Honte. Frustration. Rage. Déception.
Puni sans avoir commis de crime : l’Entente sur les tiers pays sûrs viole les droits de la Charte canadienne à l’égalité, la liberté et la sécurité de la personne
Difficile de rester indifférent en assistant à la contestation judiciaire de l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis. Bien que les procédures judiciaires peuvent parfois être longues et monotones, les histoires et les expériences vécues par les demandeurs d’asile entendues depuis deux jours dans ce procès provoquent des réactions fortes et émotives.
Trop souvent le discours public qui entoure l’Entente sur les tiers pays sûrs se concentre exclusivement sur la question des traversées du Chemin Roxham à Lacolle, ce qui mène à une mécompréhension et une ignorance des vrais enjeux. Les personnes qui passent entre les postes frontaliers ne le font pas pour contourner la « queue », et ils ne le font pas pour « profiter » du système. Rappelons-le : il n’existe pas de « file d’attente » pour les réfugiés, et les réfugiés ont le droit de faire une demande d’asile même en rentrant au pays de façon irrégulière. Ils le font parce qu’ils n’ont pas d’autres choix. Ils le font parce que l’Entente sur les tiers pays sûrs leur barre la voie aux postes frontaliers officiels. Ils le font parce que l’alternative, de rester aux États-Unis pour présenter leur demande d’asile, est souvent inconcevable. Et ils le font parce qu’en restant aux États-Unis, leurs droits fondamentaux risquent d’être bafoués.
C’est ainsi que le mardi 5 novembre, les avocat-es des parties plaignantes (Amnistie internationale, le Conseil canadien des réfugiés, le Conseil canadien des églises, et 9 demandeurs d’asile), ont poursuivi la présentation de leurs arguments juridiques. Notamment, Maître Andrew Brouwer et Maître Leigh Salsberg ont présenté les arguments fondés sur les violations des articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés : le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, et le droit à l’égalité.
La question centrale à ce litige est de savoir si l’opération de l’Entente sur les tiers pays sûrs, précisément lorsque les demandeurs d’asile se voient refuser l’accès au Canada et retourner aux États-Unis, viole ces droits fondamentaux.
Me Brouwer a expliqué à la Cour que tout de suite en partant, les demandeurs d’asile renvoyés aux États-Unis sont arrêtés et menottés par des agents d’immigration américaine. Ils sont privés de leur liberté et traités comme des criminels, pour la simple raison qu’ils cherchent refuge, en fuyant la guerre, la violence ou la persécution : un droit qui leur appartient en vertu du droit international.
La détention des demandeurs d’asile retournés aux États-Unis est la règle, et non l’exception. Les autorités américaines leur imposent des cautions souvent exorbitantes, que les demandeurs d’asile sont rarement capables de payer, et qui les obligent à attendre des mois en prison avant qu’un juge puisse examiner si leur détention est appropriée ou nécessaire. Dans un cas soulevé par les parties plaignantes, un demandeur d’asile s’est fait refusé l’accès au Canada à cause de l’Entente et retourné aux États-Unis où il a dépéri en détention pendant 20 mois, sans justification, avant d’être déporté au pays duquel il fuyait la persécution, et où il a été arrêté et attaqué à son retour.
Me Brouwer a décrit les conditions de détention auxquelles font face ces demandeurs d’asile, qui ne peuvent faire d’autre que de provoquer l’indignation. Notamment, l’isolement cellulaire est employé de façon excessive et arbitraire, sans tenir compte de l’impact aggravant que ce traitement peut avoir sur les traumatismes vécus par les demandeurs d’asile. Les soins de santé sont déficients ou inexistants, la dignité des personnes est ignorée, et le harcèlement et la violence sexuelle par les autorités sont pratiques courantes.
Les répercussions de cette détention sont graves et durables. Les parties plaignantes ont rapporté des témoignages de demandeurs d’asile qui ont subi la détention après s’être fait refouler aux États-Unis par le Canada:
- « Je me suis senti comme un animal en cage, comme si on m’avait retiré ma dignité ».
- « Ma détention me hante encore ».
- « C’était l’enfer sur terre ».
- « J’ai eu peur de virer fou ».
- « C’était un cauchemar continu ».
De plus, il est très difficile, voire presque impossible, de préparer une demande de réfugié à partir d’une cellule de prison. Surtout avec un manque d’accès à des services juridiques abordables ou aux services d’un interprète. Le résultat dans bien trop de cas est un risque élevé de refoulement à des pays où la vie ou la sécurité de ces demandeurs d’asile serait gravement menacée. Par conséquent, le Canada est complice et responsable de ces graves violations des droits à la liberté et à la sécurité de personne.
D’autre part, l’impact de l’Entente se fait ressentir de manière disproportionnée par les demanderesses d’asile qui se font refouler par le Canada à la frontière avec les États-Unis. Une des plaignantes individuelles dans cette cause illustre parfaitement les défis et injustices auxquels font face ces femmes.
Cette femme salvadorienne, mère de deux filles, a été persécutée par la gang MS-13, notoire en Amérique centrale pour sa violence barbare. Elle a subi un viol, des menaces de mort, l’extorsion et une litanie d'abus au quotidien. Au Canada, sa demande d’asile aurait eu de bonnes chances d’être accueillie. À l’inverse, aux États-Unis les pratiques et politiques officielles en matière de réfugiés excluent systématiquement les demandes présentées par les survivantes de violence conjugale, les victimes de violence sexuelle et les victimes de violence commise par des gangs. Après être rentrée aux États-Unis et ayant été avisée de l’improbabilité que sa demande d’asile serait accueillie, elle s’est présentée à la frontière canadienne, où on lui a fermé la porte. Le résultat concret de l’opération de l’Entente sur les tiers pays sûrs est donc que le Canada est complice aux violations des droits à l’égalité des demanderesses d’asile, commises par les États-Unis.
En présentant cette réalité enrageante, Me Salsburg a posé une question rhétorique à la Cour : « Les femmes fuyant la violence conjugale ou sexuelle sont-elles indignes de protection au Canada? ».
Soyons bien clairs, le gouvernement canadien est pleinement conscient des politiques et des pratiques employées aux États-Unis dans son système d’asile. Néanmoins, le gouvernement ferme ses yeux et s’en lave les mains, comme si de rien n’était. Comme si le Canada n’était pas complice à ces nombreuses graves violations de droits fondamentaux. Comme si le fait de qualifier les États-Unis comme un pays sûr pour les réfugiés n’était rien d’autre qu’une pure fiction.
Biographie de : Jaya Bordeleau-Cass et André Capretti
Stagiaires du Barreau de l’Ontario travaillant aux côtés d’Amnistie internationale Canada. Jaya et André publieront des mises à jour cette semaine au sujet de la contestation judiciaire de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Les audiences du procès ont lieu à la Cour fédérale à Toronto (rue 180 Queen Ouest) du 4-8 novembre 2019.
mbre 2019.