• 20 jan 2020
  • Canada
  • Communiqué de presse

Wet’suwet’en : les promesses doivent être suivies de gestes concrets

Par Ana Collins et Alex Neve 

Toute société, canadienne, britannique ou wet’suwet’en, est composée de personnes qui partagent un territoire, une culture et qui interagissent entre elles; cela ne signifie toutefois pas que tous les membres d’une société partagent la même opinion. Honorer et respecter le droit d’être en désaccord constitue une valeur intrinsèque de nos démocraties libérales. Savoir réconcilier les points de vue divergents afin d’assurer une cohabitation harmonieuse de tous ses membres constitue un défi auquel est confrontée toute société. Les nations autochtones ont été de tout temps exclues des discussions sociales au sein de l’État canadien. De plus, leurs enseignements et leurs valeurs traditionnels ont non seulement été exclus du discours social et politique, ils ont été totalement effacés dans une tentative d’éradiquer d’autres façons d’être et de penser. 

Dans un même temps, tous les êtres humains ont des droits, reconnus par le système des Nations Unies et par le droit constitutionnel canadien. Ces droits sont également énoncés depuis des millénaires dans la tradition juridique autochtone, désormais reconnus officiellement dans le cadre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Il s’agit d’un instrument relatif aux droits de la personne auquel aucun pays dans le monde ne s’oppose et que les gouvernements coloniaux du pays, fédéral et provinciaux, cherchent à comprendre et à respecter.

Les chefs héréditaires de la nation Wet’suwet’en ont maintenu le droit de propriété de leurs terres et préservé leur système de gouvernance traditionnel au sein de leur territoire. Le gazoduc de Coastal GasLink a été approuvé par les gouvernements fédéral et provinciaux malgré l’absence de consentement des peuples touchés par le projet de développement. Le gazoduc de 670 kilomètres de long s’étendrait des champs de gaz situés dans le nord-est de la Colombie-Britannique jusqu’à la région de Kitimat afin d’approvisionner l’installation de LNG Canada. Les systèmes juridiques traditionnels et la jurisprudence canadienne soutiennent que les conseils de bande élus n’ont de compétence juridique qu’au sein des réserves créées en vertu de la Loi sur les Indiens et non sur les territoires traditionnels non cédés.

Le droit à l’autodétermination 

On peut voir plusieurs exemples de communautés autochtones qui sont en désaccord relativement à des projets de développement économique et social; toutefois, il n’appartient pas aux colons canadiens de décider lesquelles de ces opinions ou décisions sont bonnes ou mauvaises. Les colons canadiens doivent respecter le droit à l’autodétermination qui constitue l’un des principes de base de la Déclaration des Nations Unies, d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de la personne et qui est inscrit depuis des décennies dans la jurisprudence canadienne, y compris des décisions successives de la Cour suprême du Canada.

 La décision Delgamuukw en 1997 constitue un cas important qui a permis d’établir la base de l’interprétation des notions de titres et de consentement dans le système judiciaire canadien. Il s’agit d’un cas porté devant la Cour suprême par les chefs héréditaires de la nation Wet’suwet’en. Selon cette décision, le tribunal reconnaît l’autorité légitime des chefs héréditaires de gouverner au sein de leurs territoires traditionnels. Les personnes vivant en dehors de cette collectivité ne comprennent pas nécessairement les pratiques culturelles, juridiques et politiques en vigueur, par exemple, à qui on attribue les titres héréditaires de chef, de quelle façon ces titres sont conférés et pour quelle raison. Toutefois, le conflit qui sévit dans le territoire Wet’suwet’en représente une occasion de découvrir ces autres façons d’être qui peuvent sembler étranges au premier abord.

