Il faut mettre un terme aux homicides et aux violations des droits humains en cette période électorale
Les autorités ougandaises doivent prendre des mesures afin de faire barrage immédiatement à la vague de violations des droits humains et d’exactions commises dans le contexte de la campagne électorale, a déclaré Amnistie internationale le 14 décembre 2020, à un mois du jour de l’élection.
Les électeurs et électrices dans ce pays d’Afrique de l’Est se rendront aux urnes le 14 janvier 2021 pour élire un·e président·e, des député·e·s et des représentant·e·s du gouvernement local, dans le contexte de la période électorale la plus violente de toute l’histoire de l’Ouganda.
« Le jour des élections approchant à grande vitesse, il est impératif que les autorités ougandaises mettent fin au recours à la force excessive par les forces de sécurité, aux arrestations et détentions arbitraires et aux attaques contre les journalistes. Elles doivent veiller à ce que les responsables présumés soient traduits en justice et à ce que les victimes aient accès à la justice et à des recours utiles », a déclaré Deprose Muchena, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.
Des dizaines de manifestant·e·s tués
La campagne électorale est marquée par des homicides, des passages à tabac et la dispersion violente de partisans de l’opposition à l’aide de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc. Depuis l’ouverture de la campagne il y a cinq semaines, le 9 novembre, on recense des dizaines de blessés et des dizaines de morts du fait des violences liées aux élections, la plupart abattus par la police et d’autres forces de l’ordre, dont des individus armés non identifiés, habillés en civil.
Le président Yoweri Museveni a publiquement affirmé que 54 personnes ont été tuées les 18 et 19 novembre lors des manifestations et des troubles qui ont suivi l’arrestation de Robert Kyagulanyi, plus connu sous le nom de Bobi Wine, candidat de l’opposition à l’élection présidentielle et musicien célèbre.
« Que 54 manifestant·e·s aient été tués par la police et des individus en civil non identifiés en deux jours seulement devrait faire prendre conscience au monde que le pire reste à venir à l’approche du jour du scrutin, a déclaré Deprose Muchena.
« L’Union africaine et les Nations unies doivent faire davantage pression sur le pouvoir ougandais pour qu’il mette fin aux actes de répression politique et respecte les droits humains avant, pendant et après les élections. »
Au pouvoir depuis 34 ans, le président Yoweri Museveni brigue un sixième mandat. Parmi les candidats dans la course présidentielle figurent Robert Kyagulanyi, de la Plateforme de l'unité nationale (NUP), l’ancien commandant de l’armée à la retraite, le général Mugisha Muntu de l’Alliance pour la transformation nationale (ANT), Patrick Oboi Amuriat du Forum pour un changement démocratique (FDC) et Norbert Mao du Parti démocrate (DP).
La pandémie de COVID-19 sert de prétexte à la répression
Si de nombreux candidat·e·s de l’opposition au scrutin présidentiel ont été soumis à des formes de violence imputables à la police au fil de la campagne, il semble que Robert Kyagulanyi et les partisans de la Plateforme de l'unité nationale (NUP) subissent les pires traitements. Ils se sont fait tirer dessus, ont reçu des grenades lacrymogènes, ont été frappés et détenus de manière arbitraire, et se sont vus à maintes reprises refuser l’accès à des routes goudronnées, à des lieux publics et à des hôtels, dans de nombreuses régions du pays.
Le 1er décembre, la police a ouvert le feu sur la voiture de Robert Kyagulanyi, ce qui l’a amené à suspendre brièvement sa campagne. Il porte désormais un chapeau renforcé et un gilet pare-balles depuis qu’il a repris ses activités électorales.
Les autorités justifient l’usage de la force en invoquant la nécessité de garantir le respect des mesures prises pour endiguer la pandémie de COVID-19. Toutefois, des éléments prouvent que la législation ougandaise est utilisée de manière disproportionnée pour retreindre les rassemblements de l’opposition.
« S’il est raisonnable que les autorités ougandaises, comme d’autres de par le monde, prennent des mesures afin de stopper la propagation de la COVID-19, il est manifeste qu’en Ouganda, les réglementations liées au virus sont instrumentalisées et s’appliquent abusivement aux opposant·e·s à des fins de répression politique, en vue de restreindre leurs activités et de limiter leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique », a déclaré Deprose Muchena.
