut migratoire. Nous accueillons l’engagement du Canada de mettre en œuvre des moyens pour favoriser une plus grande régularisation des statuts des personnes sans statut et à statut précaire demeurant ici.
Amnistie internationale exhorte le Canada à annuler la déportation de M. Konaté et à lui octroyer un permis de séjour temporaire dans l’attente du traitement de sa demande dispense ministérielle en ce qui concerne l’avis d’inadmissibilité, une action à la hauteur de son dévouement et de son courage.
Votre action est l'occasion d'empêcher la déportation de Mamadou Konaté, mais aussi de vous engager à faire respecter les droits humains de toutes les personnes au Canada.
En vous remerciant par avance de l’attention que vous porterez à cette question.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de nos sentiments distingués.
France-Isabelle Langlois
Directrice générale
Amnistie internationale Canada francophone