 

Le consentement libre, préalable et éclairé 

En ce qui concerne le débat en cours au sujet des campements érigés pour la défense du territoire, la position relative aux droits de la personne est claire : les peuples autochtones ont le droit de donner leur consentement libre, préalable et éclairé (CLPE) concernant tout projet qui pourrait porter atteinte à leurs droits et l’exercice de ces droits. Les processus de consultation et de consentement ne peuvent être engagés par la seule l’entremise d’un système de gouvernance de bande imposé par un régime colonial, pas plus que la consultation être menée seulement dans le cadre d’un leadership traditionnel. Le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale (CEDR) a été clair dans ses recommandations au Canada formulées au mois de décembre de l’an passé : la consultation doit inclure tous les membres d’un Peuple. Il est très important de tenir compte de cette recommandation dans le dossier du territoire Wet’suwet’en puisque les chefs héréditaires ont été reconnus comme étant les tenants et héritiers de ce titre par le Canada.

De plus, le CEDR a demandé au Canada d’imposer un gel des projets de grande envergure, actuels et futurs, jusqu’à ce que le CLPE soit obtenu; il a également demandé de cesser de procéder à des expulsions forcées des territoires traditionnels, de garantir qu’aucun recours à la force ne sera autorisé et de retirer les forces de police et de sécurité des territoires traditionnels, en plus de formuler d’autres exigences.

Pendant de nombreuses années, le Comité des Nations Unies a fréquemment souligné de sérieuses lacunes concernant des décisions spécifiques prises par le Canada sans avoir obtenu le CLPE ou concernant des dossiers où la consultation avait été inadéquate. Selon le Comité, il y a matière à procéder à une réforme exhaustive des lois et politiques. Ces préoccupations ont été reprises systématiquement dans les observations finales du CEDR et ont été adoptées dans de nombreux examens du bilan du Canada en matière de respect de ses obligations en vertu de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il est impératif que les différents paliers de gouvernement du pays agissent sans délai afin d’assurer le respect total de la décision la plus récente du Comité concernant les projets Trans Mountain, le barrage Site C et Coastal GasLink, et ce sans compromis.

 

Pourquoi il est impératif pour le Canada de se conformer aux recommandations du Comité des Nations Unies 

Il est impératif que le Canada se conforme à cette recommandation pour deux raisons fondamentales. D’abord et avant tout, il est nécessaire de prendre d’urgence des mesures en raison de la gravité des violations des droits de la personne en cause. Les gouvernements coloniaux dans l’ensemble du Canada ont reconnu qu’il est nécessaire d’effectuer des changements importants afin d’avancer le processus de réconciliation avec les peuples autochtones et afin de manifester un respect absolu de leurs droits tels qu’inscrits dans la Constitution et en vertu du droit international. Si les promesses d’agir ainsi ne sont pas suivies de gestes concrets, y compris de prendre des décisions difficiles et exigeantes comme le requiert la situation présente, alors elles resteront lettre morte.

Puis, assurer la conformité aux recommandations revêt une très grande importance dans la situation présente, car elle représente un moyen pour le gouvernement canadien et la population canadienne de démontrer leur engagement envers le système international des droits de la personne. À un moment où un nombre croissant de pays sapent et bafouent leurs obligations relatives aux normes internationales en matière de droits de la personne, il importe plus que jamais que des pays comme le Canada fassent preuve d’un engagement ferme à respecter ces normes et envers les institutions comme le CEDR qui se sont vues confier la responsabilité par les gouvernements de s’assurer que ces normes sont bel et bien respectées. 

Les gouvernements partout dans le monde cherchent souvent à justifier leur incapacité à s’acquitter de leurs obligations internationales en matière des droits de la personne en prétextant que le coût de la protection de ces droits est trop élevé et en insistant sur le fait que des processus et des lois nationales visant à protéger ces droits sont déjà en place; parfois, les droits de certains groupes sont sacrifiés au profit d’autres groupes — dans plusieurs pays, ce sont les droits des peuples autochtones qui sont bafoués — sur la base d’intérêts économiques. Le Canada ne doit en aucun cas invoquer de telles excuses, mais plutôt démontrer que les droits de la personne sont de première importance et, ce faisant, dire qu’il s’attend à ce que les autres États adoptent une position similaire.

 

Un appel aux observateurs 

Des membres de la nation Wet’suwet’en ont lancé un appel aux observateurs du nord de la Colombie-Britannique à appuyer la défense de leur territoire.

 

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