• 17 avr 2020
  • Union Européenne
  • Communiqué de presse

En Slovaquie et en Bulgarie, les campements roms sont soumis à une quarantaine stigmatisante

En Bulgarie et en Slovaquie, les autorités ont imposé des quarantaines obligatoires dans certains campements roms, soutenant que ces mesures étaient nécessaires pour assurer la santé et la sécurité publiques. Amnistie internationale estime que de telles mesures constituent une violation des droits fondamentaux, tant que les gouvernements ne sont pas en mesure de démontrer qu’elles sont conformes à la loi, qu'elles poursuivent un objectif légitime, qu'elles sont proportionnées à cet objectif et qu'elles ne sont pas discriminatoires.

Amnistie internationale est vivement préoccupée par la mise en œuvre et l’application de ces mesures de quarantaine. D'après nos recherches, les autorités n'ont pas fourni aux familles roms vivant dans les campements concernés les moyens nécessaires à leur protection et elles n'ont pas fait en sorte de leur garantir un accès suffisant à l'eau, à des installations sanitaires, à des denrées alimentaires, à des produits d'hygiène et à des soins médicaux.

Dans toute l'Europe, les Roms constituent l'une des communautés les plus défavorisées. En Slovaquie et en Bulgarie, de nombreuses familles roms vivent dans la pauvreté, dans des logements surpeuplés et des campements informels ne disposant pas d’un accès convenable aux réseaux d’approvisionnement public en eau et en électricité. Les Roms sont marginalisés et confrontés à la discrimination dans tous les domaines, de l'éducation à l’emploi en passant par la santé. En raison de ces inégalités persistantes, de nombreux Roms se trouvent plongés dans une situation encore plus précaire dans le contexte de la pandémie. Outre le risque accru d'infection auquel ils sont confrontés, les mesures mises en place par les États pour faire face à la crise sanitaire, y compris les mesures de confinement et de distanciation sociale, risquent d’accentuer la situation de pauvreté et d’isolement social que subissent de nombreux Roms. Les autorités slovaques et bulgares doivent apporter une aide d’urgence aux communautés roms afin de leur permettre de se protéger à la fois contre la maladie et contre les graves conséquences sociales et économiques que pourraient engendrer les mesures gouvernementales de lutte contre la pandémie.

Bulgarie

Depuis le 13 mars, date à laquelle l'Assemblée nationale bulgare a décrété un état d'urgence, les autorités ont progressivement introduit des mesures plus strictes pour empêcher la propagation du virus, y compris des interdictions de déplacements interurbains et des restrictions importantes de la liberté de circuler. Bien que ces mesures s'appliquent à l'ensemble du pays, la communauté rom de Bulgarie est affectée de manière disproportionnée par les mesures mises en place par le gouvernement face à la pandémie.

En vertu de ces mesures d’exception, les maires de toute la Bulgarie ont bouclé les villages et les campements informels roms et ont installé des barrages et des postes de contrôle pour empêcher les résidents d'entrer et de sortir. Les autorités ont construit des murs temporaires autour des campements roms des villes de Nova Zagora, Kazanlak et Sliven, qui abritent près de 50 000 personnes et y ont imposé un régime de confinement total, soutenant que « le manque de discipline parmi les résidents » rendait les mesures de distanciation sociale difficiles à appliquer.

Des mesures similaires ont été introduites dans le quartier rom de Shesti, près de Nova Zagora, les autorités ayant estimé que faute d’accès à l'eau potable et à des installations sanitaires, les résidents n'étaient pas en mesure de maintenir le niveau d'hygiène recommandé pour ralentir la propagation du virus hors des campements. Pour autant, les autorités n'ont pas pris de mesures afin de garantir un accès continu au réseau d'approvisionnement public en eau au sein du campement pendant la pandémie. Dans certains cas, les représentants de l’État ont soutenu que ces mesures étaient nécessaires dans les communautés roms car de nombreuses personnes roms venaient de rentrer en Bulgarie après un séjour dans certains des pays européens parmi les plus touchés, comme l'Espagne et l'Italie, où elles avaient occupé un travail saisonnier dans le secteur informel et représentaient dès lors un risque pour le reste de la population. Le gouvernement recommande à toutes les personnes revenant de ces pays de se placer en quarantaine pendant 14 jours, mais Amnistie internationale n’a connaissance d’aucun cas où les mesures de quarantaine ont été appliquées avec autant de fermeté que dans les campements roms.

