Bénin - Togo. Le combat contre les groupes armés ne peut en rien justifier les violations des droits humains
Les autorités du Bénin et du Togo doivent veiller à ce que les droits humains soient respectés dans le cadre de la lutte contre les groupes armés, a déclaré Amnistie internationale le 27 juillet alors que des informations font état d’arrestations et détentions arbitraires et de violations des droits à la liberté de réunion pacifique et d’expression, et alors que le président Emmanuel Macron effectue une visite au Bénin les 27 et 28 juillet 2022.
Des personnes ont été arrêtées et placées en détention de façon arbitraire dans ces deux pays, notamment en raison de leur appartenance communautaire. Au Togo, au moins deux rassemblements politiques ont été interdits sous prétexte d’inquiétudes concernant la sécurité nationale, et le directeur d’un journal a été convoqué par une autorité administrative en raison de la une de son journal portant sur une éventuelle « bavure » de l’armée ayant causé la mort de sept enfants – il est par la suite apparu que cette hypothèse était juste –, selon les témoignages recueillis par Amnistie internationale.
« Les forces de sécurité commettent des violations des droits humains dans le cadre de la lutte contre les groupes armés au Bénin et au Togo, en particulier contre des membres du groupe ethnique peul. Ces violations des droits humains risquent de devenir systématiques et de s’aggraver, comme c’est le cas dans des pays voisins qui combattent les mêmes groupes armés depuis plusieurs années. Les autorités béninoises et togolaises doivent maintenant mettre un terme à cette situation, a déclaré Samira Daoud, directrice régionale pour l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Ouest à Amnistie internationale.
« La menace que représentent les groupes armés est également utilisée comme prétexte pour restreindre les droits civils et politiques. Dans ses prochains échanges avec les autorités béninoises, le président français Emmanuel Macron ne doit pas passer sous silence ces violations au nom d’une lutte mondiale commune contre le terrorisme, ou au nom des intérêts économiques et politiques de la France. »
Depuis la fin de l’année 2021, les régions du nord du Bénin et du Togo subissent des attaques de plus en plus fréquentes et meurtrières attribuées à Jamaat Nusrat al Islam wal Muslimin (JNIM), un groupe armé lié à Al Qaïda et formé au Mali qui s’étend désormais aux régions septentrionales de plusieurs pays du golfe de Guinée.
État d’urgence
Les autorités du Bénin et du Togo ont adopté des mesures exceptionnelles pour faire face aux attaques des groupes armés.
Le 13 juin 2022, l’état d’urgence sécuritaire a été instauré dans la région des Savanes, dans le nord du Togo, pour une durée de 90 jours, ce qui permet aux autorités d’interdire la circulation et les rassemblements de personnes sur la voie publique, et les policiers et les militaires peuvent interpeller toute personne dont le comportement peut laisser penser qu’elle est susceptible de commette une attaque, selon les propos tenus à la télévision nationale par le ministre de l’Administration territoriale.
Le 29 juin 2022, les autorités béninoises ont annoncé que tout refus ou toute abstention de collaborer avec les forces de sécurité et de défense et avec les autorités locales dans la lutte contre le terrorisme seront considérés comme un soutien aux groupes armés et traités comme tels.
« Comme l’a réaffirmé une résolution sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association adoptée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en juillet 2022, les mesures d’urgence doivent être nécessaires, proportionnées au risque évalué et appliquées de manière légale et non discriminatoire, même en temps de crise. Elles ne peuvent pas être légitimement utilisées pour justifier la répression de l’exercice des droits humains, en particulier dans un contexte où les personnes sont susceptibles d’être intimidées ou menacées par des groupes armés », a déclaré Samira Daoud.
Arrestations et détentions arbitraires
Dans le nord-est du Bénin, le 19 mars 2022, un homme de 70 ans a été arrêté par la police dans la ville de Tanguiéta, dans le département de l’Atacora qui borde le Burkina Faso. Il a été libéré près de deux semaines plus tard sans avoir été inculpé. Il a tout d’abord été emmené à Cotonou, sur la côte sud, à 587 kilomètres de Tanguiéta, ce qui a nécessité plusieurs jours de trajet. Puis il a été détenu pendant une semaine dans cette ville.
