Les réfugié·e·s rohingyas doivent participer aux décisions qui ont des incidences sur leur vie
Les réfugié·e·s rohingyas au Bangladesh doivent avoir le droit de participer aux décisions qui ont des incidences sur leur vie, et de s’exprimer en leur propre nom, a déclaré Amnistie internationale le 15 septembre à l’occasion de la publication d’un nouveau document.
Ce document, intitulé Let us speak for our rights, attire l’attention sur le fait que l’exclusion du processus de prise de décisions a des répercussions sur les droits humains des réfugié·e·s rohingyas, tant en ce qui concerne les libertés d'expression, de réunion et de circuler librement, que l’accès aux soins de santé et à l’éducation. Ce document lance également un appel pour qu’une enquête exhaustive et impartiale soit ouverte sur les allégations selon lesquelles des réfugié·e·s rohingyas ont été soumis à des exécutions extrajudiciaires.
« Pendant des décennies, les Rohingyas ont été persécutés et soumis à une discrimination au Myanmar, et des centaines de milliers d’entre eux ont été contraints de s’enfuir de chez eux en raison des crimes contre l’humanité commis contre eux. À présent, trois ans se sont écoulés depuis leur déplacement, et ils continuent de souffrir et d’être empêchés de défendre leurs droits, a déclaré David Griffiths, directeur du bureau du secrétaire général à Amnistie internationale.
« Les autorités bangladaises ont certes pris de nombreuses décisions positives pour aider les réfugié·e·s rohingyas, mais les décisions manquent de transparence, et les Rohingyas sont presque totalement exclus des processus décisionnels. Il est nécessaire qu’une politique transparente incluant la voix des Rohingyas soit mise en place afin que les droits fondamentaux de ces personnes soient correctement protégés. »
Amnistie internationale demande également à la communauté internationale d’apporter son soutien aux autorités bangladaises et de travailler avec elles pour mettre en place cette politique dans le cadre de la coopération et de l’aide internationales visant à protéger les réfugié·e·s rohingyas.
Droit à la liberté et droit de circuler librement
En mai, les autorités bangladaises ont emmené plus de 300 réfugié·e·s rohingyas à Bhashan Char, une île reculée entièrement formée par dépôt de limon, dont l’habitabilité n’a pas encore été évaluée par les Nations unies. Ces réfugiés faisaient partie d’un groupe d’environ 1 400 hommes, femmes et enfants rohingyas qui ont risqué leur vie en prenant la mer, dans des conditions très dangereuses, pour rejoindre la Malaisie. Ils sont retournés dans les eaux côtières du Bangladesh après avoir été refoulés et renvoyés en mer par les autorités malaisiennes.
La marine nationale bangladaise a secouru leur bateau et l’a remorqué jusqu’à cette île, où le pays a proposé de réinstaller quelque 103 200 autres réfugié·e·s rohingyas.
Amnistie internationale a parlé avec deux femmes et un homme rohingyas à Bhashan Char et avec huit proches de 13 réfugié·e·s rohingyas qui se trouvent actuellement sur cette île.
Lors de deux entretiens, des réfugié·e·s rohingyas ont dit à Amnistie internationale avoir entendu parler de personnes victimes de harcèlement et de violences sexuels aux mains de policiers et de représentants des forces navales. Amnistie internationale demande aux autorités bangladaises de mener une enquête exhaustive au sujet de ces allégations.
Des réfugié·e·s rohingyas ont dit partager une pièce d’environ 4,6 m2 avec deux à cinq autres personnes, alors que cet espace est tout juste suffisant pour une seule personne. Chaque baraquement compte 16 de ces pièces et seulement deux toilettes. Ces personnes n’ont reçu à leur arrivée qu’un vêtement, une moustiquaire et une assiette. Beaucoup d’entre elles ont fait faire des vêtements avec leur drap par des femmes rohingyas sachant coudre. Elles disent qu’on leur distribue de la nourriture deux fois par jour et qu’elles en ont assez de manger la même chose depuis leur arrivée sur l’île. Il n’existe qu’un seul centre de soins, qui est un dispensaire mobile géré par la marine nationale et qui n’est ouvert que quatre heures par jour, de 8 heures à midi. Des réfugié·e·s ont dit à Amnistie internationale que souvent, ils ne sont pas autorisés à quitter leur baraquement.