Plusieurs villes, y compris la ville côtière de Burgas, ont décidé d’avoir recours à des drones équipés de capteurs thermiques pour prendre la température des habitants des campements roms à distance. La technologie des drones a été utilisée dans d'autres pays européens pour prendre la température de groupes de personnes, mais en Bulgarie, elle semble être utilisée exclusivement auprès de la communauté rom. En outre, on ignore quelles mesures sont prévues si des personnes Roms sont déclarées contaminées à la COVID-19 suite à un test et comment le gouvernement garantira la satisfaction des besoins des personnes touchées pendant la quarantaine et la protection du reste de la communauté contre la propagation du virus.

L'introduction de mesures spécifiques pour les campements roms s'est accompagnée d'un discours de plus en plus hostile envers les Roms, souvent alimenté par les figures politiques. Le parti du Mouvement national bulgare (VMRO), partenaire minoritaire de la coalition au pouvoir, a profité de la crise sanitaire pour présenter les Roms comme une menace collective pour l’ensemble de la population devant être « maintenue sous contrôle ». Aucun cas positif au sein de la communauté rom n’avait alors été confirmé.

Le ministre de l'Intérieur bulgare, Mladen Marinov, a également menacé de prendre des mesures répressives supplémentaires « pour protéger l’ensemble de la population » si les Roms ne respectaient pas strictement les mesures de distanciation sociale. Les communautés roms restent confinées dans leurs campements mais rien n’indique que les autorités aient apporté une aide aux familles qui y vivent afin de leur permettre de se conformer aux consignes du gouvernement pour se protéger contre l'infection, par exemple en se lavant régulièrement les mains, d’avoir accès aux soins médicaux nécessaires si elles présentent des symptômes du COVID-19, et de subvenir aux besoins de leurs familles pendant la quarantaine.

Slovaquie

À partir du 3 avril, les autorités slovaques ont commencé à proposer des tests aux résidents des campements roms. Les tests ont été effectués dans 33 campements parmi plusieurs centaines avec le concours de l’armée. Ils ont principalement concerné les campements roms où les autorités avaient enregistré des retours de résidents depuis l'étranger, en particulier depuis la République tchèque et le Royaume-Uni. Tandis que cette campagne de test était en cours, Amnistie internationale a indiqué au gouvernement slovaque que si les Roms ne disposaient pas des moyens nécessaires pour se protéger, y compris un accès convenable à l'eau et à des installations sanitaires, le fait de concentrer les efforts de test sur leur communauté ne ferait qu'aggraver la stigmatisation et les préjugés dont ils souffrent déjà.

Le 9 avril, au lendemain de la Journée internationale des Roms, le gouvernement slovaque a décidé de placer en quarantaine stricte cinq campements roms dans l'est de la Slovaquie : trois dans le village de Krompachy, et un dans les villages de Bystrany et de Žehra. Le gouvernement a affirmé que ces mesures étaient indispensables à des fins de santé publique, 31 cas positifs ayant été détectés parmi les plus de 6 800 résidents de ces cinq campements. Amnistie internationale s'est entretenue avec des résidents et d'autres personnes qui ont confirmé que la communauté rom n’avait pas reçu d’informations concernant la durée et les conditions de ce confinement. Les autorités n'auraient pas séparé les personnes dont les tests étaient positifs du reste de la communauté. De plus, selon les éléments disponibles, les autorités n'ont pas mis à disposition les denrées alimentaires et le matériel médical nécessaires. Dans l'un des campements, avec l’aide d’un entrepreneur local, les résidents ont mis en place un système improvisé d'approvisionnement en nourriture. Dans un autre campement placé en quarantaine, les autorités vendaient des colis alimentaires basiques au prix de 15 euros, ce qui a soulevé des inquiétudes relatives à l'accessibilité financière pour des familles que les mesures sanitaires ont privées de leurs sources de revenus.

Des résidents d’un des campements ont expliqué à Amnistie internationale qu'un certain nombre de résidents avaient besoin de médicaments pour des maladies chroniques telles que du diabète, des maladies cardiaques et de l'asthme. Ils ont également signalé des cas où des ambulances avaient refusé dans un premier temps de prendre en charge des résidents qui avaient besoin de soins médicaux. En outre, les habitants des campements s'inquiétaient du manque d'informations concernant la durée de la quarantaine et du manque de ressources pour subvenir à leurs besoins si la quarantaine devait être prolongée.

Le 12 avril, les autorités ont annoncé qu'elles placeraient les personnes infectées en quarantaine à l’extérieur des campements. Cependant, le nombre de personnes transférées reste extrêmement faible et les campements sont toujours verrouillés et surveillés par la police et l'armée.

