Le Canada doit reconnaître l’occupation illégale par Israël des Territoires palestiniens occupés
Le très honorable Justin Trudeau
Premier ministre du Canada
80 rue Wellington
Ottawa, Ontario
K1A 0A2
L’honorable Marc Garneau
Ministre des Affaires étrangères
125 Sussex Drive
Ottawa, Ontario
Objet : Amnistie internationale demande au gouvernement du Canada de reconnaître l’occupation illégale par Israël des Territoires palestiniens occupés, d’agir dès maintenant pour mettre fin aux violations des droits humains, et de faire respecter le droit international
Monsieur le Premier Ministre Trudeau,
Monsieur le Ministre Garneau,
Nous souhaitons vous faire part de notre profonde inquiétude quant aux violences récentes entre Israël et les Territoires palestiniens occupés, incluant Jérusalem-Est et Gaza. En quelques semaines, la situation est passée de la répression de manifestants palestiniens pacifiques à Jérusalem-Est à un véritable conflit armé entre les forces israéliennes et des groupes palestiniens armés à Gaza.
Même si un cessez-le-feu a pris effet le 21 mai 2021 entre les autorités israéliennes et le Hamas, cela ne permettra ni de rendre justice aux victimes ni de résoudre le cycle de la violence dans les Territoires palestiniens occupés. Un cessez-le-feu ne doit pas ramener un statu quo inacceptable.
L’escalade de cette récente vague de violence n’est pas sans rappeler le schéma des terribles hostilités de 2008, 2012 et 2014. À défaut de s’attaquer aux causes profondes de cette violence – le blocus illégal de Gaza, la dépossession et la répression des Palestiniens, depuis longtemps et en toute impunité – on connaîtra d’autres cycles dévastateurs de mortalités civiles et de destruction.
Le gouvernement canadien doit, de toute urgence, poursuivre toutes les mesures diplomatiques actuellement à sa disposition, y compris lors de la session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme du 27 mai 2021, afin d’établir les responsabilités de ce cycle récurrent d’impunité et de violations des droits en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés.
LA SESSION DU CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME
Il est essentiel que le Canada s’implique activement lors de cette session extraordinaire afin de s’assurer que le Conseil des droits de l’homme réponde à l’appel du Haut-Commissaire pour des enquêtes rigoureuses et indépendantes, parallèlement et en complément de l’enquête indépendante en cours de la CPI. Un mécanisme d’enquête du Conseil des droits de l’homme doit être mobilisé afin d’assurer la collecte immédiate et la préservation des preuves nécessaires à établir les responsabilités, preuves qui pourront être utilisées par la Cour pénale internationale (CPI) et d’autres mécanismes de justice internationale, et même au niveau national. Ce mécanisme devrait avoir la capacité de coopérer avec la CPI, ainsi qu’avec d’autres enquêtes ou poursuites futures menées par des instances nationales, régionales ou internationales de justice.
SOUTENIR L’ENQUÊTE DE LA CPI
Pour Gaza, le nombre de morts s’élève à plus de 248 Palestiniens, dont 66 enfants, et à 12 Israéliens, dont deux enfants. Plus de 40 000 Palestiniens sont hébergés dans des écoles des Nations unies à Gaza pour se protéger des missiles. Au moins 14 Palestiniens de Cisjordanie qui manifestaient contre la violence à Gaza et le déplacement forcé à Jérusalem-Est ont été tués par les forces de sécurité israéliennes, et plusieurs autres ont été arrêtés.
Le lancement par Israël de missiles et de bombes sur des zones extrêmement peuplées de Gaza, leur énorme impact sur des populations civiles, la destruction de propriétés, et le bombardement de bureaux de médias internationaux, constituent des crimes de guerre. Les tirs de roquettes par des groupes armés palestiniens dans des zones urbaines israéliennes constituent aussi une violation du droit international.