Le confinement prolongé de réfugié·e·s rohingyas sur cette île constitue une violation des obligations du Bangladesh au titre des articles 9 et 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui protège le droit de toute personne à la liberté et le droit de choisir librement son lieu de résidence sur le territoire d’un État.
« Les autorités bangladaises devraient transporter en toute sécurité tous les réfugié·e·s rohingyas qui se trouvent actuellement sur l’île de Bhashan Char dans les camps de réfugié·e·s de Cox’s Bazar, et veiller à ce que les réfugié·e·s soient consultés, sans coercition, au sujet de tout projet visant à les réinstaller sur cette île », a déclaré David Griffiths.
Droit à la vie
Plus de 100 réfugié·e·s rohingyas ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires présumées entre août 2017 et juillet 2020, selon l’organisation bangladaise de défense des droits humains Odhikar. Or, aucun de ces cas n’a fait l’objet d’une enquête, et aucun des auteurs présumés n’a été déféré à la justice.
Amnistie internationale a parlé avec cinq proches de cinq réfugiés rohingyas victimes d’une exécution extrajudiciaire présumée à Cox’s Bazar. Les faits ont dans chacun de ces cas été décrits de façon étonnamment similaire : les victimes ont été tuées lors d’un « affrontement armé » avec des membres de services d’application des lois qui ont affirmé avoir ouvert le feu pour riposter. En ce qui concerne trois de ces cinq hommes rohingyas, la police est venue les chercher chez eux et ils ont par la suite été retrouvés morts, selon les déclarations de membres de leur famille.
Les autorités bangladaises doivent prendre note des allégations et des préoccupations des familles rohingyas et de la société civile, et ouvrir sans délai des enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales sur ces exécutions extrajudiciaires présumées et veiller à ce que les responsables présumés soient poursuivis en justice dans le cadre de procès équitables et sans recours à la peine de mort.
Droit à la santé
Le 23 août 2020, les chiffres indiquaient que six réfugié·e·s rohingyas étaient morts du COVID-19, et que 88 membres de la communauté avaient été testés positifs à ce virus. Cependant, ces chiffres étaient basés sur les tests effectués sur 3 931 réfugié·e·s, soit moins de 1 % de la population rohingya présente dans les camps.
Il s’agit probablement d’une importante sous-estimation du nombre de cas, car très peu de réfugié·e·s rohingyas sont allés se faire tester dans les centres de santé gérés par des organismes humanitaires, craignant d’être séparés de leur famille ou d’être forcés à s’isoler, et ayant été confrontés au comportement irrespectueux du personnel médical. À cela s’ajoute le manque d’informations claires et largement accessibles sur les services de santé auxquels les réfugié·e·s rohingyas peuvent avoir accès, selon un cadre d’un important prestataire de soins de santé présent dans le camp.
« Le personnel se conduit très mal avec nous. Quand nous parlons dans notre langue maternelle, ils nous regardent et ils rient. Cela me rend très nerveux, a déclaré un adolescent rohingya.
Les autorités et les organismes humanitaires doivent prendre note des préoccupations des patients et de leur expérience dans les centres de santé, et remédier à toutes les carences, dans le cadre de la surveillance, de l’évaluation et de la formation ciblée visant à améliorer la qualité des services de soins de santé dans les camps.
Violence et discrimination liées au genre
Amnistie internationale a interviewé 10 femmes rohingyas au sujet de la violence et de la discrimination liées au genre. Cinq d’entre elles disent que la fréquence des violences faites aux femmes a augmenté, en particulier la violence domestique, depuis le début de la pandémie de COVID-19, car les hommes sont davantage à la maison. Des femmes ont expliqué que leurs maris, qui ne peuvent plus travailler, ont fait pression sur elles pour qu’elles rapportent de l’argent, et ont été violents avec elles au sein du foyer. Quatre de ces 10 femmes estiment que la discrimination et la violence contre les femmes sont une constante dans les camps, indépendamment de la pandémie.
Des femmes Rohingyas vivant dans les camps ont parlé à Amnistie internationale de la traite des êtres humains, du harcèlement sexuel et de la discrimination dans les camps. Dans certains camps, des dirigeants de communautés ont décidé de ne pas autoriser les femmes à aller travailler pendant la pandémie.
