« Il n’y a pas de filet de sécurité » : les conséquences du confinement pour les travailleuses et travailleurs du sexe
La pandémie de COVID-19 a eu de graves conséquences pour les travailleuses et travailleurs du sexe du monde entier, et les gouvernements ne font pas assez pour les protéger.
À l’occasion de la Journée internationale des travailleuses et travailleurs du sexe, nous nous sommes entretenus avec Kate McGrew, artiste, militante et travailleuse du sexe qui vit en Irlande, qui nous a expliqué comment elle a vécu le confinement. Kate est la directrice de l’organisation SWAI (Sex Workers’ Alliance Ireland), qui a mis en place un fonds de solidarité pour venir en aide aux travailleuses et travailleurs du sexe pendant la pandémie. Elle est également co-responsable du Comité International pour les Droits des travailleuses et travailleurs du sexe en Europe (International Committee on the Rights of Sex Workers in Europe - ICRSE).
Quelles sont les lois relatives au travail du sexe en Irlande ?
En 2017, l’Irlande a adopté une loi érigeant en infraction l’achat de services sexuels. Les législations qui transfèrent la responsabilité pénale du vendeur à l’acheteur sont parfois qualifiées de « modèle nordique ». D’autres lois en Irlande présentent des dispositions qui mettent les travailleuses et travailleurs du sexe en danger : il est par exemple illégal de travailler en binôme ou en groupe.
Quelles sont les difficultés auxquelles ont fait face les travailleuses et travailleurs du sexe en Irlande pendant la pandémie ?
En raison du confinement et des mesures de distanciation physique, il est impossible d’exercer le travail du sexe en personne, ce qui a laissé de nombreuses personnes sans revenus. La plupart des travailleuses et travailleurs du sexe sont déjà exclus des systèmes de protection sociale, ce qui signifie que ces personnes ne sont pas éligibles à la subvention d’urgence mise en place par le gouvernement irlandais.
Il n’y a pas de filet de sécurité pour nous. Nous n’avons rien pour nous aider à prendre en charge nos besoins élémentaires et ceux de nos familles ou pour nous aider à payer notre loyer. Les autorités ont indiqué que les personnes travaillant dans l’économie informelle, y compris celles en situation irrégulière, seraient éligibles à la subvention. Mais les travailleuses et travailleurs du sexe avec qui je me suis entretenue et qui ont essayé de la demander se sont heurtés à de nombreux obstacles.
À quels types d’obstacles sont confrontés les travailleuses et travailleurs du sexe ?
Pour obtenir la subvention d’urgence, il faut avoir un statut de travailleuse ou travailleur indépendant ou au moins disposer d’un numéro de sécurité sociale, ce qui exclut un grand nombre de travailleuses et travailleurs du sexe.
Certaines personnes ont obtenu la subvention, puis ont reçu l’ordre de la rembourser car elles ne payaient pas d’impôts. D’autres ont dû justifier des raisons de la perte de leurs revenus, mais la plupart du temps, ces personnes ne souhaitent pas révéler que ce sont des travailleuses et travailleurs du sexe. Cette réticence est liée à la stigmatisation et à la crainte de répercussions judiciaires et migratoires.
Quelles sont les potentielles répercussions en ce qui concerne la situation au regard de la législation sur l’immigration ?
Un grand nombre de personnes exerçant le métier du sexe en Irlande sont des personnes migrantes en situation irrégulière. Le gouvernement a annoncé un « pare-feu » entre les services de contrôle de l’immigration et les services de protection sociale, afin de permettre aux personnes de bénéficier de cette subvention d’urgence, mais nous avons été informés que cela n’était pas toujours mis en œuvre.
Les travailleuses et travailleurs du sexe migrants en situation irrégulière vivent davantage dans la crainte maintenant. Malheureusement, ces personnes essaient par conséquent de ne pas attirer l’attention, même si elles ont besoin de soins ou de services sociaux.
Les travailleuses et travailleurs du sexe sont victimes d’un harcèlement et d’une stigmatisation considérables, et avec la COVID-19, nous nous sentons plus que jamais surveillés.
Est-il possible pour les travailleuses et travailleurs du sexe de travailler virtuellement ?
Le travail virtuel n’est pas possible pour bon nombre de travailleuses et travailleurs du sexe. De nombreuses femmes qui travaillent normalement dans la rue ne disposent tout simplement pas des outils technologiques nécessaires, elles n’ont pas de smartphones. Ou alors elles vivent avec d’autres personnes et n’ont pas l’intimité nécessaire. D’autres craignent de ne pas être en sécurité si elles travaillent en ligne et ont peur que les images soient rendues publiques.