Droit international relatif aux droits humains

En vertu du droit international relatif aux droits humains, les mesures de quarantaine doivent être appliquées de manière non discriminatoire, répondre à un besoin public ou social urgent, poursuivre un objectif légitime et être proportionnées à cet objectif. Elles doivent être provisoires, sujettes à un examen, et l'option la moins restrictive doit être retenue lorsque plusieurs types de limitations peuvent être imposés. Amnistie internationale estime que toute mesure prenant délibérément pour cible des communautés entières, sans qu'il soit prouvé que ces communautés présentent un danger pour la santé publique dans le contexte de la pandémie, est susceptible d'être arbitraire et disproportionnée, et peut constituer une discrimination.

Les gouvernements de Bulgarie et de Slovaquie doivent justifier selon quels critères relatifs à la santé publique ils ont décidé de placer l’ensemble des communautés roms en quarantaine comme il est décrit dans ce document et démontrer que toutes les possibilités de mesures moins restrictives ont été suffisamment explorées.

Le droit international relatif aux droits humains exige également des gouvernements qu’ils mettent en œuvre des mesures de quarantaine et d'isolement de manière sûre et respectueuse. Afin de renforcer la confiance et la coopération du public et de respecter le droit à la dignité des personnes concernées, les autorités doivent fournir des informations appropriées aux personnes placées en quarantaine et assurer une communication régulière. Or, les communautés roms placées en quarantaine en Slovaquie et en Bulgarie ont signalé un manque d'informations appropriées concernant la durée et les conditions de leur confinement.

Les mesures de quarantaine imposées aux communautés roms vivant dans des campements affectent de manière disproportionnée les personnes vivant dans la pauvreté, qui disposent d’économies limitées et qui, dans certains cas, risquent de ne pas pouvoir subvenir à leurs besoins pendant cette période de quarantaine faute de revenus. L'impossibilité d'exercer un travail informel, essentiel pour de nombreuses familles, expose les Roms à un risque accru de pauvreté et renforce l’exclusion sociale dont ils souffrent. Il incombe aux gouvernements bulgare et slovaque de veiller à ce que les droits économiques et sociaux des personnes en quarantaine, y compris le droit à l'alimentation, à l'eau, à des installations sanitaires et à un niveau de vie suffisant, soient garantis.

Amnistie internationale est également préoccupée par la manière brutale dont la police et l'armée appliquent les mesures de quarantaine. La présence de militaires armés autour des campements a un effet intimidant et on peut s’interroger sur sa légitimité à des fins de maintien de l’ordre et de protection de la santé publique. Plus particulièrement, le fait qu'ils portent des armes qui ne devraient être déployées que dans des situations comportant un risque élevé, et qui n'ont pas leur place dans une logique de maintien de l’ordre au quotidien, témoigne d'une approche « antagoniste » très préoccupante. Par conséquent, les mesures adoptées risquent de renforcer la peur au sein des communautés roms et de les marginaliser encore davantage du reste de la société.

En Slovaquie et en Bulgarie, les Roms restent l'une des communautés les plus défavorisées. Nombre d’entre eux vivent dans des logements multigénérationnels surpeuplés, souvent sans accès à l'eau potable et à des installations sanitaires. Si les autorités ne leur apportent pas une aide de toute urgence, les mesures préventives, y compris l'auto-isolement, la distanciation sociale et le lavage fréquent des mains, seront difficiles à respecter dans de nombreuses communautés roms. Les Roms risquent particulièrement d’être infectés car ils n’ont pas la possibilité de se protéger correctement. Les quarantaines imposées spécifiquement aux campements roms, qui par ailleurs ne reçoivent aucune aide de la part du gouvernement, y compris un accès direct à l'eau et à des installations sanitaires ainsi qu'à des soins médicaux, pourraient avoir des répercussions catastrophiques sur les communautés roms.

En outre, en raison de l'incapacité de longue date des gouvernements à garantir des installations sanitaires adéquates et sûres, un accès à l'eau, à l'électricité et aux soins médicaux dans de nombreux campements roms, ces communautés se trouvent confinées dans des conditions potentiellement dangereuses.

Amnistie internationale demande instamment aux gouvernements bulgare et slovaque de veiller à ce que les Roms vivant dans les campements placés en quarantaine puissent disposer de denrées alimentaires, de médicaments, de produits d'hygiène et de soins médicaux, et soient soutenus dans l’application des mesures de santé publique de manière respectueuse de leurs droits fondamentaux. L'organisation exhorte également les deux gouvernements à cesser d’avoir recours aux forces de l'ordre et à l'armée pour répandre la peur et intimider les résidents des campements roms.

 

Pour plus d’information, veuillez contacter : 

Khoudia Ndiaye | Directrice des communications et stratégies 

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