La représentation des femmes est totalement disproportionnée et discriminatoire pendant les réunions des communautés, où seules une ou deux femmes sont invitées avec 50 hommes, a indiqué une jeune femme rohingya de 29 ans qui vit dans le camp 1W.
« Les femmes et les enfants rohingyas, qui représentent plus de la moitié des réfugié·e·s à Cox’s Bazar, risquent de subir de multiples formes de harcèlement et de discrimination. Les autorités et les organismes humanitaires doivent veiller à ce que les allégations de traite, de harcèlement sexuel et de discrimination donnent lieu à des enquêtes et à ce que les femmes soient véritablement consultées au sujet des mesures et des décisions qui les concernent », a déclaré David Griffiths.
Liberté d’expression et droit à l’information
Le 24 août, un an après que les autorités bangladaises ont restreint l’accès à l'internet haut débit dans les camps de réfugié·e·s, le ministre bangladais des Affaires étrangères, Masud Bin Momen, a annoncé que les restrictions allaient finalement être levées. Cependant, des réfugié·e·s rohingyas ont dit à Amnistie internationale que même si dans certains secteurs du camp le débit a augmenté, le haut débit n’est toujours pas largement disponible. « Je n’ai pas un accès correct au réseau. Je dois grimper dans des endroits surélevés pour avoir un [meilleur] débit », a déclaré un homme rohingya du camp 12.
Cette restriction a d’une part privé les réfugié·e·s rohingyas d’informations vitales au sujet de la pandémie de COVID-19, et d’autre part empêché ceux qui ont de la famille et des connaissances à l’extérieur du Bangladesh de les contacter.
Le 5 août 2020, la police a arrêté un jeune rohingya parce qu’il avait utilisé le réseau wifi dans une boutique à Jamtoli dans le camp 15. « Utiliser le wifi, c’est un crime ? », a-t-il demandé aux policiers. Ils lui ont répondu que les Rohingyas ne pouvaient pas utiliser le réseau internet wifi. « Finalement, au bout d’une heure, ils m’ont relâché et m’ont rendu mon téléphone portable, et ils m’ont dit de ne plus utiliser le wifi », a-t-il expliqué à Amnistie internationale.
Droit à l’éducation
En janvier 2020, le Bangladesh a annoncé que les enfants rohingyas allaient avoir la possibilité de suivre le programme scolaire du Myanmar, dans un premier temps de la sixième à la troisième (sixième à neuvième années d’études), la transition devant s’effectuer avec système d’enseignement non scolaire. Un projet pilote devait être mené avec 10 000 enfants durant le premier semestre de l’année, et des dispositions prévoyaient d’étendre ce projet à un nombre plus important d’enfants et d’années d’études. Selon l’UNICEF, on dénombre dans les camps de réfugié·e·s plus de 400 000 enfants Rohingyas en âge d’être scolarisés, âgés de trois à 18 ans.
Or, la pandémie et les restrictions touchant les services qui en ont découlé dans les camps ont non seulement abouti à la fermeture des structures d’enseignement existantes, mais aussi retardé la mise en œuvre du programme scolaire myanmar. Ce retard implique que les enfants Rohingyas, en particulier ceux qui ont terminé leur 9e année de scolarisation et pour qui rien n’a encore été mis en place, vont continuer d’être privés d’éducation.
« Le gouvernement bangladais doit veiller à ce que le COVID-19 ne devienne pas une nouvelle excuse utilisée pour priver les enfants rohingyas de leur droit à l’éducation. La communauté internationale doit aider les autorités bangladaises en leur procurant les fonds et les ressources nécessaires pour appliquer le programme éducatif du Myanmar », a déclaré David Griffiths.
Complément d’information
Le rapport est basé sur les entretiens réalisés avec plus de 50 réfugié·e·s rohingyas, ainsi que des membres de la communauté qui les accueille et de la diaspora myanmar, des militant·e·s des droits humains et du personnel humanitaire. Amnistie internationale et des organes de défense des droits humains ont demandé la participation des réfugié·e·s rohingyas aux décisions prises par le gouvernement et les organismes concernés au sujet de leur situation et de leur avenir, notamment en ce qui concerne le processus de rapatriement afin de garantir un retour en toute sécurité dans leur pays.
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