Amnistie internationale a répertorié de nombreux cas où les sympathisants du parti au pouvoir, le Mouvement national de résistance (NRM), contrairement à ceux de la Plateforme de l'unité nationale (NUP) et d’autres partis, se sont rassemblés très nombreux, sans que la police n’intervienne.
Lors des dernières élections en 2016, la police s’est appuyée sur la Loi relative à la gestion de l’ordre public (POMA), qui lui a conféré des pouvoirs excessifs s’agissant d’interdire les rassemblements publics et les manifestations, pour disperser les rassemblements de l’opposition d’une manière sélective et partisane. Le 26 mars 2020, la Cour constitutionnelle a déclaré illégales et inconstitutionnelles les dispositions qui confèrent à la police ces pouvoirs étendus.
Des discours inquiétants
Outre les niveaux élevés de violence imputables à la police et à d’autres forces de l’ordre, Amnistie internationale est préoccupée par les discours menaçants de hauts représentants du gouvernement. Le ministre de la Sécurité, le général Elly Tumwine, a déclaré à Kampala au lendemain des homicides commis par la police : « La police a le droit de vous tirer dessus et de vous tuer si vous perpétrez un certain niveau de violence. Puis-je répéter ? La police a le droit, ou toute autre organe de sécurité, si vous atteignez un certain degré de violence, ils ont le droit. »
De son côté, le président Yoweri Museveni, prenant la parole lors d’un rassemblement politique à Kotido, dans le nord de l’Ouganda, a mis en garde les citoyen·ne·s contre le fait de manifester, assurant qu’ils seraient « écrasés ». Il verse aussi de plus en plus dans la rhétorique anti-LGBTI, ce qui est très inquiétant au regard des attaques qui ont déjà ciblé des personnes homosexuelles en Ouganda. « Certains de ces groupes sont utilisés par des étrangers, les homosexuels et d’autres groupes à l’extérieur qui n’aiment pas la stabilité et l’indépendance de l’Ouganda. Cependant, ils auront ce qu’ils cherchent », a-t-il déclaré à Kotido.
Attaques contre des journalistes
En outre, Amnistie internationale s’inquiète du regain d’actes d’intimidation, de harcèlement et d’attaques contre les journalistes à l’approche des élections.
Le Réseau des droits humains pour les journalistes (HNRJ) – Ouganda a recensé plus de 100 cas d’atteintes aux droits humains visant des journalistes, dont des cas de violences policières, notamment lorsqu’ils couvrent l’actualité des candidats politiques. Selon le Réseau, des journalistes ont été aspergés de gaz lacrymogène, alors qu’ils se trouvaient à bord de véhicules identifiés, portant le nom des médias pour lesquels ils travaillent.
L’Association des correspondants étrangers en Ouganda a signalé au moins trois cas d’agressions policières contre ses membres. D’après l’association, qui rassemble des journalistes ougandais et étrangers travaillant pour des médias internationaux, le 3 novembre, un journaliste international a été aspergé de gaz poivre au visage par un policier. Deux jours plus tard, un policier a tiré au visage d’un journaliste ougandais qui travaille pour les médias internationaux et le 1er décembre, un journaliste étranger a été pris pour cible et touché à bout portant par une balle en caoutchouc.
Le 10 décembre, le Conseil des médias a annulé l’accréditation de tous les journalistes étrangers et les a invités à demander et obtenir un « pass spécial médias » avant le 31 décembre. Tous les médias et les journalistes en Ouganda doivent aussi faire une nouvelle demande d’accréditation avant le 31 décembre.
Le 27 novembre, trois journalistes étrangers ont été arrêtés et expulsés, alors qu’ils avaient été accrédités par le Conseil des médias avant d’entrer dans le pays.
« Les journalistes en Ouganda sont en butte à un niveau de violence sans précédent et à des restrictions pour la couverture de cette campagne électorale, alors que les autorités avaient auparavant permis une couverture médiatique internationale. Cette vague d’intimidation, de harcèlement et de violence visant les journalistes doit cesser, a déclaré Deprose Muchena.
« À un mois du scrutin, il n’est pas trop tard pour que les autorités ougandaises inversent la tendance et assurent le respect des droits humains de tous. Il n’est pas non plus trop tard pour que la région, le continent et la communauté internationale dans son ensemble dénoncent la répression actuellement mise en œuvre contre les droits humains en Ouganda et engagent le gouvernement à respecter, protéger, promouvoir et réaliser les droits de ses concitoyen·ne·s. »