« Il était venu à Tanguiéta pour amener quelqu’un à l’hôpital. Lorsqu’il a quitté l’hôpital, la police est arrivée et lui a demandé s’il était peul. Il a répondu par l'affirmative à cette question, et il a été emmené avec plusieurs autres hommes arrêtés le même jour, a déclaré l’un de ses proches, dont l’anonymat a été préservé pour protéger sa sécurité.
« Pendant le trajet, les policiers les ont frappés dans le dos à coups de crosse de fusil. Ils ont voyagé de nuit et sont restés enfermés pendant la journée. L’un des policiers leur a dit que ce sont les Peuls qui tuent les policiers. »
Au Togo, plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées de façon arbitraire le 16 mai 2022 dans la ville de Timbou, dans la région des Savanes, en raison de leur appartenance au groupe ethnique peul, selon le témoignage de deux personnes interrogées par Amnistie internationale. Elles ont été détenues par les militaires de Timbou, Dapaong, Biankouri et Cinkassè, sans accès à un avocat, photographiées et libérées les 20 et 21 mai 2022 sans inculpation.
À Kpinkankandi, un homme a été arrêté à son domicile par des soldats dans la nuit du 24 mai 2022 et placé en détention à Dapaong, où il se trouve toujours.
« Les militaires lui ont dit qu’une personne recherchée était entrée chez lui. Ils l’ont menotté et placé dans une cellule à la gendarmerie de Mandouri, puis transféré à la gendarmerie du Borgou, où il se trouve toujours, a déclaré un de ses proches.
« Nous ne comprenons pas pourquoi il a été arrêté, car aucun document ne nous a été communiqué. Un de nos voisins a été arrêté dans les mêmes conditions et il est toujours en détention à Dapaong. »
Un tournant pour les rassemblements pacifiques et le droit à la liberté d’expression
Plusieurs rassemblements de partis politiques de l’opposition ont été interdits ces derniers mois par les autorités togolaises qui ont utilisé le prétexte de la sécurité nationale, alors même que des rassemblements du parti au pouvoir ont été autorisés.
Le 22 juin 2022, le ministère de la Sécurité et de la Protection civile a interdit le rassemblement programmé d’une coalition de partis de l’opposition, déclarant que « le contexte sécuritaire sous-régional et national très préoccupant marqué notamment par la volatilité et une imprévisibilité notoire » risquait de compromettre les efforts en cours pour préserver l’ordre public et la sécurité nationale. Le 29 juin 2022, le préfet d’Agoe-Nyivé a interdit un rassemblement programmé d’un parti d’opposition, invoquant le « contexte sécuritaire sous-régional et national actuel et la nécessité de préserver la sécurité et l’ordre public ».
Le droit à la liberté d'expression est également menacé. Le 11 juillet 2022, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication du Togo a convoqué le directeur de publication du quotidien Liberté à la suite de la une du journal portant sur une possible « bavure » militaire en ce qui concerne la mort de sept enfants du village de Margba le 9 juillet 2022. L’armée a par la suite reconnu sa responsabilité quant à la mort de ces enfants qui ont été pris pour cible par un aéronef qui les a confondus avec « une colonne de djihadistes en mouvement ».
Au Bénin, deux journalistes ont été arrêtés non loin du parc national de la Pendjari alors qu’ils enquêtaient sur l’organisation African Parks. Soupçonnés d’espionnage, ils ont été arrêtés et détenus pendant quatre jours en dehors de tout cadre légal.
« Le Bénin et le Togo se trouvent à un tournant, car ils sont pris pour cible de façon croissante par des groupes armés. La communauté internationale, notamment la France, doit insister auprès de ces deux pays sur la nécessité de respecter leurs obligations internationales en ce qui concerne les droits humains et le droit humanitaire, et de veiller à ce que la situation en matière de sécurité ne donne pas lieu aux pratiques arbitraires/abusives observées ces derniers mois », a déclaré Samira Daoud.
Complément d’information
Le Bénin a subi depuis la fin de l’année 2021 près de vingt attaques menées par des groupes armés, selon le vice-président, dont les propos ont été repris par l’Agence France-Presse, mais les autorités n’ont fait état que de certaines de ces attaques. Le Togo a quant à lui subi au moins quatre attaques visant des membres des forces de défense et de sécurité et des civil·e·s depuis novembre 2021.