Quelles sont les limites du Canada : la désignation déraisonnable des États-Unis sous l’Entente des tiers pays sûrs
Après que les avocat-es des parties plaignantes (Amnistie internationale, le Conseil canadien des réfugiés, le Conseil canadien des églises et des demandeurs d’asile individuels) aient présenté leurs arguments lundi et mardi, c’était au tour des avocats du gouvernement canadien de défendre leur cause. Outre les questions liées à la Charte canadienne qui sont centrales à la contestation judiciaire de l’Entente des tiers pays sûrs, il y a des aspects importants de droit administratif qui sont fondamentaux dans ce litige. Et c’est lors du débat portant sur le droit administratif que l’écart prononcé entre les positions des deux parties était le plus évident.
Du côté des parties plaignantes, c’est Me Jared Will qui a débuté, en présentant ses arguments de manière lente et délibérée, permettant à chaque mot, chaque preuve, et chaque référence, de rester fixés dans l’esprit de la juge Ann Marie McDonald. L’avocat du gouvernement de son côté parlait à un rythme effréné, rendant difficile la tâche de déceler ses arguments et ses pensées de manière cohérente.
L’argument des parties plaignantes en droit administratif se résume de façon très simplifiée ainsi :
- Le Canada peut seulement conclure une entente des tiers pays sûrs avec un pays qui prouve être un partenaire fiable en matière de protection des réfugiés.
- Concrètement, cela veut dire qu’un pays partenaire doit remplir les critères suivants : être parti à la Convention sur les réfugiés des Nations Unies (1951) et à la Convention contre la torture (1984), ses pratiques et politiques concernant les réfugiés doivent respecter ses obligations en vertu de ces deux conventions, notamment en ce qui concerne l’obligation de ne pas renvoyer un demandeur d’asile dans un pays où il risque la mort, la torture, ou la persécution, et le pays doit avoir un bilan général respectable en matière de droits humains.
Les parties plaignantes remettent en question la conclusion du Canada que les États-Unis remplissent ces critères. Tel qu’avancé par Me Will, à l’aide d’une montagne de preuves démontrant que les États-Unis violent les droits humains des réfugiés de manière systématique et à grande échelle, le Canada ne peut pas continuer de désigner les États-Unis comme un pays sûr.
Soulignons, entre autres, la cruelle séparation des familles de demandeurs d’asile, la détention en masse d’enfants dans des cages, l’usage de poursuites pénales contre les demandeurs d’asile comme moyen de dissuasion, le traitement injuste accordé aux femmes présentant une demande d’asile liée à leur genre, les conditions inacceptables de détention, l’illégalité inconditionnelle en droit international des politiques américaines visant à fermer la porte aux demandeurs d’asile rentrant aux États-Unis par la frontière avec le Mexique, etc.
En conséquence, l’application continue de cette Entente est clairement invalide et illégale, car les critères requis pour son adoption ne sont plus remplis.
D’autre part, les parties plaignantes dénoncent la passivité et la complaisance du Canada face à ses obligations de procéder à un examen continu, rigoureux et attentif de la situation aux États-Unis, afin d’assurer la satisfaction des critères requis pour une entente sur les tiers pays sûrs. Le système utilisé par le gouvernement canadien à ces fins est extrêmement limité. On parle d’un examen mené par des fonctionnaires qui filtrent l’information excessivement, en minimisant la gravité de la situation aux États-Unis, donnant ainsi un aperçu incomplet pour les hauts-dirigeants du gouvernement, qui ont l’autorité finale pour revoir l’entente avec les États-Unis.
Notamment, le gouvernement canadien ne prend aucune mesure pour assurer le suivi du traitement réservé aux personnes retournées aux États-Unis en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs, même si ce pouvoir lui est explicitement disponible sous l’Entente. Ce n’est donc pas nécessairement surprenant que, malgré les preuves et toute l’information qu’il avait, qui militaient pour une conclusion contraire, notre gouvernement a choisi de maintenir le statu quo.
Me Will a répété une question essentielle tout au long de ces soumissions devant la cour : quel est le seuil utilisé par le gouvernement canadien lorsqu’il observe la situation des réfugiés aux États-Unis? À partir de quand, ou à quel moment, est-ce que le Canada décidera enfin que les États-Unis ont dépassé la limite et ne peuvent plus être considérés comme un partenaire fiable ou un pays sûr pouvant assurer la protection des réfugiés ?
Les avocats du gouvernement ont eu l’audace d’avancer que même si les États-Unis se retiraient de la Convention sur les réfugiés ou de la Convention contre la torture, cela ne serait pas nécessairement suffisant pour que le Canada suspende l’Entente.
La réponse tacite du gouvernement : on n’a pas de réponse concrète – on n’a pas de seuil ou de limite claire.
Les Canadiens ont droit à une réponse claire et non équivoque à cette question. De savoir comment le gouvernement canadien peut rester inerte alors qu’il a pleine connaissance du fait que les autorités américaines arrachent des enfants des bras de leurs parents ? De savoir combien de demandeurs d’asile doivent être détenus pour une période indéterminée, dans le plus grand système de détention au monde, avant que notre gouvernement puisse dire, « ça suffit» ? Combien de demandeurs d’asile en détention doivent mourir à cause d’un manque de soins médicaux, avant que le Canada cesse sa complicité et décide de suspendre l’Entente avec les États-Unis
Les Canadiens méritent mieux de leur gouvernement. Les Canadiens méritent un gouvernement intègre qui respecte ses obligations en droit international et qui tient ses partenaires responsables lorsque ceux-ci violent les droits fondamentaux des réfugiés et des demandeurs d’asile.
Biographie de : Jaya Bordeleau-Cass et André Capretti
Stagiaires du Barreau de l’Ontario travaillant aux côtés d’Amnistie internationale Canada. Jaya et André publieront des mises à jour cette semaine au sujet de la contestation judiciaire de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Les audiences du procès ont lieu à la Cour fédérale à Toronto (rue 180 Queen Ouest) du 4-8 novembre 2019.