Le 10 mai dernier, Amnistie internationale a documenté une tendance inquiétante des forces israéliennes qui ont eu recours à une force abusive et inconsidérée à l’égard de manifestants palestiniens pacifiques près de la mosquée d’al-Aqsa et dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est occupée. Le 12 mai, Amnistie internationale a condamné les crimes de guerre et d’autres violations du droit humanitaire international à Gaza et en Israël, tant par les forces israéliennes que par les groupes armés palestiniens – dont des tirs de roquettes indiscriminés par les groupes armés palestiniens, et le ciblage délibéré d’objectifs civils et la destruction injustifiée de propriétés par les forces israéliennes. Craignant un autre bain de sang de populations civiles et d’autres destructions de maisons et d’infrastructures, Amnistie internationale demandait une action urgente du Conseil de sécurité des Nations unies, incluant un embargo total des ventes d’armes à Israël, au Hamas, et à d’autres groupes armés palestiniens.
Amnistie internationale demande qu’Israël s’attaque aux causes profondes de cette dernière flambée de violence, dont l’impunité de longue date face aux crimes de guerre et autres graves violations du droit international, de même que l’expansion continue et illégale des colonies de peuplement, le blocus de Gaza, et les évictions forcées et la dépossession de Palestiniens, comme ce qui se passe actuellement à Sheikh Jarrah. Le 17 mai, Amnistie internationale a condamné les attaques israéliennes sur des bâtiments résidentiels, qui ont tué des familles entières et causé des destructions gratuites de propriétés civiles – ce qui pourrait constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Amnistie internationale demande à la CPI d’enquêter de manière urgente sur ces attaques ainsi que sur les tirs de roquettes sans discernement par les groupes armés palestiniens dans les zones civiles d’Israël, et elle demande aux États d’envisager d’exercer la compétence universelle à l’égard de ceux qui ont commis des crimes de guerre.
La CPI doit enquêter sur ces attaques illégales. En mars de cette année, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a lancé une enquête officielle sans précédent sur des crimes en droit international commis dans les Territoires palestiniens occupés. C’est là un véritable espoir pour des milliers de victimes d’avoir enfin accès à la justice, à la vérité et à la réparation, après des décennies d’impunité pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Nous demandons à votre gouvernement de soutenir l’enquête officielle de la CPI et de lui demander d’enquêter urgemment sur les récentes attaques à Gaza.
S’ATTAQUER À L’OCCUPATION ILLÉGALE
Le Canada doit finalement reconnaître le caractère illégal de l’occupation, la discrimination institutionnalisée envers les Palestiniens vivant dans les Territoires occupés et la totale impunité avec laquelle Israël a pu agir.
Depuis 1967, la construction d’Israël et l’expansion des colonies de peuplement illégales sur des terres palestiniennes occupées ont été l’élément déclencheur des violations massives des droits humains par les forces d’occupation. Au cours des 50 dernières années, Israël a démoli des dizaines de milliers de propriétés palestiniennes et déplacé de larges pans de populations pour construire des maisons et des infrastructures destinées à installer illégalement ses propres populations dans les Territoires occupés. Il a aussi détourné les ressources naturelles palestiniennes comme l’eau et les terres agricoles au profit des colonies de peuplement.
La création et l’expansion des colonies dans les Territoires palestiniens créent une brèche dans le droit humanitaire international et constituent un crime de guerre. Pourtant, malgré de nombreuses résolutions des Nations unies, Israël a continué de s’approprier des terres palestiniennes et de soutenir au moins 600 000 colons vivant en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est. Amnistie internationale demande encore une fois au Canada de respecter ses obligations en vertu du droit international, de cesser le soutien financier et l’expansion des colonies et d’interdire sur son territoire les produits qui viennent de ces colonies.
Les violences récentes à Gaza et les manifestations à Jérusalem-Est reflètent l’impact de l’occupation, depuis 54 ans, par l’une des forces militaires les mieux équipées au monde, d’un peuple qui a le droit de mettre fin à une occupation prolongée et illégale. Il n’y aura pas de solution juste et durable à cette violence tant que ces données fondamentales ne seront pas reconnues.
Le Canada détient le record des votes les plus tièdes à l’égard de l’occupation israélienne à l’Assemblée générale des Nations unies. La discrète critique d’Israël par le ministre des Affaires étrangères Marc Garneau, dans sa dernière déclaration sur les violences à Gaza, l’incapacité à s’attaquer aux causes profondes de ce dernier bain de sang, tout cela ne peut pas continuer. Il est temps que le Canada demande à Israël de respecter les mêmes standards internationaux en matière de droits humains que le reste du monde.