La charge financière pousse les travailleuses et travailleurs du sexe à prendre des risques. Certaines travailleuses du sexe sont contraintes de vivre de nouveau avec d’anciens partenaires violents par exemple, car elles ne peuvent pas payer leur loyer ou elles ont été menacées d’expulsion.
Certaines doivent envisager de travailler même si c’est dangereux. Les travailleuses et travailleurs du sexe sont également soumis à une forte pression des clients : certaines personnes nous ont dit que des clients les avaient poussées à travailler en les menaçant de ne pas revenir après la pandémie.
Quelles sont les solutions proposées par les travailleuses et travailleurs du sexe, tant pour la durée de la pandémie que pour la période qui suivra ?
Tout d’abord, nous avons besoin de pouvoir bénéficier d’une aide d’urgence, afin que personne ne soit forcé à travailler lorsque c’est dangereux.
Mais cette situation a mis en lumière le fait que même une pandémie ne peut pas mettre fin à la demande de services sexuels. J’espère que cela permettra aux gens de comprendre plus clairement le danger auquel nous expose la criminalisation de tout aspect du travail du sexe et les nombreux risques que nous prenons pour survivre.
Nous devons nous demander comment nous pouvons protéger les travailleuses et travailleurs du sexe, en commençant par abroger la section de la Loi pénale de 2017 relative aux infractions à caractère sexuel qui érige en infraction l’achat de services sexuels, ainsi que les peines alourdies pour les personnes travaillant en binôme ou en groupe.
Plus l’existence des travailleuses et travailleurs du sexe sera reconnue, plus il sera facile de lutter contre les fausses informations et les stéréotypes dont nous faisons l’objet.
De manière générale, les autorités doivent fournir des alternatives viables aux personnes qui travaillent en marge de la société et qui en viennent au travail du sexe. Mais elles doivent également accepter que certaines personnes préféreront le travail du sexe à d’autres emplois, ou que c’est le seul moyen pour certaines personnes de gagner leur vie en raison de leur situation personnelle.
La pandémie a-t-elle eu des retombées positives ?
La réponse au fonds de solidarité mis en place par SWAI a été incroyable. Le nombre de personnes ayant contribué à la campagne de financement, parmi lesquelles des travailleuses et travailleurs du sexe et des organisations alliées, a été formidable. On a observé un phénomène d’entraide entre les travailleuses et travailleurs du sexe. J’ai participé l’autre jour, avec d’autres travailleuses et travailleurs du sexe comédiens à des événements de collecte de fonds en faveur du fonds de solidarité. C’était génial et nous allons continuer à organiser des choses de ce type.
Mais la pandémie nous donne également l’occasion de mettre en lumière certaines des questions que j’ai évoquées. Les gens doivent comprendre que notre moyen de subsistance est notre travail. Nous ne disons pas qu’il faut que cela leur plaise, mais c’est un lien vital pour certaines personnes, nous devons donc faire en sorte que ce soit aussi sûr que possible.
Nous devons trouver des moyens de veiller à ce que les personnes qui ne souhaitent pas devenir travailleuse ou travailleur du sexe n’y soient pas forcées, en se concentrant sur les inégalités structurelles et en proposant des sources de revenus alternatives viables. Mais nous devons également assurer autant que possible la sécurité des personnes qui souhaitent mener ce travail et les protéger de l’exploitation.
Complément d’information
L’organisation SWAI offre aux travailleuses et travailleurs du sexe en Irlande un soutien sans jugement, des informations et des contacts concernant leurs droits, l’accès à la santé et la législation relative à l’immigration, et lutte contre la stigmatisation et la discrimination dont sont victimes les travailleuses et travailleurs du sexe. L’ICRSE regroupe des organisations dirigées par des travailleuses et travailleurs du sexe et des organisations alliées en Europe et en Asie centrale.
Les membres de l’ICRSE ont surveillé les conséquences de la COVID-19 pour les travailleuses et travailleurs du sexe et ont appelé les États à respecter leurs obligations en matière de droits humains et à inclure les travailleuses et travailleurs du sexe dans les mesures destinées à soutenir et protéger les personnes pendant la pandémie et la phase d’assouplissement des mesures de confinement.
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