Nous vous demandons d’agir maintenant et de dénoncer publiquement les crimes de guerre et autres graves violations des droits humains commis par les autorités d’Israël, y compris l’expansion illégale des colonies de peuplement, le blocus de Gaza, et la dépossession des Palestiniens de Sheikh Jarrah.
METTRE FIN AU BLOCUS DE GAZA
Deux millions de Palestiniens qui vivent dans l’étroite bande de Gaza ont été isolés du monde extérieur par le blocus israélien total (terrestre, maritime et aérien) instauré depuis 14 ans – un acte interdit selon la quatrième Convention de Genève, qui a contribué à la détérioration des conditions humanitaires et poussé au chômage 45% de la population, l’un des taux les plus élevés au monde.
La seule source d’eau potable de Gaza – un aquifère souterrain – est pratiquement devenue non potable. Les habitants de Gaza n’ont de l’électricité qu’entre six et dix heures par jour. Depuis le début du blocus, le système de santé de Gaza a été privé d’équipements, de médicaments, et de personnel qualifié. Il s’effondrait déjà suite aux ravages de la pandémie de Covid-19. Maintenant, il peine à traiter les plus de 2 000 Palestiniens blessés lors des violences récentes.
Le Canada doit se conformer au droit international et, en tant que proche allié d’Israël, il a la responsabilité de pousser Israël à lever le cruel blocus de Gaza, qu’Amnistie internationale a largement documenté. Israël doit être tenu responsable de son occupation de Gaza et du cycle de violence qui en a résulté.
REVOIR L’ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE CANADA-ISRAËL (ALECI)
Dans notre déclaration et notre lettre commune au Comité sénatorial permanent sur les affaires étrangères et le commerce international concernant l’adoption du projet de loi C-85 en 2019 – projet de loi qui visait à amender la Loi de mise en œuvre de l’accord de libre-échange Canada – Israël, nous demandions au gouvernement canadien d’agir pour s’assurer que les biens produits par les colonies soient interdits au Canada et que les entreprises ne bénéficient pas des violations des droits humains alimentées par 50 ans d’occupation.
Malgré ces recommandations, les amendements au projet de loi c-85 n’ont pas introduit de distinction entre les produits fabriqués dans les colonies illégales de peuplement et les autres produits. Amnistie internationale reste très préoccupée par les impacts sur les droits humains de cet accord commercial, et plus particulièrement de son impact sur l’expansion et la viabilité des colonies illégales de peuplement en terre palestinienne.
En adoptant le projet de loi C-85, sans reconnaître ni s’attaquer à la réalité de l’occupation des Territoires palestiniens occupés (TPO), le gouvernement canadien ne fait pas que cautionner la construction illégale de maisons et d’infrastructures de colonies sur le territoire palestinien, il contribue activement à une économie dont la prospérité est basée sur la présence et même l’expansion d’entreprises israéliennes et internationales dans les colonies. Cet « entrepreneuriat de colonies » qui compte sur des ressources palestiniennes illégalement appropriées, dont la terre, l’eau et les mines, pour produire des biens qui seront exportés et vendus pour un profit privé, est illégal et viole les droits des Palestiniens et des Palestiniennes des TPO.
Les actions qui reconnaissent comme légales les colonies dans les TPO et/ou qui fournissent des moyens pour les soutenir se font en violation de la quatrième Convention de Genève que le Canada se doit de respecter.
AGIR MAINTENANT POUR METTRE FIN AU CYCLE DES VIOLATIONS ET DE L’INJUSTICE
La pression internationale est essentielle pour mettre fin aux violations des droits qui ont lieu dans les Territoires palestiniens occupés. Plus de 50 ans après le début de l’occupation israélienne, les condamnations officielles et la diplomatie discrète ont prouvé leur inefficacité à stopper les violations à l’encontre des Palestiniens.
Nous souhaiterions vous rencontrer, dès que cela vous sera possible, pour partager avec vous les préoccupations et recommandations d’Amnistie internationale sur les obligations juridiques internationales du Canada.
Merci de porter attention à cette situation urgente.
Sincèrement,
Ketty Nivyabandi et France-Isabelle Langlois
Secretary General / Directrice générale
Amnesty International Canada (English speaking) / Amnistie internationale Canada francophone